10 oct 2024

La poésie, les JO et sa nouvelle carrière américaine… les confidences de Sofiane Pamart

Premier pianiste soliste de l’histoire à remplir l’Accor Arena de Bercy, le Français Sofiane Pamart défendait en octobre 2023 Noche, un troisième album solo dans lequel il racontait les nuits étouffantes de l’Amérique latine. Après sa prestation lors de la cérémonie des jeux olympiques de Paris, avec Juliette Armanet, il réédite son dernier disque – Noche Deluxe – et dévoile cinq morceaux inédits.

Propos recueillis par Alexis Thibault.

Jeux olympiques de Paris 2024 et réédition de son album : la folle année de Sofiane Pamart

En octobre 2023, Numéro avait rencontré Sofiane Pamart qui défendait alors son troisième album solo : Noche. Entre temps, le pianiste français de 34 ans a eu l’occasion de se produire lors de la 49e cérémonie des César, à l’Olympia, le 23 février 2024, puis pendant la cérémonie d’ouverture des jeux olympiques de Paris, aux côtés de Juliette Armanet. Il révèle désormais cinq nouveaux morceaux de piano solo, extraits de la réédition de son album Noche Deluxe, disponible le 18 octobre. En filigrane, une réflexion sur la poésie, genre littéraire qu’il a cherché à mieux comprendre pour ensuite le reconstruire en musique.

Plonger dans les compositions éthérées de Sofiane Pamart, c’est accepter de s’infliger une tristesse inattendue. Comme une peine qui n’a pas lieu d’être, mais qui surgit malgré tout, sans crier gare. Cependant, la saudade du musicien reste revigorante, car ses mélodies cristallines dessinent, en direct, des paysages multicolores. C’est d’ailleurs ce qui a permis au natif d’Hellemmes-Lille de connaître un succès fulgurant. En novembre 2018, on cherchait déjà à comprendre les origines de son premier disque, Planet, transcription musicale de ses explorations du monde où chaque morceau portait le nom d’une ville. En 2022, il devient le premier pianiste soliste de l’histoire à remplir l’Accor Arena de Bercy.

Derrière son piano, Sofiane Pamart faisait résonner les métropoles grouillantes, les îles du Pacifique Sud, les ruines de Carthage ou les clubs enfumés de Chicago. Déjà à l’époque, son propos est limpide. Lucide aussi. Très vite, les organes de presse s’emballent et consacrent eux aussi plusieurs pages de leurs gazettes à cet étrange virtuose qui sidère les rappeurs, ses proches collaborateurs, dont il a repris tous les codes : bagues hypertrophiées, grillz provocateur et lunettes de soleil ultra fashion.

Poesía (2024) de Sofiane Pamart.

Interview du pianiste Sofiane Pamart, qui raconte les nuits d’Amérique latine dans son troisième album solo, Noche

Numéro: Alors comme ça on déménage à Los Angeles…

Sofiane Pamart : Franchement, je ne pourrais pas être plus heureux… Ici, j’ai l’impression d’être sur un perchoir avec une vue imprenable sur toute la ville parfois plongée dans la brume. Cette vie d’artiste, avec une villa à Los Angeles comme on en voit dans les documentaires, j’en ai toujours rêvé. Dans le voisinage, il y a Leonardo DiCaprio ou Keanu Reeves, vous voyez. Parfois je me demande vraiment ce qu’il s’est passé… Comment en suis-je arrivé-là ?

Je présume que cette nouvelle vie a aussi une portée stratégique…

Évidemment. J’avais déjà effectué plusieurs tournées aux États-Unis, et tout s’était bien déroulé. Le public américain semblait accrocher à ma proposition artistique. Les Américains ont l’habitude de se mettre en scène, d’accumuler les compétences tout en se diversifiant. Ils ont un rapport au show plus exubérant, plus ambitieux, plus spontané et, ça, c’est très interessant pour moi parce que je ne parle pas sur scène. Il fallait donc que je transforme mon attitude en concert pour ne pas avoir l’air distant ou méprisant et communiquer différemment avec mon instrument. Cela passait par les gestes, les jeux de regards, les pauses, quelques improvisations et une attention plus ferme vis-à-vis de ce qui se passait dans la salle.

Vous avez changé ! Vous semblez plus… confiant.

Je vous promets que je suis resté le même. J’ai simplement engrangé davantage d’expérience. J’ai appris à adopter la bonne attitude sur les plateaux de télévision, je me sens moins pris au dépourvu pendant les interviews et j’ai enfin intégré que tout cela faisait vraiment partie de ma vie. À l’époque, aux yeux du public, je n’étais personne. J’ai eu la chance d’être très bien entouré. Et mon handicap est devenu mon atout majeur : je suis pianiste. Il fallait créer cette identité de toute pièce, quelque chose d’accessible et de populaire. En fait j’ai appris à défendre et à gérer mon projet.

« La célébrité reste une anomalie mentale : ce n’est pas normal d’être autant aimé. C’est notre musique que l’on devrait apprécier, pas nous » Sofiane Pamart

Sofiane Pamart et Juliette Armanet interprètent le morceaux Imagine de John Lennon lors de la cérémonie d’ouverture des jeux olympiques de Paris 2024.

Quelles ont été les trois étapes les plus importantes de votre carrière ?

Jouer sous les aurores boréales en Laponie lors du concert organisé par Cercle. La sortie de Planet Gold (2019), la réédition de mon premier album. Cela m’a permis de rester exposé plus longtemps et de me faire connaître davantage, mon concert à Bercy, évidemment, et puis les jeux olympiques…

Lors de la cérémonie d’ouverture, vous avez interprété le titre Imagine aux côtés de Juliette Armanet. En quoi cette prestation a-t-elle été un coup d’accélérateur supplémentaire pour votre carrière ?

Avant cela, la vidéo de mon concert sous les aurores boréales avait déjà eu une portée internationale. Mais, il y a effectivement eu un avant et un après JO. J’étais dans la confidence depuis deux ans et demi mais j’avais signé une clause de confidentialité qui m’empêchait de révéler quoi que ce soit. Ma propre famille n’était pas au courant ! Tout le monde l’a vraiment appris au dernier moment. J’ai autant aimé la préparation en secret que la prestation en elle-même. Je savais que je participais à un événement historique. Puis tout arrive en cinq minutes. On monte sur la scène, le piano prend feu et je me retrouve avec Juliette devant le monde entier. Je n’étais pas stressé, cependant, je ne voulais manquer aucune seconde de ce moment, il fallait que j’en apprécie chaque instant. Dans la foulée, j’ai reçu des sollicitations internationales et de nouvelles opportunités de business. La boîte mail de mon manager se faisait bombarder !

L’ego prend-t-il inévitablement le dessus lorsqu’on nous propose ce genre de concert emblématique ?

Mon manager, Guillaume Héritier, est très, très, très, ambitieux. Mais il calcule tout en permanence. Un jour, on a reçu un coup de téléphone : on nous proposait Bercy. Il a raccroché puis il m’a regardé droit dans les yeux : on se demandait si ce qui venait de se passer était vraiment bien réel. Ça paraissait complètement fou ! Imaginez bien, il ne s’est écoulé qu’un an et demi entre mon premier concert… et mon Bercy. Du travail, de la technique, de l’organisation collective et de l’émotion. 

Comment ne pas partir en vrille après tout cela ?

[Il réfléchit] Vous savez, proportionnellement, j’ai vécu davantage d’années de “vie de galère” que de “vie de star”. Maintenant, j’ai le vertige et j’ai peur de ce qu’il y a en bas. Le succès, j’en ai rêvé sans savoir comment l’atteindre. J’ai parfois peur. Vraiment peur. Donc je travaille à en perdre la tête pour ne plus jamais revivre ma crainte de la facture. Vous savez, celle qui arrive par courrier et qui vous achève parce que vous n’avez pas les moyens de la payer. Il me reste encore des angoisses de ma culture populaire. Qu’est-ce que je ferais si tout s’arrêtait d’un coup ?

Les artistes sont de plus en plus nombreux à évoquer les conséquences de ce métier sur leur santé mentale…

Certains connaissent cette angoisse, d’autres ont la certitude, que rien ne changera plus jamais. En fait, le succès est une anomalie. Nous avons besoin de cette surexposition pour développer notre art et nous endossons un nouveau rôle social mais, en vérité, la célébrité reste une anomalie mentale : ce n’est pas normal d’être autant aimé. C’est notre musique que l’on devrait apprécier, pas nous. Donc il faut absolument créer une distance. Et pour cela il faut être vraiment très fort. Mon père travaillait dans les mines. Ça, c’est un combat. Ce que je dois traverser est incomparable. La santé mentale des artistes est un sujet sérieux, mais, de mon point de vue, j’ai du mal à me plaindre. Je profite de la chance que j’ai tout en gardant dans un coin de ma tête qu’à tout moment, on peut complètement se perdre.

« J’ai ressenti la pression de la nuit latino-américaine, une sorte de conte brûlant dans lequel j’ai plongé sans réfléchir » Sofiane Pamart

Êtes-vous conscient qu’une certaine mélancolie accompagne chacun de vos morceaux ?

Oui mais je la trouve lumineuse cette mélancolie. En tout cas, elle me procure toujours quelque chose de positif. Les gens les plus tristes se sentent soulagés de voir leur malheur raconté par un piano. Le deuil est un sujet qui m’intéresse beaucoup parce que je me suis toujours demandé si je ne pouvais pas en faire quelque chose de… lumineux. Avec mon premier album, Planet, j’avais beaucoup de choses à prouver. C’est pourquoi j’ai entrepris quelque chose de virtuose, bourré d’arpèjes grandiloquents. Depuis, j’ai épuré mon propos. Inutile de chercher à en mettre plein la vue : parfois, les thèmes les plus simples sont les plus efficaces. C’est exactement ce que j’ai fait avec le morceau Vera. Une seule octave et une même rengaine qui raconte l’histoire d’une femme qui a perdu son enfant. La douleur la plus atroce que l’on puisse expérimenter. Face aux événements tragiques du mon réel, mon premier réflexe c’est de me réfugier dans l’imaginaire pour inventer une histoire alternative…

Vous avez longtemps été décrit comme “le pianiste des rappeurs”, ne craignez-vous pas de devenir un ersatz de vous-même avec votre carrière solo et des disques aussi épurés ?

Pendant longtemps, j’ai été relégué au second plan : j’accompagnais les autres. En arrivant sur le devant de la scène, je me suis demandé ce qui pouvait bien justifier mon discours. Étais-je vraiment légitime de raconter tout cela ? Finalement, je préfère prendre le risque que mes morceaux se ressemblent plutôt que de me disperser. Les autres univers, j’y accède grâce à mes collaborations. J’ai toujours trouvé cela génial d’avoir créé un lien privilégié avec le milieu du rap en tant pianiste. D’autant que mon succès en solo est devenu progressivement plus important. Josman est devenu l’un de mes amis les plus proches, nous partons même en vacances ensemble… [Rires]

Quelle a été votre collaboration la plus périlleuse ?

Contre toute attente, celle avec Arno [chanteur belge disparu en avril 2022] m’a beaucoup marquée. Son expérience scénique était extraordinaire. Dès notre première rencontre, il m’a annoncé qu’il était en fin de vie. Comme s’il souhaiter passer le flambeau. Ça, je dois dire que ça m’a bouleversé. Il ne s’agissait pas de créer pour créer, nous avions une mission à remplir, c’était plus qu’un simple album. 

Vous aviez déjà consacré un morceau à la ville de Medellín (Colombie) dans votre album Planet (2019), pourquoi l’Amérique latine a-t-elle encore trouvée grâce à vos yeux ?

Le morceau Medellín a connu un succès retentissant qui m’a aussi servi de déclic. C’était donc un mélange de stratégie et de découverte. On explore, on cherche, puis on se rend compte qu’une certaine suite d’accords nous plaît vraiment. Que l’on se sent bien avec cette atmosphère musicale et que le public, lui aussi, apprécie ces inspirations latines qui se marient à merveille avec un piano classique. J’ai donc souhaité explorer davantage cet univers et, par chance, j’ai effectué une tournée là-bas, en Amérique latine, à travers six pays différents. J’ai donc joué Medellín… à Medellín. Le public a semblé apprécier le rapport entre la tragédie, la violence et la passion. Cela m’a ouvert des portes internationales : j’apparaissais dans des playlists et des recommandations d’albums. 

Votre processus créatif était-il le même que pour l’album Planet ?

Au départ, je cherchais l’inspiration. Je me demandais comment me lancer en décrivant les paysages qui m’entouraient. Et dans Letter, j’adressais une lettre d’amour à mon public. Cette fois, pour Noche, je me suis rendu là-bas en tant qu’artiste confirmé qui souhaite exploiter la nuit. Car dans ma vie, tout est devenu nocturne. C’est le seul moment intime que je suis parvenu à préserver. Comme un état d’introspection profonde. En fait, j’ai ressenti la pression de la nuit latino-américaine, une sorte de conte brûlant dans lequel j’ai plongé sans réfléchir. Là-bas, la nuit est plus chaude, plus vraie, enveloppée dans une sorte de halo que je ne parvenais pas à décortiquer pour le raconter en musique… Il fallait que je trouve autre chose.

D’où l’utilisation de pianos électriques comme le Rhodes ou le Wurlitzer…

C’est ça. Ils m’ont permis d’exprimer quelque chose de plus chaleureux. Là-bas, dans la nuit, on perçoit des bruits, au loin. On devine des bavardages dans une autre langue que la notre. Mexico grouille encore, elle est en surcharge.

Pourquoi était-il inévitable de proposer une réédition de cet album, Noche ?

Comme avec l’album Planet, je pensais avoir tout raconté. Mais des thèmes me restaient encore en tête. Je n’avais pas encore abordé le silence, la mélancolie, le vertige… et enfin la poésie. Un mot que je trouve encore plus beau lorsqu’il est prononcé en espagnol : poesía. Et le piano est l’instrument romantique par excellence pour exprimer tout cela. J’avais envie que ma discographie comporte des morceaux clés, comme une sorte de manifesto de tout ce que j’ai à exprimer.

Et comment façonne-t-on la poésie en musique ? À quoi ressemble-t-elle ?

Mon premier thème devait être très entraînant car il s’inspirait d’images universellement agréables, et puis, j’ai la sensation que la poésie est quelque chose qui vous emporte. Au piano, cela se traduit donc par des notes répétées avec un thème qu’on mémorise mais qui demeure complexe à chanter. La première variation du thème est vraiment une variation de chant. La seconde met les marteaux du piano en exergue avec des notes plus aiguës, presque comme une boîte à musique. Je voulais traduire une sorte d’émerveillement.

Noche Deluxe de Sofiane Pamart, disponible le 18 octobre. En concert avec NTO au Phantom Paris, le 15 novembre.