Comment Soulwax a révolutionné la musique électronique

Avant les réseaux sociaux et les plateformes de streaming, la musique pop a longtemps été le théâtre de querelles de chapelles. Il aura fallu que des groupes comme les Anglais de New Order imaginent la fusion entre les guitares et les machines, dans les années 80, pour qu’on n’ait plus à choisir son église entre les salles de concert moites et les clubs survoltés. Il faut saluer en cela une poignée d’artistes audacieux tels que le duo de magiciens français Daft Punk et les New-Yorkais de LCD Soundsystem, qui ont imaginé des hymnes dance-rock fédérateurs appelant à la paix entre les mélomanes. 

 

De Daft Punk à Charlotte Gainsbourg

 

C’est dans ce passionnant cheminement de décloisonnement que s’inscrit le groupe belge Soulwax. Fondé à Gand en 1995 autour de deux frères aux allures de dandys parés de costumes assortis, David et Stephen Dewaele, la formation va enchaîner, sans oeillères ni complexes, les albums, les remix (de Daft Punk, Kylie Minogue, Tame Impala, Gorillaz, Charlotte Gainsbourg, Sébastien Tellier) et les mix, notamment sous le pseudo 2 Many DJ’s. Leur toile de fond ? Un désir ardent de dresser des ponts entre la chaleur du disco et du funk, l’énergie électrique du rock, la folie expérimentale de la cold wave, l’érudition du jazz et la fièvre dansante de l’électronique. Ils nous avouent : « Notre devise est : « pourquoi faire les choses facilement ? ». » Ils ajoutent : « Nous n’essayons même pas de définir notre son. Nous essayons de faire la musique que nous voulons entendre et n’avons pas d’autre stratégie de carrière. »

Adulés par David Bowie

 

Parmi leurs aventures les plus hypnotiques, on compte des sélections musicales virtuoses et hallucinées comme le mix As heard on Radio Soulwax Pt.2 (qui vient d’être réédité), sur lesquels les deux frères échantillonnent jusqu’à une centaine d’enregistrements différents, télescopant des artistes aussi éclectiques que le Velvet Underground, les Destiny’s Child et les Stooges. « Il semble que les planètes se soient alignées de telle manière que ce disque est devenu une sensation à part entière, nous confie Soulwax. Parfois, un disque peut saisir le zeitgeist et celui-ci l’a clairement fait. Le succès de cette compilation a été si écrasant que peu de temps après sa sortie, on a eu l’impression qu’il vivait sa propre vie sans nous et il a ouvert de nombreuses portes aux personnes qui nous ont succédé. » Les collusions étranges, prodigieuses et jubilatoires de ce disque, qui érigent le mash-up en philosophie, remuent tous les sens de l’auditeur pour le plonger dans un état proche de la transe. De quoi leur valoir les louanges du regretté David Bowie, un maître en matière d’avant-garde et de folie créative. Et de nombreuses collaborations avec la maison Chanel, notamment des DJ sets et des remix et une amitié de plus de 20 ans avec l’illustrateur sonore Michel Gaubert.

 

Un détour par Coachella

 

Soulwax a aussi imaginé, dès 2013, un club itinérant nommé Despacio possédant un sound-system d’exception. Une initiative hédoniste qui a fait danser les festivaliers de Coachella en 2016, les yeux levés vers le ciel et un sourire lumineux aux lèvres, dans un bel esprit de communion. Réunir les esprits et les corps à travers des hymnes extatiques et ambitieux, tel est la mission que se sont donnés, depuis presque trois décennies, les frères Dewaele, Stephen (52 ans) et David (47 ans). Comme ils le répètent souvent, c’est la connexion entre les danseurs qui viennent écouter leurs mix sonores déments dans des soirées fiévreuses qui les fascinent. 

Sur les traces de Kraftwerk et de Depeche Mode

 

L’autre grand art de Soulwax, en plus de leur sens de la fête imaginée tel un espace de liberté et de partage ? Celui de ne jamais se répéter et de toujours repousser ses limites artistiques… Ainsi, en 2017, les artistes belges aux milles idées par minute sortaient un disque novateur, dans la lignée des bidouillages sonores de Kraftwerk et Depeche Mode, From Deewee (du nom de leur label et de leur studio-discothèque-bibliothèque). Enregistré d’une seule traite dans les conditions d’un concert, l’objet réunissait pas moins de trois batteurs. Autre défi ? Pour la bande-son du film franco-belge réalisé par Felix Van Groeningen Belgica (2016), ils inventaient une quinzaine de groupes aux genres musicaux variés, dont ils composaient toutes les chansons.

 

L’âme des machines

 

Plus à une audace près, le tandem inspiré publiait en 2020 un album intitulé EMS Synthi 100 – DEEWEE Sessions Vol.01. Une œuvre composée en collaboration avec l’institut d’études de psychoacoustique et de musique électronique de l’Université de Gand. Ce dernier a permis au groupe de jouer d’un synthétiseur rare des années 70 (il n’en existe qu’une trentaine d’exemplaires), l’EMS Synthi 100, de « la taille d’une cuisine moderne et semblant avoir été conçu pour un film de science-fiction« , nous précise le groupe. Un instrument précieux pour un groupe qui l’est tout autant dans sa quête de la création d’une musique synthétique à l’indéniable supplément d’âme . Car ce n’est pas un hasard si leur nom comprend le mot « Soul »…

 

Réédition d’As Heard On Radio Soulwax Pt. 2 de 2 Many Dj’s (Pias Recordings), disponible sur toutes les plateformes.