8 déc 2022

Le documentaire sur Selena Gomez raconté par son réalisateur Alek Keshishian

Pendant six ans, le réalisateur Alek Keshishian a suivi Selena Gomez dans son quotidien. Pour Numéro, il revient sur son documentaire My Mind & Me, sorti en novembre 2022 sur Apple TV+, dans lequel la star se bat contre la dépression et la maladie. 

Propos recueillis par Camille Bois-Martin.

Selena Gomez et le réalisateur Alek Keshishian pendant le tournage de “Selena Gomez: My Mind & Me” © Apple TV+.

En 1991, Alek Keshishian dévoile son documentaire devenu culte, In Bed with Madonna: Truth or Dare. La chanteuse y apparaît puissante et fière, à la tête d’une révolution en matière de libération sexuelle des femmes. Trente ans plus tard, en 2022, le réalisateur sort un nouveau documentaire sur une autre superstar : Selena Gomez, dans lequel “elle montre sa vulnérabilité sans l’idéaliser, pour que tout le monde puisse comprendre ou s’identifier à sa douleur. À sa manière, elle est révolutionnaire” confie le réalisateur. Si, depuis, Madonna a gagné son combat, Selena Gomez entame le sien pour sensibiliser le grand public aux problèmes de santé mentale. Alors que la première se montrait invincible, la seconde se dévoile dans toute sa fragilité. Et Alek Keshishian, l’homme qui a tout filmé.

 

Selena Gomez est une habituée des caméras. Sous le feu des projecteurs depuis ses sept ans, la chanteuse, actrice et réalisatrice a grandi en étant scrutée par la presse et ses fans. Pourtant, elle propose en 2016 à Alek Keshishian de filmer sa tournée Revival, qui sera finalement arrêtée après quelques semaines car la jeune star tombe en dépression. Pendant les six années qui suivent, elle découvre sa bipolarité et la maladie auto-immune dont elle est atteinte, le lupus. Avec son accord, le réalisateur continue de capturer son quotidien qu’il révèle sans filtre dans son documentaire Selena : My Mind & Me, sorti le 4 novembre dernier sur Apple TV+. Pour Numéro, Alek Keshishian revient sur ces années passées avec Selena Gomez.

 

Numéro : Comment l’idée du documentaire est-elle née ? 

Alek Keshishian : C’était une idée de Selena. Elle m’a d’abord demandé de filmer sa tournée en 2016, mais, au bout de quelques semaines de tournage, j’ai réalisé qu’avoir ces caméras autour d’elle, tout le temps, c’était trop de pression. Elle traversait une période difficile et le timing n’était pas le bon, alors j’ai arrêté. Puis, en 2019, elle m’a recontacté pour documenter son voyage humanitaire au Kenya. Après ce voyage, j’ai continué à la filmer chez elle à Los Angeles, jour après jour, et je ne me suis plus arrêté. 

 

Que saviez-vous de Selena avant le tournage ?

Quand je l’ai rencontrée, je ne savais pas grand chose d’elle. Mais ce qui m’a marqué, c’est son authenticité et sa vulnérabilité. En 2015, c’était une jeune femme qui n’avait pas d’armure ni de mécanismes de défense pour se protéger contrairement à la plupart des autres stars. Elle était entière. Puis, quand j’ai recommencé à la filmer en 2019, même si elle était toujours cette personne authentique et généreuse, j’ai réalisé qu’elle avait grandi, et qu’elle avait fini par développer des stratégies d’adaptation pour contrôler ses émotions et se protéger. C’est cette évolution que je voulais montrer dans le documentaire.
 

Combien de temps avez-vous passé sur la réalisation du film ?

C’était vraiment un job à temps complet pendant six années. Je n’ai rien fait d’autre. J’ai cumulé plus de 200 heures de contenu, auxquelles il faut ajouter plusieurs centaines d’heures d’images d’archives que sa famille et ses amis m’ont donné. Il y avait aussi les images et les vidéos d’elle publiées dans la presse, sans compter les deux boîtes remplies de journaux intimes que Selena m’a donné… Puis j’ai passé deux ans sur le montage.


Selena Gomez dans son documentaire « Selena Gomez: My Mind & Me » © Apple TV+.

Après six années passées à filmer Selena Gomez, vous avez dû forger des liens forts avec elle…

Je suis tombé amoureux d’elle. Parce que je me suis rendu compte qu’elle était bien plus qu’une pop star. Peu importe si elle est triste ou si elle passe une journée difficile, quand elle rencontre des fans ou des gens dans le besoin, elle se connecte avec eux, c’est comme si elle reprenait vie. La plupart des stars avec lesquelles j’ai travaillé se contentaient de signer des autographes en conservant une certaine distance. Selena est à l’opposé de cette démarche. Elle recherche cette connexion, même dans ses jours les plus sombres. Elle prend le temps pour aider ou faire plaisir à ses fans. Je trouve qu’il y a presque quelque chose de sacré chez Selena, elle semble presque prendre vie en se connectant avec les autres. 

 

Avez-vous une anecdote sur ce lien avec ses fans ?

Dans le documentaire, on la voit se rendre à une cérémonie organisée par la fondation McLean pour y recevoir un prix pour son engagement contre le lupus. La plupart des stars seraient arrivées dix minutes avant et reparties juste après leur passage sur scène. Mais Selena est restée, du début à la fin, debout pendant des heures pour parler à toutes les personnes qui le souhaitaient. Je me souviens que les lumières étaient éteintes, la salle presque vide, et elle était toujours là, à écouter les histoires des autres, alors qu’on [ndlr : l’équipe de Selena Gomez] voulait juste partir car on était fatigué à force de tourner (Rires).

 

Pendant plus d’une heure, le documentaire nous plonge dans l’intimité de Selena Gomez. Vous n’aviez pas parfois l’impression d’être trop intrusif ? 

Si, et c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’ai arrêté de filmer sa tournée en 2016. Je me suis toujours positionné avant tout comme un ami plus que comme un réalisateur et elle savait que son bien-être passait en premier, et mon documentaire, en second. Il y a par exemple cette scène vers la fin du documentaire au cours de laquelle ses douleurs liées au lupus refont surface et elle s’effondre en larmes. Je lui demande si elle veut que je continue à filmer et, même si elle me dit oui, je ne peux m’empêcher de la prendre dans mes bras. On voit alors mon épaule dépasser de la caméra. Et il y a beaucoup d’autres scènes où j’apparais dont j’ai dû me séparer. Mais je pense que celle-ci était importante à garder afin de montrer que tous les autres moments où je filme Selena dans son intimité, c’est parce qu’elle me fait confiance.

Selena Gomez dans son documentaire « Selena Gomez: My Mind & Me, » © Apple TV+.

Quand avez-vous décidé d’arrêter de filmer ?

Quand on s’est rendu dans sa ville natale, au Texas, et qu’elle a rencontré ses anciens camarades de classe et voisins. À ce moment-là, je me suis dit que j’avais ma belle fin, en la filmant entrain de retourner sur les lieux de son enfance. Puis, pendant le montage, elle s’est rendue à la Maison Blanche pour discuter de son projet d’éducation sur la santé mentale dans les écoles, ce qui était tout le sujet du documentaire. J’ai donc ajouté ces images.

 

Selena a avoué dans plusieurs interviews qu’elle ne pouvait plus regarder le documentaire.

Je la comprend. Elle en avait déjà vu plusieurs passages pendant le montage. Parfois, elle regardait tout d’un trait, et d’autres fois, elle ne regardait que quelques scènes, faisait une pause, et revenait voir le reste plus tard. C’est sa vie qu’elle regarde, donc c’est comme si elle revivait tous ces moments difficiles. 

 

Ces six années de tournage ont dû être éprouvantes pour vous également…

Oui. Réaliser ce genre de documentaire est très éprouvant pour moi parce que je deviens si proche de la personne que je filme que je finis par penser et respirer comme elle. J’ai passé ces six dernières années entièrement aux côtés de Selena. Donc je suis directement touché par tout ce qu’elle ressent et mon cœur se brise quand elle souffre. Toute cette période de montage a été très difficile. J’ai ressenti beaucoup de pression car je voulais faire de ce documentaire un témoignage le plus sincère possible et lui donner une résonance et un impact qui rendrait tout ce travail digne d’intérêt. 

 

Constatez-vous des changements au sein de l’industrie musicale depuis la réalisation de votre documentaire sur Madonna, sorti en 1991 et celui sur Selena, réalisé trente ans plus tard ? 

Je pense que la pression sur les jeunes femmes célèbres n’a fait qu’empirer. Dans les années 90, il n’y avait pas de réseaux sociaux ni de sites internet people, publiant tous les jours des articles sur la vie privée des stars pour attirer toujours plus de lecteurs. Aujourd’hui, les faits et gestes des célébrités sont constamment scrutés, par la presse comme par les fans qui disposent tous d’une caméra grâce à leurs téléphones… Les stars ne peuvent jamais vraiment baisser leur garde. En particulier celles qui, comme Selena, ont grandi sous le feu des projecteurs. Sa première relation amoureuse a fait la une des journaux du monde entier. C’est déjà assez difficile de vivre son premier amour d’adolescent, mais devoir le vivre sous les yeux de millions de personnes, c’est une pression gigantesque. 

 

Selena Gomez : My Mind & Me” dAlek Keshishian, disponible sur Apple TV+.