26 nov 2025

Alan Vega : comment le précurseur du punk a influencé toute une génération

Pionnier électrique et poète du chaos, Alan Vega (1938-2016) a bâti, en cinquante ans, l’un des héritages les plus radicaux de la musique américaine. Du fracas proto-punk de Suicide à ses disques solo décharnés, il a imposé un langage sonore résolument sauvage et visionnaire. Alors que ses premiers albums solos seront réédités en 2026, son influence est partout.

  • par Alexis Thibault.

  • Alan Vega, un chanteur proto-punk qui a bouleversé le rock

    Un récit revient souvent lorsque l’on évoque l’auteur-compositeur interprète américain Boruch Alan Bermowitz alias Alan Vega. Celui d’un concert new-yorkais, au début des années 1970, lors duquel il scande un rockabilly déformé, torse en avant, dans un loft de SoHo. À ses côtés, Martin Rev déclenche des pulsations électroniques aussi frustes qu’hypnotiques. Ensemble, ils viennent de former le groupe proto-punk Suicide (1970-2016) et d’initier, sans le savoir, un bouleversement dans la musique rock.

    Né à Brooklyn en 1938 dans une famille juive de la classe ouvrière, le jeune homme arbore un visage taillé comme au verre brisé. Il étudie d’abord la peinture à l’Université de Columbia avant de plonger dans la Downtown Scène new-yorkaise puis fréquente les cercles du minimalisme. C’est en se liant aux sculpteurs de la Judson Gallery qu’il développe une fascination précoce pour la lumière, les néons et les matériaux industriels.

    Cette formation d’artiste visuel, plutôt que de musicien, déterminera sa manière d’aborder la scène : un espace performatif et périlleux où il faut déchirer les formes pour atteindre le nerf. Jusqu’à sa disparition en 2016, il écrira, peindra et expérimentera sans relâche. Une créativité, selon ses proches, “infatigable et absolument unique”.

    Suicide – Ghost Rider (1977)

    La folle ascension du groupe Suicide

    Suicide forge d’abord sa réputation par le choc scénique. Des sets brefs, nerveux, traversés par une tension presque insoutenable, où le public finit parfois par se rebeller contre le duo. En 1978, lors d’un concert à Glasgow en première partie de The Clash, une hache est littéralement lancée au visage d’Alan Vega.

    Fascinant moment de terreur qui illustre la force subversive du groupe. Leur premier album Suicide (1977) demeure une déflagration minimaliste. Un disque bâti sur deux éléments seulement. Une boîte à rythmes monotone et les nappes organiques de Martin Rev, que The Wire décrit d’ailleurs comme “le squelette nucléaire du futur synth-punk”.

    Dans ce disque, on trouve aussi des zones de vide sonore, silences qui soulignent le rockabilly et les cris étouffés. Avec des morceaux comme Ghost Rider ou Frankie Teardrop (1977), longue spirale de 10 minutes, Suicide impose une nouvelle grammaire électronique brutale qui irrigue encore la cold-wave. Le duo sera aussi l’un des tout premiers à utiliser le mot “punk” sur ses affiches de concerts. Il annonçait la vague à venir.

    Alan Vega et Suicide – Surrender (1988).

    Une réédition des premiers albums solos d’Alan Vega

    En solo, Alan Vega (décédé en 2016) déploie un univers encore plus tranchant. Citons Alan Vega (1980) puis Collision Drive (1981) ainsi que sa participation au somptueux Les Vestiges du chaos (2016) du chanteur Christophe. En 2026, l’actualité ravive cette trajectoire. Le label branché Sacred Bones réédite les deux premiers albums solos d’Alan Vega, disponibles en vinyle, cassette 8-track et pour la première fois en streaming, accompagnés de démos inédites qui éclairent son processus créatif.

    Ces sorties font écho au travail de préservation entrepris depuis Mutator (2021) et Insurrection (2024), confirmant l’importance posthume de l’artiste. L’héritage d’Alan Vega irrigue aujourd’hui noise, indus, cold-wave, shoegaze et pop expérimentale. Il a aussi influencé Bruce Springsteen (pour l’album Nebraska) et Alain Bashung. The Jesus and Mary Chain, The Sisters of Mercy, Henry Rollins, Joy Division, New Order, Soft Cell, Nick Cave, Radiohead, Spacemen 3, Primal Scream, Spiritualized, Miss Kittin, The Horrors et MGMT ont revendiqué l’influence de Suicide et du cri primitif comme point de départ. Dans un paysage saturé de sons calibrés, la rugosité du musicien demeure un phare. Une esthétique du choc, du risque et de la liberté totale.

    Alan Vega (Deluxe Remastered Edition) et Collision Drive (Deluxe Remastered Edition) d’Alan Vega, disponibles le 23 janvier 2026.