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Rencontre avec MadeInParis, héritier français de TheWeeknd
Graphiste, réalisateur ou crooner ultra moderne, MadeInParis se complaît dans une époque où l’on ne jure que par le streaming et les algorithmes. Son physique rappelle Moodymann ou André 3000, son R’n’B caniculaire et explicite celui de Hamza et de Luidji. Après la mixtape Voulez-vous coucher avec moi ? [2021], il défend désormais Comme vous voulez, son premier album qui fait office de réponse aguicheuse… Rencontre.
Propos recueillis par Alexis Thibault.
Il est 11h00 passées mais Dave Wayne a encore les yeux lourds. “D’ordinaire je me lève aux alentours de 18h00…” Un rythme de noctambule qu’il doit aux sessions de studios interminables imposées par son ancienne profession: ingénieur du son. C’est à lui que l’on doit le mixage du tube Djadja (2018) succès planétaire de la Française Aya Nakamura. À 27 ans, c’est sous le pseudonyme MadeInParis qu’il officie aujourd’hui… mais à l’intérieur de la cabine d’enregistrement. Graphiste, réalisateur, rappeur érotique ou crooner ultra moderne, le natif de Saint-Martin compose dans sa chambre et se complaît dans une époque où l’on ne jure que par le streaming et les algorithmes. Son physique rappelle Moodymann ou André 3000, son R’n’B caniculaire celui de Hamza et de Luidji. MadeInParis s’amuse et distribue des versets jubilatoires débordants de luxure et inspirés des tubes de The Weeknd. Preuve en est, l’un de ses titres les plus plébiscités s’intitule…Sex. Après la mixtape Voulez-vous coucher avec moi ? (2021), il défend désormais Comme vous voulez, son premier album qui fait office de réponse aguicheuse… Rencontre.
Numéro: Les paroles de vos chansons sont souvent très explicites. D’où vous vient cette obsession pour le sexe?
MadeInParis: Mes textes correspondent à mes mélodies. Je peux difficilement évoquer les violences policières avec des musiques comme ça. Si je parle de relations amoureuses et sexuelles c’est parce que je suis à l’aise avec ce genre de sujets. J’ai cherché à me perfectionner pour en faire une signature, il faudrait peut-être que je change de thème… mais je n’en ai pas envie. J’écris des chansons qui parlent à tout le monde, c’est pourquoi je n’utilise que rarement la troisième personne du singulier. Tout le monde doit se reconnaitre et se projeter dans ma musique, mis à part les mineurs peut-être. [Rires]
Vous arrive-t-il de vous censurer ?
Au moment où nous composions le morceau Pornstar Martini, Luidji m’avait conseillé d’y aller mollo. [Rires] Il trouvait que mes propos étaient trop crus alors qu’il est lui-même très explicite dans ses morceaux. Je n’ai jamais pensé à la façon dont ma famille aurait pu réagir à mes textes par exemple. Mes parents ne savent même pas que je fais de la musique. Ils pensent que je suis au chômage…
Faites-vous l’objet de critiques assassines ?
En général, les critiques publiées sur les réseaux sociaux m’amusent beaucoup. Mais je me souviens d’un message terrible sur Twitter: “À la façon dont il parle des femmes, on voit bien que MadeInParis est un gros complexé qui a besoin du réconfort de ses amis. Il se permet d’être arrogant et maltraite les filles. Je ne peux plus écouter ce type.” Je me souviens avoir montré ça à mes potes, un peu choqué, en me demandant si cette dame avait vraiment écouté ma musique. Depuis, j’ai appris à digérer les choses sans réagir de façon impulsive. J’aurais peut-être du discuter avec elle. J’ai vu ce qui a pu se passer avec d’autres rappeurs et j’aimerais bien que ma carrière dure !
Êtes-vous vraiment tombé dans le monde impitoyable de la musique par hasard ?
J’ai longtemps détesté la musique parce que mes sœurs passaient leurs journées devant MTV alors que je mourrais d’envie de jouer aux jeux vidéo ! Mes parents se disputaient souvent, c’est surement pour cela que je déteste les cris et que je n’écoute pas la musique trop forte. Plus jeune, j’étais persuadé que je suivrais les traces de mon père pour finir dans un bureau avec un job “normal”. Mais lorsque j’ai quitté Saint-Martin pour débarquer en France à l’âge de 10 ans, j’ai compris que mon avenir serait ici et qu’il serait spécial : je suis tombé amoureux des Champs-Elysées, des croissants et de la pollution. [Rires]
Beaucoup d’auditeurs vous on découvert avec Dopamine Effect [2019], un opus sur lequel vous chantez en anglais. N’avez-vous jamais envisagé de vivre l’American dream ?
Je parlais anglais avant de m’exprimer en français. Mais lorsque j’ai découvert les États-Unis, j’ai compris que ce n’était qu’un décor de cinéma. Je n’ai pas vraiment apprécié la mentalité américaine… Construire une carrière là-bas est très risqué et, si vous tombez, vous ne vous en relèverez pas.
Est-ce à force d’enregistrer les tubes des autres que vous avez enfin décidé de vous lancer dans le grand bain ?
J’ai quitté un poste de vendeur pour devenir “le petit ingénieur du son derrière l’ordinateur”. Je voyais tout, j’écoutais tout et j’engrangeais des informations à longueur de session. Savoir m’enregistrer seul est la meilleure chose qui me soit arrivée : dès que j’ai une petite idée en tête, je suis capable de la retranscrire précisément en studio. En travaillant pour les équipes d’Oboy ou d’Aya Nakamura, j’ai compris comment on créait un hit. J’ai longtemps été sujet aux angoisses standards : est-ce que mon projet va marcher ? Que vont penser les gens ? Aujourd’hui, je n’ai plus peur de l’échec dès lors que j’en connais la cause.
On parle de plus en plus souvent de musique en évoquant l’application TikTok et son algorithme aussi efficace que dévastateur, composez-vous uniquement à destination des réseaux sociaux ?
En toute honnêteté, je ne m’y connais pas tant que ça. Mais je m’y intéresse de plus en plus pour comprendre les tendances et ne pas échapper à la nouveauté. La musique est comme la mode, on en a fait le tour. Il faut donc en réinventer les codes. Peut-être que d’ici une dizaine d’années, nous ne parlerons même plus de streaming. Nous écouterons de la musique grâce à des puces implantées dans notre cerveau comme dans un épisode de Black Mirror… Pour le moment, je n’ai d’autre choix que de m’adapter au marché : la musique raisonne en termes de cibles, de communauté, d’algorithmes et de produits. TikTok reste le futur. C’est donc aux artistes de se réapproprier l’application. Mais comme au casino, c’est à double tranchant: vous allez amasser encore et encore mais, à la fin, c’est toujours la banque qui gagne.
Pourquoi n’avez-vous pas cédé à la tendance de la cagoule pour dissimuler votre identité ?
Je crois qu’il est possible de mourir d’une overdose d’ego mais la fame ne me fait pas peur. Je me demande simplement ce que je pourrais bien en faire. En fait, j’ai surtout peur de commencer quelque chose que je ne pourrai jamais vraiment poursuivre. Tyler, The Creator, The Weeknd, Drake ou A$AP Rocky ont réussi à produire de la musique pendant dix ans sans jamais tomber. Damso a pu s’octroyer quelques pauses puis revenir avec des choses encore plus fortes. Hamza et Laylow on su construire leur carrière brique après brique de façon constante. Ils ont peut-être ouvert la voie aux gens comme moi…
Comme vous voulez, de MadeInParis, disponible.