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Chassol : le collaborateur de Solange et de Frank Ocean s’empare de la Philharmonie de Paris
Chef d’orchestre, musicien pour Phoenix ou Sébastien Tellier, arrangeur pour Solange ou Frank Ocean, Christophe Chassol a composé pour le cinéma comme pour la publicité. À 49 ans, il est passé du statut de musicien respecté par ses pairs à celui de véritable référence. Il présentera son nouveau projet audiovisuel, Funny How, à la Philharmonie de Paris les 17 et 18 avril 2026.
propos recueillis par Alexis Thibault.
Publié le 29 août 2019. Modifié le 10 décembre 2025.

Christophe Chassol, le pianiste qui collabore avec Solange et Frank Ocean
Août 2019. Juché sur un petit rocher au cœur du Parc Floral de Paris, Christophe Chassol répond aux questions de Numéro en enchainant les cigarettes. Malgré son addiction à la nicotine, le tabac n’a jamais altéré sa voix suave. Celui à qui “Chassol” suffit amplement est passé du statut de musicien respecté par ses pairs à celui de référence. entré au Conservatoire à quatre ans, il intègre une école de jazz à quinze, reprend du Serge Gainsbourg ou du Herbie Hancock avec ses amis puis rejoint le Berklee College of Music de Boston. Devenu chef d’orchestre, musicien pour Phoenix ou Sébastien Tellier, arrangeur pour Solange (l’opus When I Get Home en 2019) ou Frank Ocean (le titre U.N.I.T.Y. en 2016), il compose aussi pour le cinéma et la publicité. Mais Chassol est bien plus que cela…
À 49 ans, le pianiste se plaît encore à harmoniser le réel. Des samples de la nature, entre chants d’oiseaux et murmures de la rue, qu’il a baptisé “ultrascores”. Digne successeur du minimaliste new-yorkais Steve Reich, admirateur d’Ennio Morricone comme d’A$AP Rocky, Chassol transforme les discours en mélodies et les vidéos de YouTube en partitions intemporelles. À son actif, la performance live Nola Chérie (2009), superposition malicieuse d’accords et de parades scolaires, commissionnée par le Musée d’art contemporain de La Nouvelle-Orléans. Mais aussi les projets Indiamore (2013) ou encore Big Sun (2015), dernier volet de sa trilogie d’ultrascores qui le pose en chirurgien de l’harmonie.

Christophe Chassol en concert à la Philharmonie de Paris
Christophe Chassol se lance ici dans l’un de ces dispositifs transversaux dont il a le secret, à la fois enquête musicale et geste cinématographique, en prenant pour terrain de jeu un objet a priori peu attendu : l’univers du stand-up américain. Ce nouveau cycle, qu’il livre aujourd’hui dans sa déclinaison scénique, part d’une intuition simple et vertigineuse : considérer certains standuppers américains comme de véritables virtuoses, travaillant le rythme, le phrasé, la dynamique du silence et de la relance avec une précision proche de celle des grands instrumentistes. Guidé par cette fascination, Chassol s’est rendu aux États-Unis, entre Chicago, New York et Los Angeles, pour filmer ces performeurs, sur scène comme dans les interstices du quotidien, dans les coulisses, les rues, les temps morts. Bref, dans ce réel qu’il se plaît depuis longtemps à “harmoniser”.
Fidèle à sa méthode, il a ensuite traité ces images comme un matériau brut à transfigurer. À partir des voix, des intonations, des respirations, des tics de langage, il compose une partition orchestrale qui vient épouser, décaler ou mettre en tension le flux du stand-up. Le processus créatif s’enrichit de nouvelles strates… Il en résulte un matériau foisonnant, à plusieurs niveaux de lecture, qui se déploie simultanément sous la forme d’un film, d’un album et d’une série de performances live. Baptisé Funny How, ce nouvel opus sera présenté les 17 et 18 avril 2026 à la Philharmonie de Paris. Il y a quelques années, c’est avec une humilité fascinante pour un artiste de son rang qu’il répondait aux questions de Numéro, évoquant la batterie insupportable de Phil Collins ou la somptueuse villa de Solange.
L’interview de Christophe Chassol
Numéro : Je vous ai découvert bien trop tardivement lors de vos chroniques sur France Musique. Vous évoquiez notamment le chanteur emblématique de la nu-soul, D’Angelo, mais aussi le rappeur A$AP Rocky dont vous êtes fan. Vous sentez-vous proche des producteurs de rap ?
Christophe Chassol : L’avantage, c’est que j’ai passé ma vie à écouter de la musique comme un gros nerd donc la liste des chroniques est intarissable. En parlant de Voodoo [2000], l’album de D’Angelo, j’ai voulu expliquer en quoi c’était une œuvre phare de la musique contemporaine. Lorsque j’étais en tournée avec Phoenix, le groupe écoutait sans cesse du Bob Dylan. Pourtant, leur album Alphabetical [2004] est très influencé par celui de D’Angelo. Si je suis proche des producteurs de rap ? Sans doute. Mais aussi de la musique électronique dans ce cas.
À quel moment avez-vous développé la technique de “l’autosample” ?
Dans les années 2000, en intégrant des sons à différentes touches de mon clavier. J’essaie de respecter une certaine “éthique du sample” car derrière ces échantillons sonores, il y a des types qui ont travaillé des centaines d’heures en studio. Il faut absolument que je sache en quelle année cela a été produit, par qui, comment et pourquoi.
Au sein de vos compositions, on retrouve de nombreux extraits de sorties scolaires et même une chorale d’enfants russes. Quels sont les critères du sample idéal ?
Le sample est une tradition issue du minimalisme américain, les premières pièces de Steve Reich consistent en un assemblage de bandes qu’il découpe, écarte et superpose. Pour que cela fonctionne, il faut sculpter le sample. J’ai toujours été une sorte d’artisan. Lorsque je choisis mes vidéos sur YouTube, je sais pertinemment que je dois sélectionner un extrait monophonique afin de pouvoir y superposer des accords par la suite.
Vous avez présenté des chroniques sur France Musique, composé des bandes originales de films [Notre jour viendra de Romain Gavras ou La Délicatesse de David Foenkinos], des musiques de publicité… Votre méthode de composition est-elle toujours la même ?
La plupart du temps, ce sont des commandes. La méthode varie donc en fonction de l’interlocuteur. Ce qui est différent avec la publicité, c’est la notion de temps : on a toujours l’impression de travailler pour hier. De toute façon, je déteste le concept même de publicité, tu peux demander à Martin Scorsese de réaliser le spot, cela restera toujours une vidéo promotionnelle pour un yaourt. Malgré tout, la pub reste le meilleur moyen de gagner de l’argent. Passer par là, c’était le moyen d’acheter ma liberté.
Cherche-t-on encore l’inspiration auprès de ses homologues lorsqu’on est diplômé du Berklee College of Music de Boston, que l’on a dirigé plusieurs orchestres et collaboré avec de grands artistes ?
Les idées, on les a en faisant. Je ne cherche pas vraiment de nouvelles influences, j’ai déjà trop de trucs à bosser [Rires]. En vérité, j’ai de nombreuses lacunes : je m’acharne sur les concertos de Ravel sans parvenir à les jouer en entier par exemple. Mais je dois admettre que le dernier album de Solange [When I Get Home] a insufflé de nouvelles choses.
Un album auquel vous avez grandement participé d’ailleurs, comment avez-vous rencontré Solange ?
Elle m’a appelé en 2017. Elle avait découvert mon album Big Sun (2015) dans le cadre d’une exposition au Musée d’art contemporain de La Nouvelle-Orléans et m’a proposé de faire ses premières parties à New York et à San Francisco. Deux moments géniaux. Dans la foulée, elle m’invite chez elle, à Los Angeles, pour travailler sur son nouvel album : une baraque incroyable, en bois, avec vue sur les collines à 360 degrés et une énorme moquette au sol…
Combien de temps l’enregistrement a-t-il duré ?
Cinq jours. Je l’ai interviewé puis j’ai élaboré des morceaux à partir de ses propres réponses en calquant les notes sur le son de sa voix. Visiblement ça lui a plu puisque Things I Imagined ouvre l’album et que le titre Dreams y figure également. Mais mon morceau préféré reste Almeida…
Frank Ocean travaille-t-il de la même manière ?
Au moment où il m’a contacté pour travailler sur ses projets Endless et Blonde, je n’avais jamais entendu parler de Channel Orange [son premier album sorti en 2012]. Je l’ai rejoint à Londres, dans un studio d’Abbey Road qu’il avait loué pendant un mois entier. On bossait toute la nuit jusqu’au petit matin. Nous nous sommes revus pas mal de fois depuis. Ce qui est fou, c’est qu’on ne sait jamais à l’avance comment il va utiliser les choses.
Avez-vous le sentiment que les musiciens soient devenus de simples produits marketing ?
Peut-être, pour la grande majorité. Mais j’estime qu’il s’agit d’une autre profession. J’ai toujours eu un problème avec le son trop propre, trop moderne, trop bien produit. J’aime quand c’est mat, cela me rappelle ce que j’écoutais lorsque j’étais adolescent. Je déteste les caisses claires qui résonnent. Je n’aime pas Phil Collins, je n’aime pas Peter Gabriel ni toute la musique post-années 80 de façon générale.
On assiste pourtant à un revival 70-80 depuis quelques années…
70 ce n’est pas 80. Avant, les mecs n’avaient pas peur de la musique. Les bandes originales des années 70, c’était des expérimentations. Un son génial, un orchestre avec quatre flutes et un putain de batteur de jazz. Puis le capitalisme a tout transformé : tout est devenu cheap parce qu’il fallait vendre davantage.
Le bon musicien est-il celui qui a conscience de ce qu’il fait et maîtrise toutes les étapes de production ?
Non, il n’y a pas de règle. Expliquer les choses n’enlève aucune poésie et, de toute façon, il y aura toujours une partie qui t’échappera si tu te laisses emporter par l’addition des choses. Moi, je vais de A à B, pas de A à Z. Car je ne prétends jamais faire quelque chose de complet. Le plus difficile est justement d’identifier ce fameux point B. Comment faire sonner différemment une seule et même note simplement en changeant les accords qui l’enrobent. Avec le temps, mes partitions ont beaucoup évoluées. Avant, j’inscrivais des notes, aujourd’hui, j’inscris des mots, des phrases…
Selon-vous, votre notoriété a-t-elle permis une réévaluation de vos premiers enregistrements qui, à l’époque, n’intéressaient pas les labels ?
C’est drôle, les choses qui semblent moins bien produites ont un véritable cachet aujourd’hui. J’ai réécouté des compositions des années 2000 et je crois que ça tient la route. À l’époque, les méthodes d’écriture étaient différentes. Avant 2000, je n’avais pas d’ordinateur. J’écrivais tout à la main. Je bookais des répétitions pour 24 musiciens, organisait tous les arrangements de chaque instrument, c’était très organisé. Très structuré, mais très classique.
Chassol sera en concert à la Philharmonie de Paris les 17 et 18 avril 2026.