15 juin 2021

Arlo Parks : qui est la jeune chanteuse britannique, sacrée aux Brit Awards 2021 ?

A tout juste 20 ans, Arlo Parks vient d’être sacrée meilleure nouvelle artiste aux Brit Awards 2021. Une récompense qui ne fait que confirmer le talent de cette auteure-compositrice-interprète britannique, dont la musique solaire, douce et émouvante aux accents néo-soul, folk et trip-hop pose un regard poétique et empli d’espoir sur les déboires de la génération Z. Quelques mois après la sortie de son premier album Collapsed in Sunbeams, Numéro a rencontré cette artiste complète.

Texte par Matthieu Jacquet.

Portraits par Aveuglance.

Lorsqu’elle s’assoit pour répondre à nos questions, Arlo Parks est si à l’aise qu’on l’imagine avoir fait cela toute sa vie. Rayonnante et avenante, l’auteure-compositrice-interprète britannique nous accueille avec un naturel déconcertant, en pleine promotion de son album à Paris. Télérama, C à Vous, 20h30 le dimanche avec Laurent Delahousse… l’artiste vient d’enchaîner les émissions prestigieuses de l’Hexagone avec un professionnalisme qui nous ferait presque oublier son jeune âge : 20 ans. Une précocité qui n’enlève rien à son talent ni à son ambition. Cela fait en effet déjà plusieurs années qu’Anaïs Oluwatoyin Estelle Marinho est entrée dans le paysage musical. En 2018, alors qu’elle n’a pas encore atteint la majorité, la Londonienne dévoile son premier titre Cola, une ballade lancinante portée par une batterie et une basse discrète sur lesquelles se pose sa voix rassurante, doublée parfois en polyphonie, qui attire l’attention d’une certaine Lily Allen. Déjà s’y ressentent les influences d’un environnement musical riche et pluriel, entre le jazz de John Coltrane et Miles Davis affectionné par son père nigérien, la chanson francophone de Jacques Brel, Edith Piaf et Charles Aznavour écoutée par sa mère tchado-française, mais également les nombreuses recommandations d’un oncle qui nourrit sa culture musicale. Enfant, Arlo Parks apprend le piano et le chant lyrique, dans un chœur où elle interprètera plusieurs années des œuvres classiques et airs d’opéra. Mais l’adolescente sent rapidement poindre chez elle le désir de créer sa propre musique et, dans l’intimité de sa chambre, guitare à la main, commence à composer. Dans ses oreilles, les cordes chantantes d’Elliott Smith, de Nick Drake, les voix émouvantes de Joni Mitchell et Aretha Franklin lui inspirent les mélodies folk que complètent son timbre soul. Une carrière d’avocate dans le viseur, la jeune femme commence à caresser l’espoir de vivre de sa musique, qui se fait le reflet direct de son melting-pot culturel. Déterminée, elle soumet à 17 ans ses premiers morceaux à la BBC pour leur programme de découverte. Huit mois après, la célèbre  et très influente chaîne britannique revient vers elle et la révèle au public du Royaume-Uni.

Il y a deux ans, la situation semble si bien engagée qu’Arlo Parks interrompt ses études de littérature anglaise pour se consacrer à la musique. L’artiste se donne une année pour laisser sa chance au succès : si ça ne fonctionne pas, tant pis, elle réintègrera son cursus pour devenir journaliste. Mais la sauce prend. A seulement 18 ans, un premier EP de quatre titres dans le sac, l’artiste foule déjà la scène du festival Glastonbury, grand rendez-vous estival de la musique au Royaume-Uni, puis ce sera celle de la Gaîté Lyrique à Paris, à l’occasion du festival des cultures queer Loud and Proud. Sur scène, Arlo Parks se montre déjà aussi engageante que dans les médias : occupant l’espace avec une présence naturelle doublée d’une grande élégance, l’artiste maîtrise aussi bien son corps que sa voix. Un contrôle dont son premier album, paru début 2021, se fait le parfait écho. Tour à tour, la chanteuse susurre et vocalise, pose sa voix parlée à la manière d’une conteuse d’histoires comme sur le titre d’ouverture, ou la scande sur Portra 400. Dans Black Dog, son timbre devient si léger et éthéré qu’on croirait l’entendre depuis les nuages, là où le mélancolique For Violet dévoile un chant plus grave et suave. Douce comme une pommade, auréolée d’optimisme, la musique d’Arlo Parks s’affirme tel un remède au spleen des années 2020 : des douze titres de l’opus émane une grande force de vie, où derrière la voix de l’artiste, on voit se dessiner un visage au sourire empli d’un enthousiasme lumineux. Comme un pied-de-nez au sombre contexte de son écriture : alors que la chanteuse commence, début 2020 à travailler sur son album, elle n’imagine pas encore qu’elle réalisera la plupart de ses morceaux en plein confinement. Malgré son atmosphère anxiogène, la période lui offre davantage de temps et d’espace pour l’écriture, mais également pour se nourrir de musique, de livres et de films – autant de formes d’art essentielles à son équilibre et sa créativité. Les morceaux lui viennent alors très rapidement. En à peine dix minutes, parfois, une chanson est écrite par la jeune Britannique tandis que Gianluca Buccellati, producteur de l’album, facilite chez elle l’émergence des mélodies en jouant quelques accords.

Pour donner à cet album sa couleur d’ensemble, Arlo Parks emprunte son titre à une expression de l’écrivaine britannique Zadie Smith : Collapsed in Sunbeams, “évanoui dans les rayons du soleil”, soit l’image poétique d’un abandon radieux dans la lumière. Une référence qui rappelle l’amour intime de la chanteuse pour les mots, né dès son plus jeune âge. Grandissant au sud-ouest de Londres, dans l’une des régions les plus calmes de la capitale, l’adolescente s’ennuie, loin de la frénésie de Soho, Camden ou Shoreditch. Pour combler les heures, elle s’adonne au hockey et à la course, tout en libérant son imaginaire à travers la lecture et l’écriture. Grande amatrice de Sylvia Plath, Audre Lorde ou encore Patti Smith, la jeune femme emmène toujours avec elle, en plus de leurs livres, un journal intime dans lequel elle consigne ses pensées, les verbalise sous forme de petites phrases, poèmes ou échafaude de courtes nouvelles inspirées par les scènes du quotidien dont elle est témoin. La Londonienne écrit partout, tout le temps. Les transports de la grande métropole lui offrent ces moments d’observation et de latence durant lesquels elle peut balader ses oreilles jusqu’aux conversations des passagers, ou encore s’enticher de la tenue extravagante d’un passant, dont elle s’amuse à imaginer la vie. “Contrairement aux images, les mots convoquent de nombreuses idées différentes et n’installent aucune frontière, ce que je trouve très puissant”, nous confie-t-elle. Pour associer les mélodies aux paroles, Arlo Parks puise alors dans ses propres pensées journalières et utilise ses mots pour parler des maux de notre époque : romances impossibles, dépression ou encore addiction, l’artiste y dresse le tableau de ce qu’elle baptisait déjà dans son premier EP la Super Sad Generation, une “génération super triste” traversée par de nombreux doutes et frustrations. Loin pourtant de vouloir s’en faire la championne ou la porte-parole alarmiste, la musicienne incite plutôt à la curiosité, à l’ouverture vers l’autre et vers le monde, et à l’engagement, autant de valeurs dont sa musique solaire se fait le reflet. Sensible à la santé mentale fragile des jeunes, qu’elle chante notamment dans l’émouvant Black Dog, Arlo Parks devient d’ailleurs au début de la pandémie l’ambassadrice de CALM, une organisation britannique dédiée à la prévention contre le suicide. Une activité particulièrement pertinente à l’heure d’un isolement social généralisé au monde entier.

Quelques mois après la sortie de son premier album, Arlo Parks est sacrée aux Brit Awards 2021 “Meilleure nouvelle artiste”, et se voit également nommée dans les catégories “Meilleure artiste solo féminine britannique” et “Meilleur album britannique”. Mais son ambition artistique est loin de s’arrêter là. Passionnée de cinéma et de photographie, celle qui cite les films de David Lynch et Hayao Miyazaki comme ses références est déjà passée derrière la caméra à plusieurs reprises. Pour ses clips, d’abord. En effet, même si elle confie leur réalisation à différents vidéastes, la jeune femme arrive toujours avec une vision très claire de ce qu’elle souhaite y voir. Afin de préparer la vidéo de Caroline par exemple, où elle apparaît perdue dans la brume d’une campagne sous la lumière grise de l’automne et l’intérieur d’une maison vide, l’artiste a épluché les clichés de Wolfgang Tillmans et de Nan Goldin, inspirée par leur traduction de l’intime en lumière naturelle. Lors du GucciFest en novembre 2020, Arlo Parks coréalise pour la maison italienne une courte vidéo, intégrée à une mini-série mettant en avant de nombreux talents contemporains tels que Harry Styles, Florence Welch ou Billie Eilish. Depuis plusieurs mois, la Londonienne complète également un recueil de poèmes, d’essais et de photographies qu’elle compte publier très bientôt, tout en ayant déjà en tête l’intrigue de son premier roman – dont elle garde pour l’instant le secret. Avec un sourire, elle nous confie vouloir également exercer son jeu d’actrice dans des courts ou longs métrages. “En fait, j’ai envie de tout faire !”, conclut-elle en riant. Une ambition débordante dont la jeune femme ne perd pas de vue l’objectif central : donner à son art une portée universelle.

 

 

Arlo Parks, Collapsed in Sunbeams, disponible depuis le 29 janvier 2021 chez Transgressive Records – [PIAS].

 

 

Découvrez notre interview “dernière fois” d’Arlo Parks.