Découvrez les secrets et les impressionnantes coulisses de l’Opéra Bastille
Au bord de la place de la Bastille, l’imposant Opéra national de Paris toise depuis 1989 les bâtiments alentours. Dans ses coulisses se pressent chaque jour costumiers, sculpteurs, menuisiers, peintres, danseurs, chanteurs et de nombreux autres corps de métiers, dont les ateliers sont tous abrités au sein de ses 155 000 m2. Visite très privée au-delà de la scène de cette institution historique, guidée par une habituée des lieux grâce à l’entremise du mécène Rolex.
Par Camille Bois-Martin.
L’Opéra Bastille : un anti-Garnier populaire et moderne
Inauguré le 13 juillet 1989, marquant le bicentenaire de la Révolution Française, l’Opéra Bastille se voulait dans sa forme aussi révolutionnaire que la place parisienne sur laquelle il s’installe. Construit par l’architecte uruguayen Carlos Ott sur l’initiative du président François Mitterrand, l’établissement est pensé comme un “anti-Garnier”, plus populaire et plus moderne et trois fois plus grand que le palais historique édifié en 1861. L’Opéra Bastille se dévoile en effet, entrailles ouvertes, aux yeux des passants les plus curieux grâce à sa façade vitrée, permettant à chacun d’observer les va-et-vient de ses escaliers et de son entrée. Loin des ors et de l’ostentation de Garnier qui illustrent le faste de l’architecture Second Empire. Bastille s’apparente à une grande machine de création où se croisent chaque jour amateurs, curieux et professionnels.
Malgré sa façade de verre, l’intérieur des 155 000 mètres carrés de l’Opéra Bastille reste néanmoins opaque à ses visiteurs. Pourtant, toute une fourmilière travaille sans relâche à la production de ses spectacles. Pour découvrir ces ateliers cachés, il faut se faufiler dans une étonnante chambre anéchoïque située près des sièges, dans laquelle se trouve une petite porte dérobée, sans poignée…
L’opéra Bastille, une “machine de guerre” pas si classique
Au sein de la troupe de l’Opéra Bastille il y a certes ses 554 danseurs et chanteurs et 200 musiciens – employés par l’Opéra national de Paris, qui réunit donc Garnier et Bastille) – mais il y a également autant, si ce n’est plus, d’artisans, techniciens et artistes qui grouillent chaque jour entre ses murs, veillant à la conception de chaque décor, costume ou même perruque. Si l’établissement abrite la plus grande salle d’opéra d’Europe (2 745 places), celle-ci ne représente en effet que 5% de son édifice. Autour de sa scène principale se déploient d’autres scènes latérales de la même dimension, où les décors sont tour à tour dissimulés lors d’un spectacle, croisant sur leur chemin danseurs étoile en train de répéter leur grand jeté ou ténors et sopranos en train d’échauffer leurs cordes vocales.
Derrières ces immenses plateaux vides où s’entrainent les troupes, on croise également sur notre chemin une petite forêt de murs en bois peints, stockés momentanément sur l’arrière-scène avant la présentation des Contes d’Hoffmann (1851) de Jacques Offenbach le soir-même. Au début de la visite, la guide nous prévient : nous allons marcher. De petites salles en entrepôts, on découvre sur notre périple d’une petite heure toute sorte de décors de spectacles passés : sur le mur d’un couloir un immense toréador rose issu du Carmen joué l’an dernier nous fixe, tandis qu’un étage plus haut, on manque de s’entraver les pieds dans un large morceau de stuc blanc, destiné au décor du prochain opéra The Exterminating Angel, prévu pour le printemps prochain. Avant de finir bouché bée face à la vue morbide de deux corps pendus au sein de l’atelier de sculpture. Pas d’inquiétude, nous précise-t-on : il s’agit bien ici de moulages, plus vrais que nature.
Sur notre passage, des troupes d’ouvriers assemblent de larges façades, transportent dans un ascenseur de 400 mètres carrés plusieurs tonnes de décor, peignent des portes dorées de dizaines de mètres… Dans un élan de fierté et face à la stupéfaction générale des quelques chanceux visiteurs, notre guide décrit avec justesse l’Opéra Bastille comme “une machine de guerre”, capable de produire et de stocker les décors de tous ses spectacles (dont certains sont depuis peu également conservés aux ateliers Berthier dans le 17e arrondissement), notamment ceux qui seront rejoués d’une saison à l’autre. À la différence, notamment, du Palais Garnier, à la surface bien plus limitée face à ce mastodonte de pierre ultra moderne.
Derrière les rideaux de l’Opéra Bastille, une fourmilière d’artisans
Plus qu’une usine à fabrication de spectacles, les coulisses de l’Opéra Bastille dévoilent surtout une dimension très humaine de l’institution parisienne, souvent considérée comme aussi prestigieuse que poussiéreuse et froide. Face aux décors des Contes d’Hoffmann déployant des paysages crépusculaires et quelques imposants ordres doriques, on découvre ainsi avec amusement de nombreux dessins sur les murs et les portes, à la fois déclarations d’amour bateaux – des “je t’aime” et des noms entourés de cœurs –, phrases humoristiques mais aussi revendications politiques. Lorsque nous visitions les ateliers, les danseurs et les machinistes sont en pleine grève pour défendre les droits des travailleurs intermittents.
Derrière ces impressionnantes représentations qui font la succès de l’Opéra national de Paris se cachent en effet des centaines de petites mains, qui veillent chaque jour à ce que chaque spectacle s’approche de la perfection. En centralisant en 1989 les six ateliers autrefois regroupés dans les ateliers du boulevard Berthier, Bastille réunit ses six corps de métiers (menuiserie, serrurerie, matériaux composites, sculpture, tapisserie et peinture) dans un espace de 7 000 mètres carrés, permettant aux artisans de communiquer et de travailler facilement ensemble. Ainsi une façade du décor fait-elle, pendant plusieurs semaines, des allers-retours de la menuiserie à la peinture en passant par la sculpture (pour les moulures), avant de repasser à nouveau sous les pinceaux pour les touches finales.
Même les plus petits morceaux de décor sont peaufinés au détail près, d’un buste de Richelieu modelé pendant des semaines – qui ne sera visible que par les spectateurs privilégiés, les plus proches de la scène – à la longue d’une mèche de perruque. Éléments centraux d’un spectacle, les costumes sont également en partie conçus sur place, répartis en deux ateliers : le ballet à Garnier et le lyrique à Bastille, éparpillés sur de nombreuses tringles à tous les étages du bâtiment. Bref, toute une ribambelle de mains expertes, qui assurent en coulisses la beauté des spectacles organisés, tout au fil de l’année, par cette prestigieuse institution au rayonnement international.
Certaines parties des coulisses de l’Opéra Bastille se visitent virtuellement ou sur réservation.
“Les Contes d’Hoffmann” de Jacques Offenbach, opéra mis en scène par Robert Carsen, jusqu’au 27 décembre 2023 à l’Opéra Bastille, Paris 12e.