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“Judas and the Black Messiah”, un film décevant sauvé par l’acteur oscarisé Daniel Kaluuya
Triplement nommé aux Oscars dans les catégories reines, le film de Shaka King était attendu comme le Messie… Il est diffusé ce soir sur Canal +.
Par Chloé Sarraméa.
À l’heure où les États-Unis ont manqué de s’embraser si le policier accusé du meurtre de George Floyd avait été acquitté par la justice, c’est toute la société américaine qui souhaite qu’on reconnaisse enfin que “la vie des Noirs compte” et ce, aussi à travers sa représentation au cinéma. En effet, cela fait déjà quelques années que l’industrie hollywoodienne est rythmée par le mouvement Black Lives Matter. On peut citer 2017, année charnière où Moonlight a remporté la statuette du “meilleur film”. Parce qu’il raconte l’éducation d’un Afro-Américain homosexuel dans un ghetto de Miami et que son casting est entièrement composé d’acteurs noirs, le bijou de Barry Jenkins a représenté un tournant dans l’histoire des Oscars, où il a été sélectionné cinq fois.
Quatre ans plus tard, lors de cette même cérémonie qui s’est tenue dimanche à Los Angeles, le pays de l’Oncle Sam avait les yeux rivés sur le possible succès de Judas and the Black Messiah, film dénonçant le racisme dans le pays à travers l’histoire de Fred Hampton, meneur historique des Black Panthers de Chicago, qui fut assassiné par le FBI le 4 décembre 1969. Nommé aux côtés des Sept de Chicago – évoquant lui aussi les tensions raciales aux États-Unis à la fin des années 60 – dans la catégorie suprême du “meilleur film”, le deuxième long-métrage de Shaka King est reparti bredouille, ou presque : il a permis à son interprète Daniel Kaluuya d’être sacré “meilleur acteur dans un second rôle”. Malheureusement, le jeu de la star de Get Out (2017) est l’une des seules qualités que l’on puisse reconnaître au film.
Pourtant pétri de bonnes intentions, Judas and the Black Messiah s’emploie, pendant deux heures, à livrer une version trop peu approfondie de l’histoire liant le gouvernement de Nixon au mouvement révolutionnaire de libération afro-américaine, survolant les faits pour ne produire qu’un brûlot se faisant l’apôtre de la bien-pensance. Pour raconter l’assassinat de Fred Hampton (Daniel Kaluuya), perpétré dans le cadre du programme Cointelpro, initié par le directeur du FBI John Edgar Hoover contre les mouvements qu’il qualifiait de terroristes, et aujourd’hui reconnu comme illégal – mais de tout cela, le film ne dit rien –, Shaka King axe son récit sur le personnage de William O’Neal (LaKeith Stanfield), une petite frappe qui deviendra bientôt une taupe, puis l’un des maillons conduisant au meurtre du leader. Sans contextualiser le récit, en n’expliquant ni les enjeux ni moyens mis en œuvre à l’époque par l’État américain pour neutraliser les mouvements de protestation tels que le Black Panther Party, le cinéaste ouvre son film sur une scène où le futur traître se fait prendre la main dans le sac au volant d’une voiture volée. Il est arrêté, détenu et harcelé par un agent du FBI, Roy Mitchell (Jesse Plemons), qui lui propose aussitôt un marché : afin que les charges qui pèsent sur lui soient abandonnées, il doit s’infiltrer au sein des Black Panthers et devenir un informateur.
L’Histoire l’a écrit : William O’Neal accepte le deal et, sans difficulté, se rapproche de Fred Hampton. S’employant à décrire comment le traître est parvenu à gagner la confiance du gourou, lequel est montré, lors de plusieurs scènes, comme le Messie, l’unique membre du Parti capable de rallier à sa cause d’autres groupes militants, le réalisateur oublie de développer le personnage de LaKeith Stanfield. Pourquoi ce Judas-là se conforme-t-il si vite aux demandes du FBI ? N’éprouve-t-il jamais de remords à trahir les personnes avec qui il passe le plus clair de son temps ? Le William O’Neal de Shaka King n’essaie pas de négocier sa peine et préfère, au fil des rencontres avec Roy Mitchell, marchander quelques centaines de dollars.
Si problème majeur Judas and the Black Messiah réside dans le fait que l’on connaisse déjà la fin – sans doute aurait-il dû, alors, débuter par l’assassinat et recoller les morceaux un à un –, et qu’il ait moins été pensé comme un film engagé, à la mise en scène irréprochable, que comme un produit hollywoodien estampillé Black Lives Matter, il faut néanmoins lui reconnaître une esthétique bien pensée. Grâce aux plans léchés signés Sean Bobbitt (The Place Beyond the Pines, Twelve Years a Slave), les visages transpirent la peur et la haine, et la scène où J. Edgar Hoover demande, placide, à son jeune agent ce qu’il dirait “si [sa] petite fille [lui] ramenait un Nègre” devient difficilement supportable. Heureusement, c’était l’effet escompté.
Judas and the Black Messiah (2021) de Shaka King, ce soir à 21 h sur Canal + et à la demande, sur myCanal, jusqu’au 25 juin.