Cannes 2025 : que vaut le film d’ouverture du festival avec Juliette Armanet ?
Entre comédie musicale et film d’amour, le premier long-métrage d’Amélie Bonnin raconte avec une douce mélancolie le retour d’une cheffe surdouée sur les terres de son adolescence.
Par Olivier Joyard.

Partir un jour : une douce mélancolie entre comédie musicale et romantique
C’est une belle histoire comme seul le Festival de Cannes peut en écrire. Avant le printemps 2025, Amélie Bonnin n’avait réalisé qu’un court-métrage de fiction, Partir un jour, auréolé du César du meilleur court-métrage en 2023. Un succès qui laissait augurer la suite, écrite en majesté. Présentée en ouverture sur la Croisette cette année, l’adaptation en long-métrage du même récit se fait une place au soleil.
La réalisatrice avait anticipé que pour elle, l’avenir s’écrirait joyeusement. Comme son discours sur la scène des César le suggérait : “On peut être une femme de 40 ans, avoir deux enfants, des cheveux blancs, et sentir qu’on est au commencement des choses.” Ce commencement, c’est donc un premier film scruté par le monde entier, fondé sur l’histoire la plus intime qui soit, celle du retour aux origines, pincements au cœur compris.

À la vie, à la mort
Cécile (Juliette Armanet) est une cuisinière star qui a remporté Top Chef. L’ouverture de son restaurant s’annonce à Paris lorsque deux nouvelles la retournent, l’une liée à la vie, l’autre à la mort : son test de grossesse est positif au moment même où son père, victime d’un troisième infarctus, semble très mal en point.
Non seulement elle n’a aucune envie d’avoir un enfant, mais ses rapports avec sa famille paraissent distants. La voilà qui laisse pourtant tout en plan. Elle part se confronter à la vie qu’elle a eu un jour et qu’elle a fui. Là où elle a grandi, ses parents tiennent un restaurant de routiers défraichi, loin de son rapport sophistiqué à la gastronomie. Le choc culturel et social est immense.
Partir un jour choisit de faire de ce contraste un terreau fructueux, un prétexte à l’introspection pour son personnage central. Cela est rendu possible par un choix narratif fort. Dans le court-métrage, la personne qui retournait sur les traces de son adolescence était un écrivain interprété par Bastien Bouillon. Cette fois, les genres et les fonctions sont inversés. C’est l’héroïne qui retrouve Bastien Bouillon, resté sur place et devenu garagiste.

Juliette Armanet crève l’écran
Juliette Armanet crève l’écran dans un emploi pas si simple, celui d’une jeune femme qui donne la sensation, à chaque instant, de pouvoir tout plaquer, de vouloir s’échapper, de tutoyer l’abîme. Choisir, avancer, hésiter, désirer. Tout s’emmêle. Sa liberté n’est pas un présupposé théorique : elle s’écrit dans la difficulté, au fil des jours, au fil des plans, alors que des questions décisives se posent.
Doit-elle garder l’enfant qu’elle porte, au prétexte qu’elle pourrait ne jamais retrouver l’occasion d’être mère ? Peut-elle s’abandonner dans les bras de son amour de jeunesse, parce qu’il porte sur elle un regard que plus personne ne porte ? Toutes ces interrogations, Partir un jour les brasse avec grâce et un certain style. La réalisatrice, Amélie Bonnin, vient de l’univers du graphisme et du documentaire. Elle sait circonscrire son regard à l’essentiel, sans effets superflus. Cela donne un film parfois un peu sage, qu’on aurait aimé plus cru pour qu’il nous dévaste.

Quand un tube de 2Be3 nous émeut
Mais Partir un jour conserve de grands atouts, notamment ce qui le rattache finement à la tradition de la comédie musicale. À mesure que le film se déploie, les personnages se chantent à intervalles réguliers des standards de la chanson française revisités. Cela va de Cécile de Claude Nougaro à Paroles de Dalida, en passant notamment par Céline Dion, K. Maro, jusqu’à la chanson du boys band 2Be3 qui donne son titre au film. On réalise qu’on n’en avait jamais vraiment écouté les paroles attachantes.
Le film démontre à quel point la culture populaire nous imprègne collectivement, façonne nos imaginaires, raconte nos vies de façon à la fois frontale et lancinante. L’idée est toute simple, mais d’une efficacité redoutable. Ici, la musique se glisse dans la fiction et dans les images, les souvenirs et parfois les regrets débordent sans pouvoir être réprimés. Juliette Armanet ne se place pas en surplomb des mélodies.
Si sa voix porte, c’est bien celle du personnage qu’on entend, une voix loin de raconter la maitrise mais au contraire la brisure et le doute. Partir un jour finit par nous emporter en suivant ce chemin vers une forme d’humilité. Celle qui dit que nos vies valent d’être vécues sans être tout à fait complètes. Cela donne non pas un grand film, mais un beau film, ancré en nous au fil du temps.
Partir un jour d’Amélie Bonnin, au cinéma le 13 mai 2025. Présenté Hors Compétition en ouverture du Festival de Cannes.