23 oct 2023

Coucou Chloe est-elle vraiment aussi dark que sa musique ?

Coucou Chloe débarque à Paris, ce jeudi 26 octobre 2023, pour défendre Fever Dream sur scène, un premier album viscéral de dix titres perdus entre une techno obscure, une électro dark expérimentale et un hip-hop industriel. En conversant avec la productrice française, Numéro a découvert qu’elle était bien différente de ce que ses photos promotionnelles laissaient présager…

1. Coucou Chloe défend son premier album et invite Eartheater

 

Sur la plupart de ses portraits promotionnels, Erika Jane se fend d’une moue boudeuse tandis qu’un khôl excessif dévore ses yeux mi-clos. Certains évoquent le “glamour sombre” de cette jeune femme à la mine défaite, d’autres soulignent une esthétique un peu trash de noctambule. Pourtant, comme elle l’expliquera au cours de cet entretien, la musicienne se présente toujours sobrement aux inconnus en début de soirée : “Je suis Coucou Chloe et je chante.” Aujourd’hui, la productrice française installée à Londres défend Fever Dream, un premier album dans lequel elle convie notamment Brodinski ou la mystérieuse Eartheater. Sa musique est viscérale. Spontanée. Instinctive. Entre une techno obscure, une électro dark et un hip-hop industriel. Comme si elle n’existait que pour assumer pleinement ses anomalies.

 

– Le mot dark est-il approprié pour qualifier vos compositions ?

– Quand je fais de la musique, je ne réfléchis pas beaucoup. Je me moque un peu de la perception. Dois-je faire quelque chose de sensuel ? De sexy ? Disons que je fais, et puis c’est tout. On m’a souvent dit que ma musique était “super dark”. En y réfléchissant bien, c’est vrai qu’elle ne transpire pas la joie…”

 

Après avoir dit ça, Coucou Chloe a éclaté de rire. En réalité, elle est beaucoup plus sympathique que sur ses photos. En plus de cela elle confesse apprécier Lana Del Rey, le magazine scientifique C’est pas Sorcier et les playlists Animal Crossing, un jeu vidéo dans lequel on emménage dans un village peuplé d’adorables petits animaux…

 

– Vous m’aviez l’air très antipathique alors qu’en fait vous ne l’êtes pas du tout.

–  Ah ça… On me le dit constamment ! Je n’ai jamais compris pourquoi il fallait absolument sourire sur les photos. Sommes nous vraiment obligés de nous vendre sur toutes les images ?

 

Après avoir dit ça, elle a encore éclaté de rire… Comme elle ne voulait plus mettre “sa tête” sur la pochette de son disque, elle a choisi une caricature à la place. Un portrait satirique qui fait “une introduction amusante à son univers”. En y réfléchissant bien, le procédé tombe à pic. Ici, Coucou Chloe se défigure… autant qu’elle déforme les sons de ses morceaux.

 

 

J’aime bien récupérer des samples de chèvres et de chiens sur YouTube. Ça apporte un peu de vie.

2. Coucou Chloe : digne héritière de la musique concrète

 

Le compositeur français Pierre Henry en était persuadé : l’orage produit le plus beau des sons. Un rugissement d’autant plus splendide qu’il est impossible à transcrire en partition. Il en conservait donc un échantillon brut dans son appartement parisien, parmi les 50 000 enregistrements de sa collection. Ce pionnier de la musique concrète des années 60 – des œuvres fabriquées et déterminées par le seul fait d’entendre – préfigure sans le savoir l’électro contemporaine. Aux côtés de son ami Pierre Schaeffer il sculpte, façonne, mixe, transforme et mélange des bruits, composent à partir de sons enregistrés sur disque. Cette pratique expérimentale consiste à immortaliser les bruits du monde… puis à les reconstruire. Plus de cinquante ans après, c’est donc une jeune femme qui sample les gémissements de la planète, des cris d’animaux aux klaxons de bateaux. Coucou Chloe trafique sa voix et propulse les clubbeurs dans un monde de basses infernales et saturées. En digne héritière de la musique concrète, à laquelle elle intègre une dramaturgie moderne, elle transpose sur son logiciel des rêves insolites sous quarante de fièvre.

 

 

D’ordinaire, j’ose déjà faire tout ce qui me passe par la tête. Et pourtant, cette fois, je me suis sentie encore plus libre.

 

 

 – Finalement, vous produisez une sorte de musique concrète…

– Je ne me pose aucune règle avant de composer. Cela trahirait totalement le processus de création. J’aime bien récupérer des samples de chèvres et de chiens sur YouTube. Je tape : “Dog sound effect”, je télécharge, puis je triture le truc dans tous les sens. Ça m’amuse et c’est plus organique. Ça apporte un peu de vie.

 

Co-fondatrice du label NUXXE aux côtés de Shygirl et de Seda Bodega, Coucou Chloe avait déjà dévoilé il y a plusieurs semaines Drift, titre annonciateur de ce nouvel opus. Présenté comme “une ballade de basse gluante”, le morceau était illustré par un clip évoquant tout autant une fin de rave démoniaque que les personnages livides du Requiem for a Dream de Darren Aronofsky. Quelques jours plus tard, Pokerface proposait à son tour des voix spectrales, diaboliques et tordues, comme échappées de la piste de danse d’un club moite…

3. Le jour où Coucou Chloe a mis des mots sur des émotions

 

Quand elle était petite, Coucou Chloe apercevait son école primaire, au loin, par la fenêtre de sa chambre. Elle adorait contempler ce bâtiment, sans savoir que tous les prochains seraient bien différents. Ailleurs, elle se sentira toujours oppressée… Elle a quitté son école d’art sans forcément avoir envie de faire de la musique. La villa Arson de Nice. Une ville “fun”… mais “pas très inspirante”. C’est surtout de la scène qu’elle s’éprendra. Un langage revigorant, un jeu de découverte qui lui permet d’être elle-même ou une autre. Voire les deux à la fois.

 

– Qu’avez-vous découvert en composant ce nouveau projet ?

– Je crois que j’ai réussi à mettre des mots sur des émotions.

– Je ne comprends pas.

– Quand on produit un album, on expérimente. C’est assez drôle de voir ce que l’on va totalement recracher et ce qui va rester en nous à la fin. D’ordinaire, j’ose déjà faire tout ce qui me passe par la tête. Et pourtant, je me suis sentie encore plus libre.

 

Si elle devait absolument sauver un morceau de ce nouvel album, elle choisirait Never. Un titre qui lui fait ressentir des choses et sur lequel elle pourrait même crever. Et si elle devait plonger, pendant une semaine, dans l’univers d’un long-métrage, elle choisirait La Montagne sacrée (1973), le chef-d’œuvre de Jodorowsky ou un Godart “pour être coincée dans un film qui imite la vie de tous les jours”. Depuis cette interview, sans vraiment savoir pourquoi, on écoute la musique de Coucou Chloe autrement. De son côté, elle est en pleine tournée et a enfin repris la lecture. En ce moment, elle dévore L’Existentialisme est un humanisme de Sartre.


 

Fever Dream (2023) de Coucou Chloe disponible. En concert au Petit Bain (Paris) le jeudi 26 octobre 2023.