18 oct 2023

César 2024 : quel artiste se produira en live à la cérémonie ?

Premier pianiste soliste de l’histoire à remplir l’Accor Arena de Bercy, le Français Sofiane Pamart défendait en octobre 2023 Noche, un troisième album solo dans lequel il racontait les nuits étouffantes de l’Amérique latine. Il sera cette année sur la scène du théâtre du Châtelet pour les César 2024.

La performance de Christine and The Queens en 2016, un duo entre le rappeur Dinos et Charlotte Gainsbourg qui reprennent Comme un boomerang en 2023, Catherine Ringer en 2021… Cette année c’est le pianiste Sofiane Pamart qui s’empare de la scène du théâtre du Châtelet à l’occasion de la 49e cérémonie des César qui célébrera notamment l’actrice Agnès Jaoui et le réalisateur américain Christopher Nolan. Grands favoris de cette édition : Le Règne Animal de Thomas Cailley et Anatomie d’une chute de Justine Trillet. Pour cette occasion, Numéro revient sur son interview de Sofiane Pamart qui défendait, en octobre 2023, son troisième album solo : Noche.

 

Plonger dans les compositions éthérées de Sofiane Pamart, c’est accepter de s’infliger une tristesse inattendue. Comme une peine qui n’a pas lieu d’être, mais qui surgit malgré tout, sans crier gare. Cependant, la saudade du pianiste reste revigorante, car ses mélodies cristallines dessinent, en direct, des paysages multicolores. C’est d’ailleurs ce qui a permis au natif d’Hellemmes-Lille de connaître un succès fulgurant. En novembre 2018, il accorde à Numéro, dans une petite brasserie parisienne, l’une de ses premières interviews. On cherchait alors à comprendre les origines de son premier disque, Planet, transcription musicale de ses explorations du monde où chaque morceau portait le nom d’une ville. 

 

Interview du pianiste Sofiane Pamart, qui raconte les nuits d’Amérique latine dans son troisième album solo, Noche

 

Derrière son piano, il faisait résonner les métropoles grouillantes, les îles du Pacifique Sud, les ruines de Carthage ou les clubs enfumés de Chicago. Déjà à l’époque, son propos est limpide. Lucide aussi. Très vite, les organes de presse s’emballent et consacrent eux aussi plusieurs pages de leurs gazettes à cet étrange virtuose qui sidère les rappeurs, ses proches collaborateurs, dont il a repris tous les codes : bagues hypertrophiées, grillz provocateur et lunettes de soleil ultra fashion. Cinq ans plus tard, Sofiane Pamart a changé de regard et d’attitude. À 33 ans, ce pur produit du Conservatoire, désormais volubile, ne détourne plus le regard. Et pour cause : en 2022, il est devenu le premier pianiste soliste de l’histoire à remplir l’Accor Arena de Bercy. Disponible ce vendredi 20 octobre, son troisième album s’intitule sobrement Noche. Il y raconte en quinze morceaux, après plusieurs semaines de retraite, les nuits étouffantes de l’Amérique latine, guidé par les tapages nocturnes d’une étrange faune tropicale. Rencontre.

 

Numéro : J’espère que vous vous souvenez de moi… Je ne vous cache pas que je serai profondément vexé si ce n’est pas le cas.

Sofiane Pamart : Évidemment ! C’était en novembre 2019, je venais de sortir Planet, mon premier album. L’ouragan n’était pas encore arrivé. L’histoire devait encore être écrite. [Rires]


Vous avez changé ! Vous semblez plus… confiant.

Je vous promets que je suis resté le même. J’ai simplement engrangé davantage d’expérience. J’ai appris à adopter la bonne attitude sur les plateaux de télévision, je me sens moins pris au dépourvu pendant les interviews et j’ai enfin intégré que tout cela faisait vraiment partie de ma vie. À l’époque, aux yeux du public, je n’étais personne. J’ai eu la chance d’être très bien entouré. Et mon handicap est devenu mon atout majeur : je suis pianiste. Il fallait créer cette identité de toute pièce, quelque chose d’accessible et de populaire. En fait j’ai appris à défendre et à gérer mon projet.

 

 

« La célébrité reste une anomalie mentale : ce n’est pas normal d’être autant aimé. C’est notre musique que l’on devrait apprécier, pas nous » Sofiane Pamart

 

 

 

Je m’autorise une petite question façon Nikos Aliagas dans 50′ inside : quelles ont été les trois étapes les plus importantes de votre carrière ?

Ça me va, j’adore Nikos ! [Rires.] Mmmh. Jouer sous les aurores boréales en Laponie lors du concert organisé par Cercle. La sortie de Planet Gold (2019), la réédition de mon premier album. Cela m’a permis de rester exposé plus longtemps et de me faire connaître davantage. Et puis Bercy évidemment.

 

 

L’ego prend-t-il inévitablement le dessus lorsqu’on nous propose ce genre de salle de concert emblématique ?

Mon manager, Guillaume Héritier, est très, très, très, ambitieux. Mais il calcule tout en permanence. Un jour, on a reçu un coup de téléphone : on nous proposait Bercy. Il a raccroché puis il m’a regardé droit dans les yeux : on se demandait si ce qui venait de se passer était vraiment bien réel. Ça paraissait complètement fou ! Imaginez bien, il ne s’est écoulé qu’un an et demi entre mon premier concert… et mon Bercy. Du travail, de la technique, de l’organisation collective et de l’émotion. 

Comment ne pas partir en vrille après tout cela ?

[Il réfléchit] Vous savez, proportionnellement, j’ai vécu davantage d’années de “vie de galère” que de “vie de star”. Maintenant, j’ai le vertige et j’ai peur de ce qu’il y a en bas. Le succès, j’en ai rêvé sans savoir comment l’atteindre. J’ai parfois peur. Vraiment peur. Donc je travaille à en perdre la tête pour ne plus jamais revivre ma crainte de la facture. Vous savez, celle qui arrive par courrier et qui vous achève parce que vous n’avez pas les moyens de la payer. Il me reste encore des angoisses de ma culture populaire. Qu’est-ce que je ferais si tout s’arrêtait d’un coup ?

 

Les artistes sont de plus en plus nombreux à évoquer les conséquences de ce métier sur leur santé mentale…

Certains connaissent cette angoisse, d’autres ont la certitude, que rien ne changera plus jamais. En fait, le succès est une anomalie. Nous avons besoin de cette surexposition pour développer notre art et nous endossons un nouveau rôle social mais, en vérité, la célébrité reste une anomalie mentale : ce n’est pas normal d’être autant aimé. C’est notre musique que l’on devrait apprécier, pas nous. Donc il faut absolument créer une distance. Et pour cela il faut être vraiment très fort. Mon père travaillait dans les mines. Ça, c’est un combat. Ce que je dois traverser est incomparable. La santé mentale des artistes est un sujet sérieux, mais, de mon point de vue, j’ai du mal à me plaindre. Je profite de la chance que j’ai tout en gardant dans un coin de ma tête qu’à tout moment, on peut complètement se perdre.

 

« J’ai ressenti la pression de la nuit latino-américaine, une sorte de conte brûlant dans lequel j’ai plongé sans réfléchir » Sofiane Pamart

 

Êtes-vous conscient qu’une certaine mélancolie accompagne chacun de vos morceaux ?

Oui mais je la trouve lumineuse cette mélancolie. En tout cas, elle me procure toujours quelque chose de positif. Les gens les plus tristes se sentent soulagés de voir leur malheur raconté par un piano. Le deuil est un sujet qui m’intéresse beaucoup parce que je me suis toujours demandé si je ne pouvais pas en faire quelque chose de… lumineux. Avec mon premier album, Planet, j’avais beaucoup de choses à prouver. C’est pourquoi j’ai entrepris quelque chose de virtuose, bourré d’arpèjes grandiloquents. Depuis, j’ai épuré mon propos. Inutile de chercher à en mettre plein la vue : parfois, les thèmes les plus simples sont les plus efficaces. C’est exactement ce que j’ai fait avec le morceau Vera. Une seule octave et une même rengaine qui raconte l’histoire d’une femme qui a perdu son enfant. La douleur la plus atroce que l’on puisse expérimenter. Face aux événements tragiques du mon réel, mon premier réflexe c’est de me réfugier dans l’imaginaire pour inventer une histoire alternative…

 

Vous avez longtemps été décrit comme “le pianiste des rappeurs”, ne craignez-vous pas de devenir un ersatz de vous-même avec votre carrière solo et des disques aussi épurés ?

Pendant longtemps, j’ai été relégué au second plan : j’accompagnais les autres. En arrivant sur le devant de la scène, je me suis demandé ce qui pouvait bien justifier mon discours. Étais-je vraiment légitime de raconter tout cela ? Finalement, je préfère prendre le risque que mes morceaux se ressemblent plutôt que de me disperser. Les autres univers, j’y accède grâce à mes collaborations. J’ai toujours trouvé cela génial d’avoir créé un lien privilégié avec le milieu du rap en tant pianiste. D’autant que mon succès en solo est devenu progressivement plus important. Josman est devenu l’un de mes amis les plus proches, nous partons même en vacances ensemble… [Rires]

 

Quelle a été votre collaboration la plus périlleuse ?

Contre toute attente, celle avec Arno [chanteur belge disparu en avril 2022] m’a beaucoup marquée. Son expérience scénique était extraordinaire. Dès notre première rencontre, il m’a annoncé qu’il était en fin de vie. Comme s’il souhaiter passer le flambeau. Ça, je dois dire que ça m’a bouleversé. Il ne s’agissait pas de créer pour créer, nous avions une mission à remplir, c’était plus qu’un simple album. 

Vous aviez déjà consacré un morceau à la ville de Medellín (Colombie) dans votre album Planet (2019), pourquoi l’Amérique latine a-t-elle encore trouvée grâce à vos yeux ?

Le morceau Medellín a connu un succès retentissant qui m’a aussi servi de déclic. C’était donc un mélange de stratégie et de découverte. On explore, on cherche, puis on se rend compte qu’une certaine suite d’accords nous plaît vraiment. Que l’on se sent bien avec cette atmosphère musicale et que le public, lui aussi, apprécie ces inspirations latines qui se marient à merveille avec un piano classique. J’ai donc souhaité explorer davantage cet univers et, par chance, j’ai effectué une tournée là-bas, en Amérique latine, à travers six pays différents. J’ai donc joué Medellín… à Medellín. Le public a semblé apprécier le rapport entre la tragédie, la violence et la passion. Cela m’a ouvert des portes internationales : j’apparaissais dans des playlists et des recommandations d’albums. 


Votre processus créatif était-il le même que pour l’album Planet ?

Au départ, je cherchais l’inspiration. Je me demandais comment me lancer en décrivant les paysages qui m’entouraient. Et dans Letter, j’adressais une lettre d’amour à mon public. Cette fois, pour Noche, je me suis rendu là-bas en tant qu’artiste confirmé qui souhaite exploiter la nuit. Car dans ma vie, tout est devenu nocturne. C’est le seul moment intime que je suis parvenu à préserver. Comme un état d’introspection profonde. En fait, j’ai ressenti la pression de la nuit latino-américaine, une sorte de conte brûlant dans lequel j’ai plongé sans réfléchir. Là-bas, la nuit est plus chaude, plus vraie, enveloppée dans une sorte de halo que je ne parvenais pas à décortiquer pour le raconter en musique… Il fallait que je trouve autre chose.

 

D’où l’utilisation de pianos électriques comme le Rhodes ou le Wurlitzer…

C’est ça. Ils m’ont permis d’exprimer quelque chose de plus chaleureux. Là-bas, dans la nuit, on perçoit des bruits, au loin. On devine des bavardages dans une autre langue que la notre. Mexico grouille encore, elle est en surcharge.

 

Si vous pouviez dérober une aptitude à un autre artiste, qui serait victime de votre larcin ?

Le moonwalk de Michael Jackson. Entre deux morceaux de piano ça pourrait être incroyable non ?

 

Noche (2023) de Sofiane Pamart, disponible.