L’ascension de Steve McQueen : du clip de Kanye West à l’Oscar pour “12 Years A Slave”
Alors que Steve McQueen est de retour avec son nouveau film Widows, adaptation d'une série britannique, Numéro revient sur la carrière protéiforme du réalisateur oscarisé pour son film 12 Years a Slave en 2014. Portrait d’une pointure du cinéma ultra bankable.
Ne lui rappelez pas qu’il est l’homonyme d’une figure légendaire du cinéma hollywoodien, il risquerait de détourner le regard. Loin de ces préoccupations, le cinéaste continue de forger sa propre trajectoire avec son quatrième film : Widows, adaptation tirée de la série éponyme britannique, qui sortira demain dans les salles. Celui-ci nous embarque à Chicago, à la rencontre de quatre veuves qui poursuivent l’activité criminelle de leurs maris braqueurs, ces derniers ayant été abattus au cours d’un ultime casse. Une superproduction “gangsta” que s’est octroyée avec plaisir le réalisateur de 50 ans qui, ayant conservé son âme de gosse, s’étonne encore du parcours accompli. Élevé modestement dans la banlieue de l’ouest de Londres par sa mère, originaire de Grenade, élève rejeté par le système scolaire pour ses problèmes de dyslexie, il fut orienté vers une classe technique. Au-delà de ces difficultés, Steve Rodney McQueen était surtout un adolescent noir grandissant sans trouver de modèle, ni de référence qui lui ressemblait. Grand, massif et imposant, Steve McQueen ne rentrait pas dans le moule. C’est son goût certain pour le dessin qui lui permit de faire ses classes dans de prestigieuses écoles d’art : au Goldsmith’s College de Londres et à la Tisch School of the Arts de New York. Il y tourne ses premiers courts-métrages en noir et blanc, des expériences qui l’épanouiront enfin et lui forgeront un œil acéré et un univers artistique très apprécié.
Steve McQueen ressent ce besoin viscéral de réaliser un film sur l’esclavage, souhaitant rendre hommage à ses origines ghanéennes.
Steve McQueen est devenu un réalisateur de renom qui a marqué le cinéma de son empreinte avec de puissants blockbusters. Le cinéaste s’attarde sur la violence sociale dans ses premiers films : Hunger (2008), récompensé de la Caméra d’or à Cannes en 2008, où il aborde la guerre civile irlandaise de 1981 et la grève de la faim les derniers jours de Bobby Sands, le leader de l’IRA, mais aussi dans Shame (2011) où il raconte les frasques et la dérive d’un sex addict, magistralement interprété par Michael Fassbender. La violence physique et les corps martyrisés font aussi partie de ses thématiques de prédilection. Steve McQueen ressent ce besoin viscéral de réaliser un film sur l’esclavage, souhaitant rendre hommage à ses origines ghanéennes. En 2014, il devient ainsi le premier réalisateur noir oscarisé, pour son film 12 Years a Slave adapté du livre Douze ans d’esclavage, autobiographie de Solomon Northup (1853) découverte par sa femme, la critique de cinéma Bianca Stigter. Il y dépeint l’histoire du héros : un musicien afro-américain, campé par l’acteur Chiwetel Ejiofor, enlevé et vendu comme esclave dans les années 1840 aux États-Unis. Un récit à la fois tragique et réaliste au retentissement mondial, qui ancre davantage encore son talent dans l’univers cinématographique hollywoodien.
Habitué de La Documenta de Kassel ou encore de la Biennale de Venise, l’artiste expose ses œuvres dans des musées internationaux comme au MoMA et au Guggenheim de New York mais aussi au musée d’Art moderne de Paris en 2003.
Mais Steve McQueen n’est pas qu’un cinéaste aguerri, c’est aussi un vidéaste et un artiste contemporain qui valorise la forme et l’abstraction. Loin de l’ébullition californienne, il s’investit dans un domaine plus confidentiel tout en conservant une ligne similaire à celle de ses films grand public. Il réalise une dizaine de courts-métrages, parfois troublants comme Bear en 1993 où il questionne les thématiques liées à l’homosexualité, à la violence et à la race. En 1999, alors âgé de 29 ans, il reçoit le Turner Prize, la récompense britannique la plus convoitée pour son œuvre Deadpan (1997), où le réalisateur rejoue une célèbre scène du film de Buster Keaton Steamboat Bill Jr. Habitué de La Documenta de Kassel ou encore de la Biennale de Venise, l’artiste expose ses œuvres dans des musées internationaux comme au MoMA et au Guggenheim de New York mais aussi au musée d’Art moderne de Paris.
C’est à Amsterdam où il vit depuis 1998 que l’artiste se recentre auprès de sa femme et de ses deux enfants pour conceptualiser de nouveaux projets audacieux et engagés. En 2003, l’Imperial War Museum de Londres le distingue du titre d'“artiste de guerre”, et la société de production Film4 le charge de couvrir la guerre en Irak et de réaliser un film. Steve McQueen y reste six jours durant lesquels, finalement, il ne réalise pas un court-métrage, mais des portraits des soldats anglais tués. Il les présente sous la forme d’une série de planches de timbres, avec le profil de la reine d’Angleterre en fond (Queen and Country). Un parti pris et un projet qu’il souhaitait voir aboutir officiellement par la mise en vente de ces timbres, mais qui n’a jamais été concrétisé…
Figure de proue d’un cinéma dramatique et intense, Steve McQueen sort une fois de plus de sa zone de confort pour s’attaquer à un documentaire de taille : celui du sulfureux rappeur Tupac Shakur, décédé en 1996. Après le biopic All Eyez on Me de Benny Boom sorti en juin 2017, Steve McQueen s'attaque au sujet sous forme de documentaire : "J’ai étudié à l’école de cinéma de NYU en 1993, et je me souviens de l'engouement pour le monde du hip-hop qui entourait Tupac”, a-t-il confié, précisant qu'il était “extrêmement ému et excité à l’idée d’explorer la vie de cet artiste de légende”. Dans ce film réalisé en étroite collaboration avec la famille du défunt, McQueen souhaite raconter la véritable histoire de l’artiste, aussi complète que possible, pour que son public puisse enfin comprendre ses choix et ses actes. Un documentaire musical qui s'inscrit dans la lignée du clip All Day qu'il a tourné pour Kanye West en 2015 : un clip d’une durée de 9 minutes, réalisé via une unique prise, et qui a d'abord fait l'objet d'une diffusion exclusive à la Fondation Louis Vuitton et au LACMA de Los Angeles.