9 août 2024

L’incroyable destin de la championne de boxe Ramla Ali

Née en Somalie pendant la guerre civile, puis réfugiée à Londres, la championne de boxe Ramla Ali a connu plus d’une épreuve au cours de sa vie. Des obstacles que sa détermination d’acier lui a permis de vaincre pour se propulser au plus haut niveau. En dehors des rings, l’athlète met aussi sa combativité au service des autres grâce à son rôle d’ambassadrice de l’Unicef. Son destin exemplaire fera bientôt l’objet d’un biopic à Hollywood dans une production de haute volée où son personnage sera interprété par la star de Black Panther, Letitia Wright.

Texte par Delphine Roche.

Portrait de Ramla Ali par Elliot James Kennedy. Haut, jupe et legging en maille enduite, et escarpins, Alaïa.
Portrait de Ramla Ali par Elliot James Kennedy. Haut, jupe et legging en maille enduite, et escarpins, Alaïa.

Ramla Ali : un destin exceptionnel digne d’un récit hollywoodien

Son parcours de vie est si édifiant qu’il fait l’objet d’une adaptation cinématographique de grande classe. Dans In the Shadows, dont le tournage commencera bientôt, la star de Black Panther, Letitia Wright, interprètera le rôle de Ramla Ali. Produit par Lee Magiday, sélectionnée pour un Oscar avec le film La Favorite de Yorgos Lanthimos, le projet portera sur les écrans du monde entier le destin exceptionnel de la boxeuse qui a résumé son propre parcours dans le titre éloquent du livre qu’elle a publié en 2022, Not Without a Fight [Pas sans un combat]. L’histoire réelle de cette Somalienne, dont la famille a émigré à Londres pour échapper à la guerre civile qui fait rage dans le pays depuis 1991, fait en effet concurrence à bien des scénarios hollywoodiens.

La vie de Ramla Ali a certes commencé en Somalie, mais à une date inconnue. “Je ne connais pas ma date de naissance, comme de nombreux membres de ma famille, explique l’intéressée. Je ne pourrai donc pas vous dire quel âge j’avais lorsque ma famille a quitté la Somalie. Je sais simplement que ma mère m’allaitait encore. Ce n’est pas important pour moi, et j’en suis même venue à considérer que connaître sa date d’anniversaire est un privilège occidental.” C’est la mort du frère de Ramla Ali, touché par un projectile, qui pousse la famille à déménager
à Londres où elle obtient le statut de réfugiée de guerre. Mais même dans la capitale britannique, la vie ne sera pas un long fleuve tranquille : le cousin de la petite Ramla, qui avait survécu à l’attaque dans laquelle avait péri son frère, meurt poignardé à Londres, devant son lycée.

Pendant ce temps, la petite fille mène une vie difficile, luttant contre son surpoids qui fait d’elle une victime idéale du harcèlement scolaire. Sa mère l’encourage à pousser les portes d’une salle de sport, sans imaginer un instant ce qui l’y attend : “J’ai découvert la boxe par hasard, et je suis tombée amoureuse de ce sport qui m’a permis de prendre confiance en moi, de mincir et de m’exprimer.” Elle pratiquera dès lors cette discipline avec passion, sans jamais en parler à ses parents, jusqu’à ce que sa mère, découvrant le pot aux roses, ne la prie de cesser. “Étant donné les traumatismes vécus par ma mère, je ne voulais pas l’obliger à s’inquiéter pour moi, car la boxe est évidemment un sport dangereux. J’ai donc accepté de m’arrêter pendant plusieurs mois, mais cela m’a poussée dans une forme de dépression.

Portrait de Ramla Ali par Elliot James Kennedy. Haut, jupe et legging en maille enduite, et escarpins, Alaïa. Collier “Clash de Cartier” en or rose et diamants, Cartier.
Portrait de Ramla Ali par Elliot James Kennedy. Haut, jupe et legging en maille enduite, et escarpins, Alaïa. Collier “Clash de Cartier” en or rose et diamants, Cartier.

La première athlète féminine à porter le drapeau national de la Somalie aux jeux Olympiques

Elle reprendra en catimini le chemin du gymnase. Ce n’est que bien plus tard qu’elle obtiendra l’assentiment total de sa mère, quand, après avoir acquis un solide palmarès en compétition amateur, et ayant décidé de s’engager sous bannière somalienne, et non britannique, elle sera la première athlète féminine à qui sera confié le drapeau national lors de la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques de Tokyo. “Les chaînes de télévision somaliennes parlaient de moi, disant que j’étais un exemple pour les jeunes. Ma mère a vu tout cela, et elle a compris alors que je faisais quelque chose de positif. Dans la communauté somalienne, on ne parle pas vraiment des questions de santé et de bien- être. Ma mère a vu que j’apportais ces messages vraiment utiles, et elle est devenue très fière de mes accomplissements.

Le rêve olympique tourne court pour Ramla Ali qui ne passera pas les huitièmes de finale, mais l’impact social a déjà eu lieu, la légende est en cours d’écriture, et la jeune femme peut donc sereinement considérer son passage dans le monde, autrement plus féroce, de la boxe professionnelle. Menant de front ses entraînements, son engagement social et son rapprochement avec le monde de la mode, Ramla Ali deviendra dès lors une des plus parfaites incarnations de l’athlète du 21e siècle, brillant autant par son image que par ses performances [actuellement classée numéro 2 des fédérations IBF et WBA, elle devrait logiquement disputer un titre mondial]. “Je veux être championne du monde, je vais travailler très dur pour y parvenir. Je sais qu’il y aura toujours des hauts et des bas, mais ma détermination est en acier.

Si tous les sports nécessitent un investissement absolu et une discipline sans faille, les sports de combat ajoutent à ces dimensions des impacts exercés directement sur le corps de l’athlète, dans un affrontement qui peut être perçu par le public comme une forme de pure violence – alors que la technicité des combattants est extraordinaire et que de nombreux combats se soldent par un comptage de points au lieu de finir par un K.-O. La beauté des sports de combat réside en partie dans cette mystérieuse motivation qui pousse un être humain en bonne santé à monter sur un ring devant des millions de spectateurs pour se battre avec un parfait inconnu, au risque d’encaisser
des contusions sévères, d’abîmer son corps, de défigurer son visage.

Portrait de Ramla Ali par Elliot James Kennedy. Manteau et veste en laine, jupe en latex et escarpins, Alaïa. Bague “Panthère” en or blanc, onyx, grenats tsavorites et diamants, Cartier.
Portrait de Ramla Ali par Elliot James Kennedy. Manteau et veste en laine, jupe en latex et escarpins, Alaïa. Bague “Panthère” en or blanc, onyx, grenats tsavorites et diamants, Cartier.

Je pense que cet instinct du combat m’a été inculqué par ma mère. Il m’a suffi de voir au quotidien cette femme, qui a perdu un enfant, qui a quitté la Somalie en pleine guerre, et qui est parvenue à nous donner un cadre de vie.” – Ramla Ali

Qu’en est-il de Ramla Ali ? “Je pense que cet instinct du combat m’a été inculqué par ma mère. Il m’a suffi de voir au quotidien cette femme, qui a perdu un enfant, qui a quitté la Somalie en pleine guerre, et qui est parvenue à nous donner un cadre de vie à Londres sans jamais laisser ses traumas nous affecter.” Cumulant, comme elle aime le faire, impact social et enjeu sportif, Ramla Ali a été notamment la première femme à combattre officiellement en Arabie saoudite, lors de la revanche de l’Anglais Anthony Joshua contre l’Ukrainien Oleksandr Usyk pour récupérer ses ceintures de champion du monde des poids lourds. Lors d’un des combats préliminaires, Ramla Ali affrontait pour sa part Crystal Garcia Nova. “Je sais qu’il y a eu beaucoup de résistances politiques à voir combattre une femme à cette occasion… Alors, dans la semaine précédant le combat, plutôt que de faire un entraînement public pour les médias, j’ai préféré donner un cours de boxe féminine, auquel plus de trois cents femmes se sont inscrites !

C’est dans ce même esprit que Ramla Ali a créé son association The Sisters Club, afin de permettre aux femmes britanniques de pratiquer le sport dans un contexte bienveillant. La demande venait de sa propre sœur, fatiguée de se voir abordée par des hommes prétextant vouloir lui offrir des conseils qu’elle n’avait pas demandés. Le club a rapidement vu affluer des femmes victimes de violence domestique et s’est constitué peu à peu en un espace communautaire de dialogue et de pratique sportive.

Nous menons à présent quatre cours de boxe à Londres et un à New York, nous proposons des cours de basket, de football, de jogging… Aujourd’hui, The Sisters Club regroupe environ deux mille femmes dans le monde.” Forte de ces réussites, la jeune boxeuse a été choisie en tant qu’ambassadrice de l’Unicef, organisation humanitaire qui a été très présente dans son enfance lorsque sa famille, transitant par le Kenya après avoir quitté la Somalie, dépendait alors de ses distributions alimentaires pour pouvoir se nourrir.

Ramla Ali rit et proteste doucement quand on la qualifie de mannequin… La superbe athlète, qui a fait la couverture de nombreux magazines, est adorée par les créateurs de mode, et fréquente, lorsque son entraînement le lui permet, les premiers rangs des défilés. Séduite par son profil et son histoire, la directrice artistique de Dior, la féministe Maria Grazia Chiuri, fut la première à concevoir une sublime tenue de boxe pour Ramla Ali, frappée de l’emblème personnel de la combattante, une panthère noire.

Sarah Burton, pour la maison Alexander McQueen, et Ibrahim Kamara, pour Off-White, lui ont emboîté le pas. La jeune femme est également une adepte des tenues de Pieter Mulier pour la maison Alaïa, et de celles de Daniel Lee pour Burberry.

Réalisation : Mindy Le Brock. Coiffure : Marcia Hamilton chez Forward Artists. Maquillage : Cherish Brooke Hill chez Forward Artists. Manucure : Naoko Saita. Assistant réalisation : León Schrager. Assistant photographe : Andrew Friendly. Retouche : Plamka Retouch. Production : Lyric Productions.