16 fév 2021

Les écoles Kourtrajmé de Ladj Ly : “Nous recevons 2000 candidatures pour 15 places”

Après l’immense succès de son film “Les Misérables”, le réalisateur Ladj Ly s’investit corps et âme pour faire éclore les cinéastes de demain, en créant les écoles Kourtrajmé, des formations de cinéma gratuites, en France et en Afrique.

Par Delphine Roche.

portrait Rayan Nohra.

Réalisation Rebecca Bleynie.

Coiffure et maquillage : Malou Okumu. Assistante réalisation : Céline Gaulhiac.

En 2019, le film Les Misérables faisait débarquer au Festival de Cannes le quotidien de Montfermeil, une banlieue de Seine-Saint- Denis où Ladj Ly, le réalisateur, a grandi – à la cité des Bosquets. Au programme : une bavure policière sur fond de tensions sociales générées par quelques décennies de politiques publiques défectueuses. Son portrait de la France d’en bas repartait couronné du prix du Jury et s’en allait même défendre les couleurs de l’Hexagone dans la course aux Oscars. Beaucoup découvraient alors Ladj Ly qui, engagé dans la vie de sa cité, a longtemps pratiqué le “Copwatch” [filmer les policiers pour conserver une preuve en cas de bavure], œuvrant également au sein du collectif de réalisateurs Kourtrajmé créé par Kim Chapiron, Toumani Sangaré et Romain Gavras en 1994, et s’illustrant notamment par ses documentaires 365 jours à Clichy-Montfermeil ou À voix haute – La force de la parole.

 

 

 

Tout en écrivant la suite des Misérables – deux préquels situés respectivement dans les années 90 et 2000 – Ladj Ly s’attelle à ouvrir la voie aux futurs réalisateurs et scénaristes, avec un concept révolutionnaire de formations artistiques : les écoles de cinéma Kourtrajmé. “Cette idée me tenait à cœur depuis plus de vingt ans, explique-t-il. Nous avons créé la première école Kourtrajmé à Montfermeil en 2019. Elle est entièrement gratuite, ouverte à tous, sans condition de diplômes ni limite d’âge. Nous partons du principe qu’on ne devrait pas avoir à payer pour se former. D’autant plus que les écoles de cinéma coûtent très cher. Nous avons envie d’ouvrir les métiers de l’audiovisuel.” À Montfermeil, la section cinéma cohabite avec une section dévolue à l’image et à la photographie, sous la houlette de l’artiste JR, membre de Kourtrajmé.
Une formation d’acting est parrainée par l’actrice Ludivine Sagnier. “Nous lançons aussi une formation d’écriture littéraire, en partenariat avec les éditions du Seuil et le rappeur Oxmo Puccino. Et bientôt deux autres sections, mode et musique.” Après Marseille, c’est en Afrique que Ladj Ly ouvrira des écoles Kourtrajmé : à Dakar en ce mois de février, puis suivront l’Algérie, le Mali, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire.

Financer ces projets – surtout en temps de crise économique – est une gageure. “J’avoue qu’au début nous avons eu très peu de soutien, poursuit Ladj Ly. Des amis nous ont aidés, le CNC commence à nous suivre. Mais c’est l’esprit Kourtrajmé, la débrouillardise, on fait avec les moyens du bord. Nous ne savons même pas comment nous allons boucler cette année, mais l’idée reste qu’avec de la volonté, on peut y arriver. Quand on voit le résultat, on ne peut qu’être convaincu : nous en sommes déjà à la troisième année, nous avons formé deux cents personnes, produit une vingtaine de films dont trois longs-métrages. Les trois quarts des élèves formés travaillent, tournent des publicités. Ces derniers mois, nous avons fait des films pour Reebok, Lacoste, Moncler… Nous jonglons entre les projets de documentaires, de séries, nous sommes même débordés par les projets des anciens élèves… En France, dans la section cinéma, nous recevons 2 000 candidatures pour quinze places. On peut dire que la demande est réelle. Il faut avancer coûte que coûte.