“Créer pour un rappeur est plus stimulant que pour un chanteur de variété…” rencontre avec le réalisateur Remi Besse
Avec ses vidéos ultra dynamiques qui mêlent peintures, films, dessins et photo argentique, le réalisateur Remi Besse séduit aussi bien les artistes musicaux Ibeyi et Vladimir Cauchemar, les rappeurs émergents comme Oboy et SDM ou les labels sportswear Nike et Adidas. Numéro a rencontré cet artiste qui s’impose comme une valeur montante de la création artistique française.
Propos recueillis par Léa Zetlaoui.
À vingt-cinq ans, Remi Besse peut se targuer d’avoir réalisé des clips pour Ibeyi et Vladimir Cauchemar, des vidéos pour Nike et Adidas, et d’avoir collaboré avec les rappeurs Oboy et SDM représentés par le label de Booba. Dans ses vidéos au rythme effréné et ses artworks dynamiques, le jeune artiste diplômé des Arts déco brouille les pistes en associant peintures, dessins et photographie argentique grâce à de savants jeux de collages et de montages. Un procédé qui séduit notamment l’industrie musicale et en particulier le monde du rap, qui sollicite son approche artistique et sophistiquée pour sortir des sentiers battus. Numéro a rencontré le réalisateur qui n’a pas fini de faire parler de lui.
NUMÉRO : Nous connaissons principalement vos travaux de réalisateur, notamment pour Adidas, Ibeyi ou Vladimir Cauchemar, pourquoi privilégiez-vous ce médium alors que vous pratiquez aussi la peinture et la photographie ?
Rémi Besse : Je suis attiré par tout ce qui touche à l’image, au sens large du terme. J’ai commencé la peinture et le dessin très jeune et j’avais la ferme intention de poursuivre une carrière dans ces domaines… mais je ne me sentais capable de passer ma vie tout seul dans un atelier. J’ai donc commencé à filmer puis éditer des vidéos et la réalisation m’est alors apparue comme le médium idéal : il me permettait de travailler “pour” et “avec” beaucoup de gens talentueux. Pendant mes études aux Arts déco à Paris, j’ai réalisé des vidéos sur le graffiti, filmé des soirées comme si je tournais un clip. Ces vidéos se sont retrouvées entre les mains de labels de musique et de boîtes de production. On m’a alors proposé des projets intéressants.
Vous utilisez souvent le collage d’images hétéroclites. Qu’est-ce qui vous a poussé à utiliser ce procédé?
Un jour, alors que j’étais seul dans le métro avec ma caméra, j’ai réalisé un film à partir d’affiches déchirées puis je les ai superposées à de véritables personnes. J’étais complètement fasciné par ces affiches. On en revient toujours à la même chose: mon refus de m’enfermer dans une seule et même discipline. Mélanger les techniques, jouer avec les textures et transformer des images déchirées en portraits m’a vraiment plu. C’est devenu ma signature visuelle.
Vous collaborez désormais avec des rappeurs. Un vidéaste digne de ce nom ne peut-il y échapper aujourd’hui ?
Je pense surtout que mon univers visuel s’y prête et qu’en ce moment, c’est ce qu’il y a de plus excitant à faire. Créer une pochette d’album pour un rappeur qui à des idées plein la tête est bien plus stimulant que de collaborer avec un chanteur de variété qui pose avec une guitare acoustique au bord d’un lac… J’essaye surtout de ne pas être dans quelque chose de trop… mécanique. Je considère aussi mon travail comme une forme d’artisanat. Ces dernières années, les vidéos et artworks les plus intéressants ont été produits pour des artistes tels que Travis Scott ou Asap Rocky. Ils ont une réelle vision et, en tant que créateur, ça doit être stimulant de créer avec eux.
À votre avis, pourquoi ces artistes musicaux font-ils appel à vous?
Peut-être parce que j’ai un un bagage culturel différent et un parti pris graphique quand bien même ma sensibilité ne leur parle pas forcément. En revanche, je ne pense pas être quelqu’un de conciliant contrairement à certains réalisateurs et photographes qui épousent pleinement l’univers des artistes avec lesquels ils collaborent. C’est un reproche que l’on peut me faire mais je veux me laisser le droit de sélectionner mes projets.
Récemment vous avez réalisé une vidéo avec la jeune rappeuse Lala &Ce pour une campagne BudX, quel souvenir en gardez-vous?
J’ai aimé travailler à partir de son personnage, et rencontrer le jeune producteur Blasé avec qui elle a collaboré. Elle sort son premier album en janvier, donc c’est intéressant de travailler avec quelqu’un qui n’est pas encore trop connue d’autant son univers et ce qu’elle incarne me parlent. Dans la vidéo, il y a un plan que j’ai toujours voulu proposer : on plonge dans sa dent en or et c’est tout un univers qui se construit. En tant que vidéaste, on passe beaucoup de temps à écrire des projets qui finalement ne se font pas, ce qui donne lieu à des frustrations et des fantasmes.
Quel projet de votre carrière vous a le plus marqué et pourquoi?
L’une des premières publicités pour Adidas (2018). J’avais déjà réalisé quelques petits clips et je faisais déjà des séries de photos mais c’était la première fois qu’une marque me laissait le champ libre pour une campagne. Lorsque vous arrivez sur le set, tout est entre vos mains. Récemment, j’ai beaucoup aimé travailler pour le label de Booba, faire des peintures à l’huile et des séries de photos pour des artistes et, surtout, avoir les retours de Booba en personne ! Parvenir à changer les codes, c’est ce qui me fait me lever le matin. Alors quand il achète une de mes peintures à l’huile pour la nouvelle pochette d’un artiste de son label, c’est une petite victoire.
Entre nous, quelle est la différence entre une petite production vidéo confidentielle et une grosse machine ?
Il y a un mois j’ai réalisé une campagne d’affichage sauvage pour une marque anglaise. Pour chaque cliché, dix personnes de l’agence de publicité et dix personnes de la marque devaient donner leur avis… Parfois, des marques vous appelle parce qu’elles apprécient votre spontanéité mais veulent finalement tout contrôler. Sur un tournage j’aime que tout soit fluide, pas que huit rues soient bloquées pour réaliser le film. Dans ce genre de projet, je suis moins à l’aise.
Pourquoi ne vous lancez-vous pas dans un projet de plus grande ampleur ? Un long-métrage par exemple…
La fiction, j’y viendrai. Pour le moment, je préfère construire une image et un style sur des petits formats. J’apprécie beaucoup les frères Safdie qui ont réalisé Uncut Gems avec Adam Sandler, et Good Time avec Robert Pattinson. La photo, l’énergie et la manière dont ces films sont construits me parle, que ce soit pour écrire un clip ou autre chose. Pourtant, je suis fortement influencé par le parcours de Jean-Paul Goude et la manière dont il a envisagé sa carrière. Il a fait des des clips, des campagnes, pour plusieurs artistes, plusieurs marques, des tonnes d’institutions.