Rencontre avec Ferdi, le saxophoniste qui démocratise le jazz à coups de pop
Collaborateur de longue date du pianiste Sofiane Pamart, le saxophoniste français Ferdi remet le jazz au devant de la scène médiatique en y intégrant des éléments d’indie pop. Son premier album Take 01 est d’ores et déjà disponible. Rencontre.
Par Alexis Thibault.
Le saxophoniste Ferdi présente Take 01, son premier album solo
On découvre Ferdinand Lemoine pour la première fois au Duc des Lombards, jazz-club incontournable du 1er arrondissement. À ce moment, le jeune saxophoniste ne sait pas encore qu’il fera bientôt le tour des plateaux de télévision sous le pseudonyme de Ferdi, pour défendre Take 01, son premier album studio de dix morceaux, sorti fin novembre 2024. En prime time, on dit déjà de lui qu’il “dépoussière le jazz”. Mais est-ce vraiment le cas ?
Collaborateur de longue date du pianiste Sofiane Pamart ou du crooner Made in Paris, c’est peut-être en intégrant un souffle d’indie pop à ses partitions new jazz – accords vaporeux et grondements de basses – qu’il transforme sa copie en dissertation résolument pop. Les harmonies des seventies, quelques effets chorus et un concert sold out au New Morning… Sa proposition rappelle inévitablement celle de son homologue David Sandborn ou du groupe de jazz fusion américain Spyro Gyra.
Dans le monde fantastique du jazz
Nous n’irons donc pas jusqu’à dire que Ferdi dépoussière le jazz. En revanche il s’attelle à démocratiser un genre, parfois jugé élitiste, grâce à un format plus accessible. Outre-Atlantique, ce sont évidemment les stars du hip-hop qui ont servi de tremplin à ces musiciens géniaux. On a ainsi vu le saxophoniste Kamasi Washington accompagner Lauryn Hill, Thundercat ou Flying Lotus avant de briller en solo; ou l’artiste multi-instrumentiste Terrace Martin faire salle comble après avoir œuvré pour Stevie Wonder, Snoop Dog, Raphael Saadiq ou Kendrick Lamar, il était notamment l’un des producteurs du brillant disque To Pimp A Butterfly (2015).
Pur produit du Conservatoire, Ferdi a découvert le jazz vers l’âge de 15 ans. Avant cela il y a eu L’Oiseau de feu, le ballet en deux tableaux d’Igor Stravinsky et les conseils discographiques de sa mère, artiste, ou de son père, professeur des écoles. Après tout, comment aurait-il pu résister à l’imagerie du jazz ? Ce patrimoine insensé. Ce monde intrinsèquement cool où règnent les stars charismatiques en costumes du label Blue Note. Originaire de Marchiennes, une commune des Hauts-de-France, il a finalement choisi un instrument monodique pour s’abandonner au jazz, dévorant les récits de ses idoles Charlie Parker, Ray Charles, Chick Corea, Kenny Garrett, Christian McBride, Roy Haynes ou Roy Hargrove, artisan du groupe de jazz-funk R.H. Factor. Rencontre.
Les confessions du saxophoniste français Ferdi
Numéro : Il paraît que votre musique n’est pas vraiment du jazz…
Ferdi: Merci de me poser la question, c’est un grand débat. Moi, je considère que je viens du jazz, clairement. Mais le jazz, c’est un réseau assez fermé, élitiste, un peu conservateur, et axé sur la tradition. Ceux qui sont en place depuis vingt ans cherchent encore à faire perdurer un patrimoine. Donc je ne suis pas considéré comme un jazzman par toute la scène. Ce n’est pas grave, j’ai l’habitude. Cet album est à la frontière de tout ce que j’aime. On y trouve du hip-hop, du R’n’B, de la soul, de la pop…
Que manque-t-il aux puristes pour que vous puissiez les convaincre ?
En fait, ils n’ont pas les codes de la musique que je propose, ni de celle que j’écoute d’ailleurs. C’est une nouvelle fusion. Eux associeront cela au porn jazz des années 80. À cette époque-là, il y avait vraiment une scission. Il y avait des puristes. Et il y avait les autres. Le jazz est encore une musique vivante. C’était un terrain de jeu libre et ouvert et je le conçois encore comme ça. Il y a beaucoup d’improvisation dans ma musique. En tout cas, en live comme sur mes disques enregistrés, ce sont des solos improvisés. Mais je peux comprendre que mon album ne plaise pas aux fans de bebop [genre cérébral et complexe né dans les années 40]. Tant pis, moi, je fais la musique que j’ai envie de faire.
Avez-vous intégré volontairement certains éléments issus de la musique pop à vos partitions pour les rendre plus accessibles ?
À l’origine, il s’agit de compositions piano-saxophone. J’ai écrit des grilles d’accords très simples, il y a quatre ou huit accords lorsque le jazz prône une harmonie et une mélodie plus complexes. Outre le fait qu’il soit épuré, cet album, Take 01, a été produit comme un disque de pop. Nous avons cherché les percussions de l’artiste Mk.Gee, car je voulais un son de batterie très particulier, et des productions proches de celles du rappeur Disiz. Nos références sonores allaient donc de Beyoncé à Kendrick Lamar.
Est-il plus difficile de s’imposer dans le jazz lorsqu’on est un saxophoniste blanc ?
Je vis en France, dans un pays où j’ai toujours été privilégié. Il serait extrêmement déplacé d’exprimer une quelconque souffrance quand au fait d’être Blanc. La scène new-yorkaise est différente, certains de mes amis se sont fait bâcher par Robert Glasper et ne se sentaient pas vraiment les bienvenus, mais aux États-Unis, l’Histoire est différente. Toujours est-il que je n’ai jamais considéré cela comme un problème. Être Blanc dans le milieu du jazz. La culture n’est pas la mienne, les références non plus, mais je n’ai jamais eu la sensation de m’approprier quoi que ce soit. On ne m’avait jamais posé cette question…
Je ne voulais pas vous mettre dans l’embarras.
C’est un sujet délicat. Contrairement à la mode, par exemple, je ne pense pas qu’en musique, il y ait de la place pour la question de l’appropriation culturelle. Le jazz est une musique afrodescendante qui vient du blues, du swing et de l’horreur des champs de coton. Au États-Unis, les Blancs font partie, eux aussi, de l’histoire du jazz. Je pense au chef d’orchestre Glenn Miller ou aux collaborations entre Bill Evans et Miles Davis.
Avez-vous remarqué un nouvel engouement pour le jazz ? Notamment auprès de la jeune génération ?
Ces dernières années, j’ai été appelé par énormément de rappeurs pour des sessions studio. Depuis que tout passe par les ordinateurs, les musiciens avaient tendance à disparaitre. Je ne pense pas que les réseaux sociaux y soient pour quelques chose mais l’influence américaine est indéniable, de Robert Glasper à Kendrick Lamar en passant par le batteur Yussef Dayes. Le jazzman n’est plus poussiéreux, il est de nouveaux… stylé. La direction artistique de ces artistes est beaucoup plus forte, beaucoup plus contemporaine. Le jazz est un genre musical qui a besoin d’être illustré pour convaincre les néophytes.
Take 01 de Ferdi disponible. En concert à L’Alhambra le 10 juin.