29 août 2019

Christophe Chassol: “Les BO des 70’s c’était un son génial. Maintenant tout est devenu cheap.”

Chef d’orchestre, musicien pour Phoenix ou Sebastien Tellier, arrangeur pour Solange ou Frank Ocean, Christophe Chassol a composé pour le cinéma comme pour la publicité. À 43 ans, il est passé du statut de musicien respecté par ses pairs à celui de véritable référence.

Propos recueillis par Alexis Thibault.

Christophe Chassol par Alain Sacrez

Juché sur un petit rocher au cœur du Parc Floral de Paris, Christophe Chassol répond aux questions en enchainant les cigarettes. Malgré son addiction à la nicotine, le tabac n’a jamais altéré sa voix suave. Celui à qui “Chassol” suffit amplement est passé du statut de musicien respecté par ses pairs à celui de référence : entré au Conservatoire à quatre ans, il intègre une école de jazz à quinze, reprend du Gainsbourg ou du Herbie Hancock avec ses amis puis rejoint le Berklee College of Music de Boston. Devenu chef d’orchestre, musicien pour Phoenix ou Sebastien Tellier, arrangeur pour Solange ou Frank Ocean, il compose aussi pour le cinéma et la publicité. Mais Chassol est bien plus que cela.

 

À 43 ans, le pianiste se plaît encore à harmoniser le réel : des samples de la nature – entre chants d’oiseaux et murmures de la rue – qu’il a baptisé “ultrascores”. Digne successeur du minimaliste new-yorkais Steve Reich, admirateur d’Ennio Morricone comme d’A$AP Rocky, Chassol transforme les discours en mélodies et les vidéos de YouTube en partitions intemporelles. À son actif, la performance live Nola Chérie (2009) – superposition malicieuse d’accords et de parades scolaires – commissionnée par le Musée d’art contemporain de La Nouvelle-Orléans. Mais aussi les projets Indiamore (2013) ou encore Big Sun (2015), dernier volet de sa trilogie d’ultrascores qui le pose en chirurgien de l’harmonie. C’est avec une humilité fascinante pour un artiste de son rang qu’il répond aux questions de Numéro, évoquant la batterie insupportable de Phil Collins ou la somptueuse villa de Solange.

Numéro : Je le confesse, je vous ai découvert tardivement lors de vos chroniques sur France Musique. Vous parliez notamment du chanteur emblématique de la nu-soul, D’Angelo, mais aussi du rappeur A$AP Rocky dont vous êtes fan. Vous sentez-vous proche des producteurs de rap dans votre façon de sampler les éléments de la nature ?

 

Christophe Chassol : L’avantage c’est que j’ai passé ma vie à écouter de la musique comme un gros nerd donc la liste des chroniques est intarissable. En parlant de Voodoo [2000], l’album de D’Angelo, j’ai voulu expliquer en quoi c’était une œuvre phare de la musique contemporaine. Lorsque j’étais en tournée avec Phoenix, le groupe écoutait sans cesse du Bob Dylan. Pourtant leur album Alphabetical [2004] est très influencé par celui de D’Angelo. Si je suis proche des producteurs de rap ? Sans doute. Mais aussi de la musique électronique dans ce cas. J’ai développé la technique de l’“autosample” dans les années 2000 en intégrant des sons à différentes touches de mon clavier. J’essaie de respecter une certaine “éthique du sample” car derrière ces échantillons sonores, il y a des types qui ont travaillé des centaines d’heures en studio. Il faut absolument que je sache en quelle année cela a été produit, par qui, comment et pourquoi.

 

Au sein de vos compositions, on retrouve de nombreux extraits de sorties scolaires et même une chorale d’enfants russes. Quels sont les critères du sample idéal ?

 

Le sample est une tradition issue du minimalisme américain, les premières pièces de Steve Reich consistent en un assemblage de bandes qu’il découpe, écarte et superpose. Pour que cela fonctionne, il faut sculpter le sample. J’ai toujours été une sorte d’artisan. Lorsque je choisis mes videos sur YouTube, je sais pertinemment que je dois sélectionner un extrait monophonique afin de pouvoir y superposer des accords par la suite.

 

Vous avez présenté des chroniques sur France Musique, composé des bandes originales de films [Notre jour viendra de Romain Gavras ou La Délicatesse de David Foenkinos], des musiques de publicité… Votre méthode de composition est-elle toujours la même ?

 

La plupart du temps, ce sont des commandes. La méthode varie donc en fonction de l’interlocuteur. Ce qui est différent avec la publicité, c’est la notion de temps : on a toujours l’impression de travailler pour hier. De toute façon, je déteste le concept même de publicité, tu peux demander à Martin Scorsese de réaliser le spot, cela restera toujours une vidéo promotionnelle pour un yaourt. Malgré tout, la pub reste le meilleur moyen de gagner de l’argent. Passer par là, c’était le moyen d’acheter ma liberté.

 

 

Cherche-t-on encore l’inspiration auprès de ses homologues lorsqu’on est diplômé du Berklee College of Music de Boston, que l’on a dirigé plusieurs orchestres et collaboré avec de grands artistes ?

 

Les idées, on les a en faisant. Je ne cherche pas vraiment de nouvelles influences, j’ai déjà trop de trucs à bosser [Rires]. En vérité, j’ai de nombreuses lacunes : je m’acharne sur les concertos de Ravel sans parvenir à les jouer en entier par exemple. Mais je dois admettre que le dernier album de Solange [When I Get Home] a insufflé de nouvelles choses.

 

Un album auquel vous avez grandement participé d’ailleurs, comment avez vous rencontré Solange ?

 

Elle m’a appelé en 2017. Elle avait découvert mon album Big Sun (2015) dans le cadre d’une exposition au Musée d’art contemporain de La Nouvelle-Orléans et m’a proposé de faire ses premières parties à New York et à San Francisco. Deux moment géniaux. Dans la foulée, elle m’invite chez elle, à Los Angeles, pour travailler sur son nouvel album : une baraque incroyable toute en bois avec vue sur les collines à 360 degrés et une énorme moquette au sol… Nous avons enregistré pendant cinq jours avant que je ne m’isole avec elle pour l’interviewer. J’ai alors élaboré des morceaux à partir de ses propres réponses en calquant les notes sur le son de sa voix. Visiblement ça lui a plu puisque Things I Imagined ouvre l’album et que le titre Dreams y figure également. Mais mon morceau préféré reste Almeida.

 

Pour moi aussi c’est le meilleur. Sa performance au festival Afropunk en juin dernier était incroyable !

 

Oui, j’y étais ! Je me suis dit “Putain ça défonce”.

 

Frank Ocean travaille-t-il de la même manière ?

 

Au moment où il m’a contacté pour travailler sur ses projets Endless et Blonde, je n’avais jamais entendu parler de Channel Orange [son premier album sorti en 2012]. Je l’ai rejoint à Londres, dans un studio d’Abbey Road qu’il avait loué pendant un mois entier. On bossait toute la nuit jusqu’au petit matin. Nous nous sommes revus pas mal de fois depuis. Ce qui est fou c’est qu’on ne sait jamais à l’avance comment il va utiliser les choses.

 

Avez-vous le sentiment que les musiciens soient devenus de simples produits marketing ?

 

Peut-être, pour la grande majorité. Mais j’estime qu’il s’agit d’une autre profession. J’ai toujours eu un problème avec le son trop propre, trop moderne, trop bien produit. J’aime quand c’est mat, cela me rappelle ce que j’écoutais lorsque j’étais adolescent. Je déteste les caisses claires qui résonnent, je n’aime pas Phil Collins, je n’aime pas Peter Gabriel ni toute la musique post-années 80 de façon générale.

 

On assiste pourtant à un revival 70-80 depuis quelques années…

 

70 ce n’est pas 80. Avant, les mecs n’avaient pas peur de la musique. Les bandes originales des années 70 c’était des expérimentations, un son génial, un orchestre avec quatre flutes et un putain de batteur de jazz. Puis le capitalisme a tout transformé : tout est devenu cheap parce qu’il fallait vendre davantage.

Le bon musicien est-il celui qui a conscience de ce qu’il fait et maîtrise toute les étapes de production ?

 

Non, il n’y a pas de règle. Expliquer les choses n’enlève aucune poésie et, de toute façon, il y aura toujours une partie qui t’échapperas si tu te laisses emporter par l’addition des choses. Moi, je vais de A à B, pas de A à Z. Car je ne prétends jamais faire quelque chose de complet. Le plus difficile est justement d’identifier ce fameux point B. Comment faire sonner différemment une seule et même note simplement en changeant les accords qui l’enrobent. Avec le temps, mes partitions ont beaucoup évoluées. Avant j’inscrivais des notes, aujourd’hui j’inscris des mots, des phrases…

 

Selon-vous, votre notoriété a-t-elle permis une réévaluation de vos premiers enregistrements qui, à l’époque, n’intéressaient pas les labels ?

 

C’est drôle, les choses qui semblent moins bien produites ont un véritable cachet aujourd’hui. J’ai réécouté des compositions des années 2000 et je crois que ça tient la route. À l’époque, les méthodes d’écriture étaient différentes. Avant 2000, je n’avais pas d’ordinateur, j’écrivais tout à la main, je bookais des répétitions pour 24 musiciens, organisait tous les arrangements de chaque instrument, c’était très organisé. Très structuré mais très classique.

 

 

Christophe Chassol sera en concert à la Fondation Cartier le 13 septembre prochain et en double concert avec le pianiste Chilly Gonzales à la salle Pleyel le 16 novembre.