31 oct 2019

Caroline Polachek, de la Villa Médicis au festival Pitchfork

Moitié du duo Chairlift pendant 12 ans, collaboratrice de Beyoncé, Charli XCX ou encore Blood Orange, Caroline Polachek est une musicienne aux multiples casquettes. A l’affiche du Pitchfork Music Festival samedi 2 novembre, cette auteure-compositrice-interprète américaine y présentera son tout premier album à son nom, “Pang”, une envolée lumineuse et lyrique qui amorce en beauté un nouveau chapitre de sa carrière. Portrait.

Caroline Polachek pour la campagne de son album “Pang” (2019).

L’ère Chairlift

 

Si le nom de Caroline Polachek ne vous dit peut-être rien, celui de Chairlift vous semblera sans doute plus familier : pendant 12 ans, c’est au sein de ce duo né en 2005 au beau milieu du Colorado que l’artiste américaine a pris ses marques sur la scène de la pop indé. Après une enfance et une adolescence passées entre New York, Tokyo, le Connecticut et Bruxelles, Caroline Polachek part pour le grand Ouest américain, animée par le désir d’étudier aussi bien le dessin que la musique et la biologie. C’est sur les bancs de l’université de Boulder qu’elle fait la connaissance d’Aaron Pfenning : quelques échanges de vinyles, plusieurs collaborations musicales, et le groupe Chairlift voit le jour.

 

 

Patrick Wimberly compose avec Caroline Polachek le nouveau noyau dur du groupe, désormais animé par une recherche constante d’expérimentation qui investira de nombreux territoires musicaux.

 

 

Si le projet s’annonçait initialement comme un duo de folk imprégné par l’esprit du mid-West, il prend deux ans plus tard, en 2007, un nouveau tournant : lorsque Caroline Polachek s’installe à New York pour terminer son cursus en arts plastiques, Patrick Wimberly rejoint le duo. Très vite, Chairlift se détache alors de l’étiquette folk, et s’approche davantage de l’électro-pop. Après le départ d’Aaron Pfenning, Patrick Wimberly restera et composera avec la chanteuse le nouveau noyau dur du groupe, désormais animé par une recherche constante d’expérimentation qui investira de nombreux territoires musicaux. Caroline Polachek l’affirme elle-même : “Avec Chairlift, nous avons combiné tant de genres musicaux, influencés aussi bien par le jazz, le funk, la house, la pop, toujours avec une approche très DIY !” Tous aussi différents les uns des autres, les trois albums du groupe témoignent de leur vive capacité à se renouveler.

Des collaborations prometteuses, de Beyoncé à Charli XCX

 

Le 13 décembre 2013, Beyoncé défraie la chronique : sorti par surprise pendant la nuit, son cinquième album à son nom – et premier album vidéo – fait consensus, notamment grâce à sa production très pointue. Sur les crédits de No Angel, l’un des morceaux les plus éthérés et sensuels de l’album, le nom de Caroline Polachek apparaît comme compositrice et productrice du titre. Quelques temps plus tôt, Beyoncé elle-même avait confié à Patrick Wimberly adorer la musique de Chairlift, et qu’elle lui inspirait une collaboration. Selon Caroline Polachek, cette invitation était très révélatrice d’un nouveau climat de la musique pop : “À ce moment-là, les plus grandes pop stars étaient à la recherche d'artistes et producteurs émergents, à l’instar de Kanye West qui faisait appel à une artiste underground comme Arca.” Ce titre fut donc aussi bien l’occasion de créer la surprise chez les fans du groupe que la découverte chez ceux de Beyoncé.

 

 

À ce moment-là, les plus grandes pop stars étaient à la recherche de ces artistes et producteurs émergents, à l’instar de Kanye West qui faisait appel à un artiste underground comme Arca.” 

 

 

En dehors de Chairflit, Caroline Polachek parvient également à asseoir son nom et prouver son talent à travers de nombreuses collaborations avec d’autres artistes en pleine ascension. Sébastien Tellier s’allie avec elle pour un duo en 2013, Blood Orange fait de même l’année suivante… Lorsqu’en 2017, Charli XCX annonce avec son album Pop 2 une orientation plus électro, Caroline Polachek fait là aussi partie du projet et se joint à elle sur le titre Tears. Ce samedi 2 novembre, les deux artistes se succèderont sur la scène du Pitchfork Music Festival à la Villette.

Une résidence à la villa Médicis

 

Dès ses débuts au sein de Chairlift, Caroline Polachek démontre – outre la musique – son vif intérêt pour l’expression visuelle et plastique, mais aussi la danse, à travers des vidéos, des visuels et des chorégraphies très travaillés. Sa singularité d’esthète passionnée par tous les arts lui vaut d’être invitée pendant un an, en 2014, à élire résidence à l’emblématique villa Médicis de Rome. Passant ses journées dans un studio où avait précédemment travaillé le peintre Balthus, elle aboutit à un projet qu’elle baptise, non sans ironie et sans référence, Ramona Lisa. L’artiste elle-même s’y réincarne en une figure à la fois moderne et mystérieuse au visage peint de deux yeux supplémentaires, telle une déesse pastorale.

 

 

Passant ses journées dans un studio où avait précédemment travaillé le peintre Balthus, elle aboutit à un projet qu’elle baptise, non sans ironie et sans référence, Ramona Lisa.

 

 

Plus romantique, conceptuel, et à visée entièrement non lucrative, ce projet se concrétise avec l’album Arcadia, riche de nombreuses mélodies polyphoniques composées comme des broderies musicales où sa voix s’élève, haut perchée. Au terme de cette année de travail, Ramona Lisa se produit en concert dans les locaux de la villa : un spectacle qui reflète l’identité du projet, “très hiéroglyphique, aplani et bidimensionnel, jusqu’à la chorégraphie elle-même”, comme le décrit l’artiste. Après ce premier pas de côté, Caroline Polachek fait une nouvelle incursion, beaucoup moins pop, vers une musique instrumentale, plus obscure, contemplative et minimale, avec un EP sorti en 2017 sous ses initiales CEP. Sans clips ni visuels, ce projet encore en cours manifeste sa volonté de mettre son identité de chanteuse de côté pour faire la part belle à l’expérimentation dans l’écriture et la production. La même année, après 12 ans d’activité, le duo Chairlift se sépare officiellement.

Caroline Polachek, la maturité

 


Âgée aujourd’hui de 34 ans, Caroline Polachek se sent enfin prête à adopter son propre nom, ne souhaitant plus s’effacer derrière un concept qui installerait une distance avec le public : “Je le vois comme une manière d’apparaître brute et plus ouverte. J’ai senti que c’était le bon moment pour le faire”, explique-t-elle. Reflet de son parcours artistique, ce choix s’apparente véritablement à un retour à ses premiers pas dans la musique. Alors jeune fille, l’artiste adorait chanter et rêvait de faire partie d’un chœur. Cette amoureuse de la musique classique, notamment de Rachmaninov et Haendel, s'était décidée à prendre des cours de chant d’opéra en 2012. Elle y appris à mieux contrôler sa voix et sa puissance, mais aussi à repenser autrement sa composition.

 

 

Sur chacun des titres de Pang, la voix de Caroline Polachek semble plus claire et triomphale que jamais, témoignant de son impeccable technique.

 

 

Comme une renaissance, son nouvel album Pang est avant tout le produit d’années de questionnements, et de changements dans sa vie professionnelle et personnelle : la fin de Chairlift, son divorce… Une vulnérabilité que Caroline Polachek assume et met à profit dans des titres habités par la spontanéité sincère et l’intensité fugace de la passion naissante, mais aussi par le doute et l’introspection. Le titre So Hot you’re hurting my feelings en est l’exemple parfait, l'expression enthousiaste et amusée de l’attente d’un amour qui n’est pas à ses côtés. Sur chacun des titres, sa voix semble plus claire et triomphale que jamais, témoignant de son impeccable technique, tandis que les arrangements co-réalisés avec Danny L Harle, producteur de PC Music, accompagnent avec finesse ses envolées lyriques.

 

 

“L'échelle symbolise ce mouvement continu de la vie, le fait de devoir avancer en permanence même lorsque c’est difficile. On peut regarder en bas, mais aussi regarder vers le haut”

 

 

Toujours très attentive à la cohérence de son univers visuel avec sa musique, l’artiste se met en scène sur la pochette de l’album, escaladant une échelle suspendue dans le ciel, le regard habité à la fois par l’incertitude et la détermination. “Cette échelle symbolise ce mouvement continu de la vie, le fait de devoir avancer en permanence même lorsque c’est difficile. On peut regarder en bas, mais aussi regarder vers le haut”, conclut-elle. Entamant ce nouveau cycle avec succès et sérénité, Caroline Polachek semble encore loin d’avoir dévoilé toutes ses cartes.

 

Caroline Polachek, Pang, sorti le 18 octobre.

Caroline Polachek jouera samedi 2 novembre au Pitchfork Music Festival, Grande Halle de la Villette, Paris 19e.

Caroline Polachek, “Pang” (2019).