Qui est Félix Moati, l’acteur le plus discret du cinéma français ?
L’acteur Félix Moati s’est imposé au fil des années comme une figure attachante du cinéma français. À l’aise dans les rôles sensibles et nuancés, il alterne films d’auteur, réalisations personnelles et projets plus audacieux. Alors qu’il est actuellement à l’affiche du film Mikado de Baya Kasmi, Numéro est allé à la rencontre d’un artiste en perpétuel mouvement, à la fois pudique et profondément attachant.
Interview et portraits par Nathan Merchadier.

Félix Moati, acteur versatile révélé dans le film LOL
Avec sa silhouette élancée, sa voix traînante et son regard teinté de mélancolie, Félix Moati est devenu une figure familière — et pourtant discrète — du septième art. Mais derrière cette apparente réserve se cache un artiste prolifique. Entre écriture, jeu et réalisation, il trace les lignes d’un parcours intime et singulier. Loin des artifices et des coups d’éclat.
Révélé au grand public avec le teen movie générationnel LOL (2008) ou encore dans la comédie sociale Hippocrate (2014), il s’est peu à peu imposé dans le milieu confidentiel du cinéma français. Acteur de compositions souvent empreintes de mélancolie, oscillant entre tendresse et tourments, il incarne une génération qui préfère la justesse à l’esbroufe.
Ainsi, le comédien et réalisateur alterne entre projets intimistes et films d’auteur exigeants. À l’instar de son premier long-métrage en tant que réalisateur, Deux Fils (2019), au sein duquel il dirige Benoît Poelvoorde et Vincent Lacoste. Et s’il demeure fidèle au cinéma hexagonal, l’acteur de 34 ans lorgne également vers quelques projets internationaux. Comme en 2021, quand il apparaît au casting de The French Dispatch de Wes Anderson.
Actuellement à l’affiche du film Mikado , où il joue un père nomade aux côtés de Vimala Pons, l’artiste explore avec une grâce tranquille les contours mouvants de la parentalité, de l’amour et de l’engagement. À l’occasion d’un entretien exclusif avec Numéro, mené dans un appartement baigné de lumière du 20ᵉ arrondissement de Paris, l’acteur se confie sur sa vision du cinéma, ses inspirations et ses désirs d’écriture. Rencontre avec un acteur en perpétuel mouvement, à la fois pudique et profondément attachant.
L’interview de l’acteur Félix Moati
Numéro : Dans une récente interview, vous disiez au micro de France Inter avoir eu du mal à quitter votre enfance. À quoi ressemblait-elle ?
Félix Moati : J’ai vécu une enfance très heureuse, baignée d’une tendresse parentale et fraternelle. Mais quand je suis devenu père, j’étais obsédé par l’idée d’avoir vécu une enfance malheureuse. Ce qui n’était absolument pas le cas. En faisant un travail d’introspection, j’ai compris que je ressentais une nostalgie de devoir abandonner l’enfance. Il y a toujours une douleur qui nous accable au moment de quitter l’insouciance qui caractérise la jeunesse. Avant de faire peau neuve et de rentrer dans la vie adulte.
Vous avez fait vos premiers pas au cinéma dans le film à succès LOL en 2008. Quel chemin avez-vous parcouru avant de devenir acteur ?
C’était il y a 17 ans, soit la moitié de ma vie. Je m’étais inscrit à un cours de théâtre de Nikola Parienty avec des amis. Pour passer le temps plutôt qu’avec l’envie de devenir acteur. Un jour, je me suis pointé au casting du film de Lisa Azuelos avec une malice d’adolescents. J’avais l’impression que je préparais un sale coup. Et il se trouve que j’ai été pris.
Avec du recul, quels souvenirs gardez-vous de cette aventure ?
Mes parents ne voulaient pas que je fasse ce film, car le tournage empiétait sur mon année scolaire (celle du baccalauréat). Mais j’ai tout de suite ressenti un immense plaisir à jouer. J’en garde un souvenir très joyeux, comme une sorte de colonie de vacances. J’avais l’impression de faire quelque chose que les gens de notre âge n’avaient pas le droit de faire.

“Dans la paternité, il y a quelque chose d’éminemment tragique.” Félix Moati
Dans le film de Baya Kasmi, le personnage de Mikado que vous interprétez semble n’obéir à aucune règle si ce n’est son instinct. Comment avez-vous préparé ce rôle ?
Avec ce film j’ai eu l’impression d’archiver l’amour que j’ai pour mon fils dans la vraie vie. Le cinéma est parfois très gracieux car dans vingt ans, je regarderai ce long-métrage en me disant que je me souviens exactement de ce que je ressentais à ce moment-là. Quand mon personnage porte son fils ou sa fille dans les bras, c’est un sentiment qui ne m’est pas étranger car je le vis au quotidien. J’aime quand il y a une rencontre entre ce qui est écrit dans le scénario et un instant biographique, quelque chose qui me raconte.
Mikado incarne une version singulière de la paternité. Une thématique que vous aviez abordé à votre manière dans le film Deux fils que vous avez réalisé. Pourquoi ce thème vous touche-t-il autant ?
Je pense que c’est un thème qui nous touche tous. J’ai l’impression que dans la paternité et la filiation, il y a quelque chose d’éminemment tragique. Il y a du drame au sens grec de la chose, c’est-à-dire de la narration et des antagonismes. Dans le film Mikado, j’ai perçu cette dualité entre l’envie de surprotéger mes enfants, mais aussi cet immense désir de les laisser libres. Cela crée une sorte de friction qui m’a beaucoup intéressée.
Le scénario du film comporte également une forte dimension politique. Cela a-t-il motivé votre choix ?
La dimension politique du film s’exprime à travers un rapport de lutte des classes. Notamment lorsque notre famille se heurte à celle, plus aisée, de Ramzy Bedia. Explorer cette notion m’a paru très stimulant, car elle touche à l’essence même de nos sociétés, à leur structure profonde.


“Mes angoisses d’acteur sont les mêmes que celles que j’ai dans la vie”. Félix Moati
Récemment, vous avez déclaré : “Je suis acteur, j’espère pouvoir rentrer en contact avec des vies qui ne sont pas les miennes”. Comment trouvez-vous la force et l’envie de sans cesse vous renouveler à l’écran ?
En hébreu, le mot “vie” ne se dit jamais au singulier. Il est nécessairement employé au pluriel donc lorsque l’on dit “lehaïm”, cela signifie qu’il y a plusieurs vies. Je pense que c’est une éthique qui me parle beaucoup. Malgré la réalité qui est singulière à chacun de nous, on fait l’expérience de plusieurs vies qui ne sont pas les nôtres. Pour moi, le métier d’acteur est synonyme d’une inépuisable source de création car il nous permet d’actionner ces nouvelles vies que nous n’aurions probablement jamais vécues autrement.
Parfois, avez-vous du mal à vous défaire d’un rôle pour lequel vous avez investi beaucoup d’énergie ?
Je viens de tourner dans Les Vivants, une série de Jean-Xavier de Lestrade centrée sur les attentats du Bataclan. Ces événements ont été une sorte de traumatisme collectif et notre génération a été très impactée par cela. Parfois, il m’est donc difficile de me détacher d’un personnage.
En tant qu’acteur, quelles sont vos plus grandes peurs ?
Mes angoisses d’acteur sont les mêmes que celles que j’ai dans la vie. J’ai parfois peur d’être inconséquent, de tomber dans un trou et de ne plus exister. Une autre question que je me pose souvent est la suivante : “comment être à la bonne distance de soi-même pour ne pas trop en faire”.
“On voit bien que la masculinité exacerbée n’est plus vraiment la norme.” Félix Moati
Ces derniers temps, on parle souvent d’une nouvelle forme de masculinité. Avez-vous le sentiment que les attentes que la société nourrit envers les hommes sont en mutation ?
Comme tous les jeunes hommes, j’ai été traversé par ces interrogations. Comment envisager notre virilité et comment accueillir la part de féminité qu’il y a en nous. Toutes ces questions sont abstraites et on ne sait pas vraiment ce qu’elles veulent dire. Mais depuis que je suis père, je ne me pose plus ces questions-là. Je pense que l’avenir est à l’acceptation, pour les hommes et pour les femmes, de nos fragilités. On voit bien que la masculinité exacerbée n’est plus vraiment la norme.
En 2019, vous avez sorti Deux fils, votre premier film en tant que réalisateur. Vous arrive-t-il souvent d’avoir envie de retourner derrière la caméra ?
J’y pense tout le temps et je suis très inhibé dans l’écriture de mon second long-métrage. C’est un processus long et douloureux. Peut-être même plus que pour mon premier film car je l’ai réalisé en étant très jeune, dans une période d’insouciancee. Maintenant j’ai compris que c’était mon métier, donc je suis beaucoup plus inquiet et tyrannisé par le regard des autres. Durant cette écriture, je suis passé par plusieurs phases car j’ai beaucoup tourné en tant qu’acteur, je suis devenu père et j’ai aussi traversé de nombreux épisodes mélancoliques…
La diversité de rôles dans lesquels vous vous plongez se retrouve aussi dans la palette éclectique des réalisateurs qui vous ont choisi. Quel effet cela fait-il de passer d’un film de Wes Anderson à un tournage plus confidentiel en français ?
Parfois, tu passes d’un film Wes Anderson où tu as toute une journée pour faire un plan, à un long-métrage plus indépendant, dans lequel il faut rentrer quatre séquences en un temps restreint. La vraie grande différence se situe alors au niveau de l’économie du film. En tant qu’acteurs, nous devons constamment être en mesure de nous adapter à ces spécificités sur un tournage, ainsi qu’à la vision d’un metteur en scène.

“La vie d’acteur, c’est souvent d’alterner des phases de trop plein avec des phases de vide totale”. Félix Moati
À ce propos, quels souvenirs gardez-vous de votre rencontre avec Wes Anderson ?
Même si j’y tiens un rôle minuscule, je suis resté deux semaines sur le tournage de The French Dispatch. Tous les soirs, Wes Anderson nous conviait à dîner autour de sa table et je l’écoutais parler. J’ai aussi passé beaucoup de temps à le regarder vivre. Ce n’est quand même pas tous les jours que l’on peut être en contact avec un artiste de cette trempe. Il était d’une extrême douceur, très à l’écoute et en même temps très affirmé.
Certains vêtements ou costumes vous permettent-ils de façonner plus facilement vos personnages ?
Les costumes sont absolument fondamentaux pour rentrer dans un personnage. Au cinéma, je dis souvent que “l’habit fait le moine”. Pour moi, le plus important, ce sont les chaussures. Elles t’apportent un rapport essentiel à la gravité. Je peux être très pointilleux avec les costumiers si la paire de chaussure de mon personnage ne me convient pas. À côté de cela, je regarde le milieu de la mode d’un œil lointain et admiratif. À une époque, j’étais très proche du couturier Azzedine Alaïa. J’étais absolument fasciné par sa manière d’habiller les femmes. Je trouve aussi qu’il y a plein de jeunes créateurs émergents qui sont absolument passionnants. Qu’est-ce que le vêtement dit de notre époque, c’est une question qui me passionne. On parlait tout à l’heure d’un bouleversement des canons de la masculinité. “Comment habiller les hommes aujourd’hui” : c’est une vraie question.
Parlez-nous de vos futurs projets.
Il y a la série Les Vivants dans laquelle je partage l’affiche avec Benjamin Lavernhe et Antoine Reinartz. À côté de cela, je suis en phase de lecture de quelques scripts et certains films que j’ai acceptés sont en cours de financement. La vie d’acteur, c’est souvent d’alterner des phases de trop plein avec des phases de vide totale. Le plus dur est probablement de réussir à accepter le vide.
Mikado (2025) de Baya Kasmi, avec Félix Moati et Vimala Pons, actuellement au cinéma.
Stylisme par Emmanuelle Ramos. Remerciements à Charles Brisgand et Indiana Vianelli.