Rencontre avec Emma Stone, star du sublime Pauvres Créatures diffusé sur Canal+
Huit ans après sa performance oscarisée dans La La Land, l’actrice américaine Emma Stone éblouit dans le rôle de la créature à la fois sexuelle et candide Bella Baxter dans le film baroque Pauvres Créatures de Yórgos Lánthimos, diffusé sur Canal+ ce mardi 3 septembre. Un rôle qui lui a valu de nombreux prix dont un Golden Globe et un Oscar. Elle nous a parlé de cette performance puissante lors d’une conférence de presse en petit comité, à Paris.
propos recueillis par Violaine Schütz.
“Jouer le rôle de Bella a été incroyable. Je vois ce film comme une comédie romantique, car Bella tombe amoureuse de la vie et pas d’une personne. Elle accepte le bien et le mal dans un équilibre parfait. Toute la vie compte. Finalement, ce rôle m’a donné un nouveau regard sur la vie et Bella m’accompagne encore.” C’est avec ces mots tendres et émouvants qu’Emma Stone acceptait son Golden Globe de la meilleure actrice dans une comédie ou un film musical lors de la prestigieuse cérémonie qui s’est tenue le 7 janvier 2024.
L’actrice américaine âgée de 35 ans exprimait ainsi combien le rôle de la candide Bella Baxter – une femme adulte avec le cerveau d’un nourrisson – dans Pauvres Créatures (Poor Things), un film ambitieux du réalisateur grec Yórgos Lánthimos (La Favorite, The Lobster) diffusé ce mardi 3 septembre sur Canal+, a changé sa vie.
Au cinéma depuis le 17 janvier 2024, cette comédie surréaliste et steampunk – Lion d’or à la dernière Mostra de Venise – a aussi changé le regard des spectateurs sur Emma Stone, sur les femmes et sur le monde. Et elle vient de lui valeur le deuxième Oscar de sa carrière lors de la cérémonie qui s’est tenue le 10 mars 2024. La star à l’allure éternellement ingénue avait déjà remporté un Oscar de la meilleure actrice pour son rôle dans le film culte La La Land (2016) de Damien Chazelle.
Emma Stone raconte son rôle dans le sublime film Pauvres Créatures
Avant de jouer dans l’étrange et sublime adaptation d’un roman d’Alasdair Gray intitulée Poor Creatures (et d’en être la productrice), Emma Stone avait déjà une belle carrière derrière elle. Et le respect du tout Hollywood.
Versatile, loufoque et toujours juste, la comédienne excelle aussi bien dans le registre de la comédie (Easy Girl) que dans celui des longs-métrages romantiques (Crazy Stupid Love, Magic in the Moonlight de Woody Allen, Sexe entre amis), des films noirs ou dramatiques (L’Homme irrationnel, La Couleur des sentiments) ou encore d’époque (La Favorite).
Mais la star de The Amazing Spider-Man, Birdman et Cruella n’a jamais été aussi bouleversante que dans Pauvres Créatures. Sa performance dans le film est un tour de force farfelu, de ce ceux qui affolent les cérémonies de récompenses et les critiques de cinéma.
Plus jeune, l’actrice à la beauté insolente (de très grands yeux turquoises, un minois de poupée et une voix rauque), rêvait d’être Steve Martin. Avec ce nouveau rôle, elle fait bien mieux, en s’inscrivant en digne héritière des plus grandes héroïnes de la Screwball Comedy, le genre cinématographique fantasque qui a enchanté les années 30 et 40… Il est loin le temps où, ado, la comédienne à l’affiche de la série délirante The Curse faisait une présentation PowerPoint à ses parents pour les convaincre de la laisser se lancer pour de bon à Hollywood.
« Je dirais que Bella Baxter est le personnage le plus plus joyeux que j’ai incarné jusqu’à présent. » Emma Stone
Quand on lui demande, lors d’une conférence de presse en petit comité à Paris, en décembre dernier, si sa prestation dans Pauvres Créatures est la plus périlleuse de sa carrière, Emma Stone dément avec enthousiasme : « Je dirais plutôt que Bella Baxter est le personnage le plus plus joyeux que j’ai incarné jusqu’à présent. Est-ce que les choses qui me semblaient difficiles à créer avec Bella n’étaient pas en fait simplement mon autocritique ou ma façon d’essayer de me débarrasser de mes propres expériences de vie parce qu’elle est si ouverte ? » Elle ajoute : « Je pense que je suis tombée follement amoureuse d’elle en tant que personne et que je voulais juste vivre à sa place ou essayer d’être à sa hauteur pendant un moment. »
Ce que l’actrice, qui a lutté contre l’anxiété et des crises de panique (qui lui ont valu, à l’adolescence, quelques virées à l’hôpital), envie le plus chez l’héroïne de Pauvres Créatures ? « Son extrême soif de vie. Elle pense que tous les aspects de la vie sont fascinants parce qu’elle est amoureuse du fait d’être en vie. Je trouve ça très inspirant. J’aimerais pouvoir vivre comme ça plus souvent. Que ce soit une expérience incroyable ou une expérience vraiment difficile, elles ont le même poids et sont intéressantes parce que ça restela vie. Tout cela conduit à une évolution chez vous, mais il n’y a pas vraiment de jugement émis là-dessus. » Poétique et crue à la fois, l’odyssée de Bella Baxter se révèle aussi inspirante à regarder pour le spectateur, qu’elle l’a été à initier pour la star de La La Land (2016).
Bella Baxter : une héroïne libre, à la sexualité exacerbée
Sur le papier, le rôle de Bella Baxter semblait pourtant particulièrement subversif et dangereux. Car, à la manière d’un Frankenstein au féminin, le film noir, fantastique et baroque Pauvres Créatures met en scène une histoire des plus abracadabrantes.
Bella est une jeune femme ramenée à la vie après s’être suicidée par le Dr Godwin Baxter (Willem Dafoe), qui va l’élever (et la garder enfermée chez lui) comme sa fille, loin des turpitudes d’une société (qui semble s’inscrire dans l’époque victorienne). Mais suite à une expérience du médecin sans scrupules qui lui sert de père, elle possède désormais le cerveau du bébé qu’elle portait dans son ventre au moment de sa mort.
Vierge de savoirs et d’inhibition, Bella doit tout réapprendre du monde et de ses usages. La jeune fille effrontée et curieuse décide alors de s’enfuir de la tutelle paternelle (accompagnée d’un amant avocat décadent, Duncan, joué par Mark Ruffalo) pour parcourir de nouvelles contrées.
Découvrant la face sombre de l’univers et des êtres humains lors d’un périple à travers le monde, Bella va vivre une multitude d’aventures palpitantes (ou effrayantes)… Comme celle de manger des pâtisseries à Lisbonne, de prendre le bateau, de parler à des inconnus, de lire des livres ou de se prostituer dans une maison close, à Paris. Avant de trouver sa voie (la médecine).
« Nous avons donc beaucoup répété cette séquence de danse, car elle se transforme en cascade de mouvements où je donne un coup de pied dans les parties intimes d’un homme. » Emma Stone
Ce rôle intrépide aurait pu faire peur à beaucoup de comédiennes, notamment en raison de ses scènes de sexe. Mais Emma Stone entre dans la peau de cette créature étonnée et étonnante avec une fougue vifiante. Une gageure qui a nécessité un peu d’entraînement… L’actrice nous confie : « Nous avons eu un processus de répétition similaire à celui testé avant le tournage du film La Favorite, explique l’actrice. Et cela ne prend que trois semaines pour jouer avec les autres acteurs, ce qui représente en fait beaucoup de jeux. »
Une scène en particulier a beaucoup été répétée, celle d’une danse saccadée et délurée de Bella Baxter devant son amant, Duncan, et tout un tas de gens ébahis pas ses mouvements désobéissants et exaltés. « Avec la chorégraphe Costanza Macras, nous nous sommes lancées dans une grande exploration pour savoir comment Bella pouvait danser. Comment se comporterait-elle à ce moment de l’histoire ? Quel rôle jouerait la jalousie de Duncan ?«
Emma Stone ajoute : « Même si c’est une scène de danse, elle en dit long sur la dynamique de Bella et Duncan, sur sa liberté à elle et les tentatives de son amant pour l’attraper et l’attirer vers lui mais aussi le pouvoir que Bella a sur lui dans ces moments et la lutte qui en découle. Nous avons donc beaucoup répété cette séquence, car la danse se transforme en une cascade de mouvements où je finis par donner un coup de pied dans les parties intimes (Emma Stone n’hésite pas à employer le mot « balls », ndlr) d’un homme et je jette du champagne au visage de Duncan. C’était vraiment amusant de tourner cette scène parce que cela avait été une longue préparation. On a attendu des mois avant de danser. »
« Yórgos Lánthimos n’aime pas intellectualiser, ce qui est merveilleux, car moi non plus. » Emma Stone
Yórgos Lánthimos a déjà confié son admiration pour l’une de ses actrices fétiches, sans qui, pour lui, Bella n’aurait pas pu exister. Mais la star insiste aussi sur le rôle crucial qu’a joué le cinéaste grec dans sa performance magistrale. « Yórgos est un peu comme un chef d’orchestre qui vous fait comprendre le langage et les dialogues du personnage dans votre corps sans que cela soit prescriptif. Vous faites simplement des choses amusantes et vous vous embarrassez les uns devant les autres. Et au moment où vous arrivez sur le plateau – c’était déjà comme sur La Favorite, mais c’était vraiment important ici avec toute la vulnérabilité impliquée par l’histoire -, vous vous sentez vraiment comme faisant partie d’une compagnie de théâtre. C’est comme si tout le monde se connaissait. Nous nous sentons tous à l’aise et intimes les uns avec les autres. J’adore cette partie du processus. »
Emma Stone ne tarit pas d’éloges sur le réalisateur avec lequel elle a tourné pour la troisième fois et pour lequel elle a une confiance sans bornes. « Je pense que nous nous entendons simplement. On se comprend l’un l’autre. Nous n’avons pas besoin de trop parler des choses. Il n’aime pas intellectualiser, ce qui est merveilleux, car moi non plus. C’est très pratique, qu’il s’agisse d’évoquer la physicalité des personnages ou juste de trouver certains rythmes et d’essayer différentes choses. Il est ouvert à l’expérimentation. »
« Je comprends parfaitement maintenant pourquoi le travail de coordinateur d’intimité est si important. » Emma Stone
Pour réussir cette performance habitée, Emma Stone a pu également compter sur une coordinatrice d’intimité. « Je me sentais tellement stupide parce que, car je connaissais si bien Yórgos (Lánthimos). Je me sentais tellement à l’aise avec les acteurs. Je me sentais bien. Et je me disais, je ne pense pas que j’aurai besoin d’avoir de coordinateur d’intimité. C’est bon. Nous allons chorégraphier ces scènes. C’est très clinique quand il s’agit de sexe. C’est donc très planifié. Et Yórgos m’a dit non, il faut en prendre une. Nous avons eu une coordinatrice de l’intimité, et cette femme, Elle, est incroyable. Et je l’ai rencontrée, et je me suis dit, comment ai-je pu penser que nous n’en avions pas besoin tout de suite ? J’ai une profonde estime pour les coordinateurs d’intimité aujourd’hui et je n’en savais pas assez à leur sujet. »
Emma Stone nous dévoile ainsi les dessous de ce nouveau métier qui fait beaucoup parler de lui : « Tout d’abord, elle garde le tournage extrêmement confortable et très intime, mais elle aide également à chorégraphier ces choses et à les rendre plus réalistes alors que cela ne se produit pas réellement. Elle rend l’environnement bien meilleur grâce à sa présence. Je comprends parfaitement maintenant pourquoi c’est un travail si important. »
Pauvres Créatures, un film féministe ?
Avec ce personnage de femme libre, qui couche autant qu’elle veut avec qui elle veut et se libère du joug de son père, du mari auquel elle est promise et de son amant, Emma Stone propose une partition qui met à mal le patriarcat. Tous les hommes veulent la contrôler, mais elle ne cesse de leur échapper.
Sous ses airs de succession de tableaux fantasmagoriques sortis d’un grimoire, Pauvres Créatures dépeint (et critique), à la façon d’un conte philosophique déjanté, les normes qui emprisonnent les femmes.
Que se passerait-il pour une femme si elle pouvait repartir à zéro avec un cerveau neuf, dénué des règles patriarcales ? « Je pense que le féminisme est ancré dans le personnage en raison de son niveau d’action, de son questionnement sur le monde et de sa curiosité. L’histoire de Bella est intrinsèquement féministe. » Pauvres Créatures est un récit d’initiation et d’émancipation qui parlera à de nombreux spectatrices (et spectateurs). Et qui ne laisse personne indifférent, comme tout bon film devrait le faire…
Pauvres Créatures (2024) de Yórgos Lánthimos, avec Emma Stone, Mark Ruffalo, Willem Dafoe et Margaret Qualley, diffusé sur Canal+ le 3 septembre 2024.