Direct from Cannes: Will Spike Lee’s vitriolic America win a prize?
La charge anti-Trump de Spike Lee repartira-t-elle avec un Prix au Festival de Cannes ? Notre avis sur BlacKkKlansman, qui raconte l’infiltration du Ku Klux Klan par un policier noir dans les années 70…
Par Olivier Joyard.
En 2004, Michael Moore avait obtenu une palme d’or surprise pour son documentaire anti-George Bush Fahrenheit 9/11, une charge contre la guerre menée en Irak après les attentats du 11 septembre. Quatorze ans plus tard, l’Amérique et son nouveau président se trouvent encore au centre de toutes les conversations et il se pourrait bien qu’un autre pamphlet made in the USA reparte du Festival de Cannes avec une récompense. Peut-être pas la plus convoitée, mais qui sait ? Le Jury présidé par Cate Blanchett décidera samedi…
Dans le féroce BlacKkKlansman, Spike Lee retrace sur un ton parodique et rageur l’histoire de Ron Stallworth, un policier noir de la petite ville de Colorado Springs, infiltré à la fin des années 70 avec l’aide d’un collègue blanc et juif dans une branche locale du Ku Klux Klan, l’organisation raciste et violente historique prônant la “suprématie blanche”. Tout commence par un coup de fil au cours duquel l’homme à la coupe afro se fait passer pour un raciste effréné. Il séduit le boss local du Klan. S’ensuit un long processus à la fois drôle et terrifiant où, épaulé par son “double” blanc – celui qui va aux rendez-vous à sa place, joué par le toujours excellent Adam Driver -, le seul policier noir de la ville parvient à obtenir la confiance d’un groupe de militants tous plus obsédés les uns que les autres par la haine des Noirs.
Des images d’actualités violentes viennent même habiter BlacKkKlansman, qui déborde de toutes parts d’un désir parfois contradictoire de réconciliation…
La situation ne manque pas de piment et le film non plus, qui développe dans ses meilleurs moments une fougue que Spike Lee avait perdue depuis longtemps – sauf dans la série inspirée de son film Nola Darling n’en fait qu’à sa tête qu’il a réalisé récemment, vue sur Netflix l’an dernier. Prenant la comédie au sérieux, BlacKkKlansman joue avec une frontalité souvent réjouissante des échos entre l’Amérique d’alors, il y a quarante ans, et celle d’aujourd’hui dirigée par un président officiellement soutenu par le Ku Klux Klan. Le personnage de David Duke, le premier leader dans l’histoire du groupe raciste à avoir cherché la “respectabilité” en portant des costumes trois pièces tirés à quatre épingles, prononce à plusieurs reprises des expressions que l’on sait empruntées à des discours récents de Donald Trump : “Make America Great Again”, “America First”, etc… Quelque chose palpite dans le film, une violence et colère sourdes, même si Spike Lee ne va pas toujours assez loin, comme s’il hésitait entre le film à sujet et la comédie d’action enlevée. Mais le réalisateur de Do The Right Thing sait aussi se mettre à la hauteur de sa responsabilité de pédagogue, quand il consacre un passage assez stupéfiant à l’un des films fondateurs du cinéma américain – le péché originel d’Hollywood ? -, Naissance d’une nation de D.W Griffith. Ce chef d’œuvre longtemps enseigné dans toutes les écoles de cinéma est perçu ici comme le bras armé implacable du racisme d’une industrie.
En un seul geste coup de poing, Spike Lee essaie de tout englober, situant une réflexion sur les représentations des Noirs à travers l’histoire dans le contexte contemporain du mouvement “black lives matter”. Des images d’actualités violentes – émeutes raciales, violence policières, défilés récents de néos-nazis – viennent même habiter BlacKkKlansman, qui déborde de toutes parts d’un désir parfois contradictoire de réconciliation – comment sortir de plus d’un siècle de racisme par le haut ? – et d’insurrection – comment ne pas avoir envoie d’être violent devant l’injustice et le racisme d’état ? Imparfait et nécessaire, le film ne réussit pas tout à fait à émettre la secousse sismique que Get Out de Jordan Peele – par ailleurs producteur de BlacKkKlansman – avait produite en 2016, en faisant d’une mécanique de film d’horreur une métaphore du surmoi esclavagiste des USA. Mais il démontre qu’après Black Panthers et les géniales séries Atlanta et Dear White People, le point de vue noir s’exprime avec toujours plus de liberté et de hauteur en 2018. Si le film de Spike Lee n’est pas révolutionnaire, le mouvement auquel il appartient l’est sans aucune doute. Il était grand temps.