25 mar 2021

4 albums notés 0/10 par les terribles critiques de Pitchfork

“Branchouille”, “arty”, “digne d’un ado amateur” ou “catastrophique”… Découvrez quatre albums assassinés par Pitchfork, l’un des médias les plus respectés en matière de musique indépendante.

Ryan Schreiber n’a pas encore 20 ans lorsqu’il imagine la première version de Pitchfork en 1995. L’étudiant de Minneapolis met d’abord en ligne Turntable, un site qui propose des critiques et des entrevues avec le fleuron de la musique anglophone, mais cette plateforme aux airs de blog n’est mise à jour que deux fois par mois… Renommé “Pitchfork” à l’été 1996, le média devient ensuite rapidement une référence en matière de musique indépendante, distribue les critiques acerbes ou élogieuses sans jamais épargner personne et, surtout, note chaque nouvel opus sur 10 – un principe désormais aussi respecté que redouté par les acteurs de l’industrie musicale. Découvrez quatre albums assassinés par Pitchfork.

1. Sonic Youth, NYC Ghosts & Flowers [2000] : 0/10

 

 

Formé à New York en 1981, le groupe Sonic Youth n’avait à l’époque qu’un seul objectif en tête : transformer le rock. Alors, la clique de Kim Gordon désaccorde ses guitares et bidouille ses instruments comme un laborantin pour le plus grand plaisir de la presse musicale. Le succès est au rendez-vous : le groupe fanatique de la culture punk navigue aisément entre le no wave – une musique dissonante et déstructurée – le punk hardcore et le rock expérimental. Avant-gardiste, Sonic Youth surgit de l’underground new-yorkais, embarque le grand public puis s’installe confortablement dans la pop culture, du jeu vidéo Guitar Hero à l’emblématique série Les Simpsons. Mais le 30 avril 2000, Pitchfork attribue une bulle à NYC Ghosts & Flowers, 14e album d’une formation qui n’aurait alors plus grand chose à prouver. Dans cet album expérimental, les membres du groupe glissent un Klaxon de vélo ou une baguette de batterie entre les cordes de leurs guitares, comme un pied de nez au cambriolage survenu en juillet 1999 lors duquel une grande partie de leur matériel bizarroïde – et unique en son genre – a été dérobée. Mais le journaliste Brent DiCrescenzo n’a que faire de ce story-telling. Dans sa chronique au vitriol, il écrit ainsi : “Cet énième album condense tout ce que l’on déteste de New York. Sonic Youth nous rappelle qu’on y mange du tofu grillé dans une émulsion de beurre de chèvre et de kumquat, puis qu’on regarde des documentaires sur le fist-fucking en se prenant pour des intellos.” Il poursuit en descendant l’opus, maintes fois qualifié “d’arty et branchouille” par la presse musicale : “Pour être ‘expérimental’ ou ‘underground’, il faut surtout influencer les autres. NYC Ghosts & Flowers ne fait qu’exhumer les cadavres rances de la poésie rythmique et du bruit avant-gardiste.

2. Liz Phair, Liz Phair [2003] : 0/10

 

 

Jusqu’alors, tout allait pour le mieux pour Liz Phair. La chanteuse et guitariste américaine avait charmé le public à grand renfort de provocations disséminées tout au long de ses albums de rock alternatif. Son coup de maître: l’album Exile in Guyville, sorti en 1993, réponse cinglante en 18 morceaux à l’Exile on Main Street des Stones, paru vingt ans plus tôt. Avec cet opus, Liz Phair fait l’unanimité auprès de tous les critiques rock, des puristes conservateurs aux amateurs de la nouvelle scène indépendante. Une œuvre lo-fi – au son volontairement sale – qui flirte par moments avec le grunge sans jamais s’y abandonner franchement. Liz Phair y sonne à sa manière l’heure de la révolution féministe en se réappropriant des codes masculins, de la pochette “charme” explicite à l’évocation de son entrejambe humide dans le titre Flower… Mais en 2003, c’est un tout autre accueil qui est réservé à son quatrième album, sobrement intitulé Liz Phair. Dans sa critique acerbe pour Pitchfork, Matt LeMay glisse notamment sous le 0/10 assassin : “Il est bien triste qu’une artiste comme elle en soit réduite à des cascades publicitaires bon marché et à une pop commerciale pour adolescents.” Si une poignée de fans invétérés soutiennent l’artiste, la majorité reproche à Liz Phair d’avoir produit un album de punk-rock californien mollasson digne d’un groupe amateur. On regrette le choix de sa pochette ringarde faussement provocante et on constate qu’elle n’est qu’un triste ersatz d’Avril Lavigne, dont elle est pourtant l’une des inspiratrices…

3. Travis Morrison, Travistan [2004] : 0/10

 

 

L’Américain Travis Morrison a formé le quatuor d’indie rock The Dismemberment Plan – parfois abrégé The Plan – en 1993. Boudé par les radios, le groupe produira malgré tout quatre albums studio dont l’excellent Emergency & I [1999], chaleureusement accueilli par les fans… et même Pitchfork, qui lui décerne à l’époque un 9,6/10 et salue ce chef-d’œuvre du rock moderne à la croisée du punk éruptif des Pixies et des expérimentations excentriques de Prince. Hélas, le groupe de Washington annonce finalement sa séparation en 2003 et Travis Morrison se lance en solo dans la foulée. Le 24 septembre 2004, la critique de son premier album, Travistan, fait alors l’effet d’une bombe : 0 pointé. Chris Dahlen, intraitable journaliste de Pitchfork, décrit l’opus comme “l’une des épaves les plus colossales de l’histoire du rock indé”. Sur la Toile, les fans crient au scandale et défendent leur gourou déchu. Certains avancent que cet album rassemble trop d’idées sans être catastrophique pour autant. D’autres savourent le changement de direction de Morrison qui a conservé son irrévérence, à l’image de l’inclassable morceau People Die, un fourre-tout sympathique mais complètement assumé. En filigrane, la nostalgie d’une génération qui a perdu son groupe fétiche. Mais Pitchfork n’en démord pas : “On s’attendait à ce que Morrison cultive le son de The Dismemberment Plan mais il emprunte un tout autre chemin et laisse l’auditeur sur la touche. Travistan échoue si bizarrement qu’il est difficile de deviner ce que l’artiste souhaitait accomplir à l’origine […] Même la jaquette de l’album semble dire ‘Moi aussi, je cache mon visage’.

4. Robert Pollard, Relaxation of the Asshole [2005] : (1)0,0/10

 

 

À l’origine, Guided by Voices n’est qu’un simple groupe qui écume les bars depuis sa formation en 1986. Mais il a pu compter sur la persévérance de son leader, Robert Pollard, pour s’imposer sur la scène rock indé américaine. Et le succès sera au rendez-vous : le 7e album de la formation, Bee Thousand [1994] – opus résolument lo-fi enregistré sur un boîtier multipiste plutôt qu’en studio –, s’empare de la 10e place du classement des 100 meilleurs albums des années 90 selon Pitchfork… qui ne manquera pourtant pas d’égratigner gentiment Pollard dix ans plus tard. L’ancien enseignant a 47 ans en avril 2005 lorsque la critique de son album Relaxation of the Asshole est publiée par le média. Et la note attribuée à son œuvre est pour le moins improbable : (1)0,0. Autrement dit, 10 et 0 à la fois. La faute à un album totalement conceptuel dans lequel Robert Pollard a compilé toutes ses allocutions plus ou moins délirantes adressées à la foule en plein concert. Résultat, des stand-up improvisés dans lequel l’artiste bavarde et enchaîne les bières et les injures entre deux applaudissements et le son d’une guitare que l’on accorde. Pour Pitchfork, le journaliste Eric Carr écrira à propos de l’album : “Relaxation of the Asshole est la première étape vers la compréhension de l’homme, de la sagesse et des tenants et aboutissants d’une saine carrière dans l’alcoolisme. Ce n’est pas un album que vous écoutez par plaisir, c’est une sorte de manuel de survie entrecoupé de phrases inintelligibles. C’est un 10 ou un 0. Mais Bob Pollard est le roi des concerts en état d’ébriété. Donc la note n’a pas d’importance.