Clara 3000, DJ emblème d’une jeunesse affranchie
DJ sur le label Kill The DJ, actrice chez Mia Hansen-Løve, mannequin pour Balenciaga et Jacquemus, Clara 3000 est l’incarnation parfaite d’une jeunesse libre qui explose les codes établis et qui refuse d’être enfermée dans des catégories. Rencontre.
Par Thibaut Wychowanok.
Photos : Pierre-Ange Carlotti.
C’est l’histoire d’une louve solitaire, d’un “animal d’une timidité extrême”, comme se décrit elle-même Clara 3000 qui, à 27 ans, fait pourtant partie du groupe de créatifs le plus en vogue de la scène parisienne avec la styliste Lotta Volkova, le photographe Pierre-Ange Carlotti, ou Demna Gvasalia, à la tête du collectif Vetements et de la maison Balenciaga. Toute sa vie, Clara 3000 s’était, jusque-là, toujours sentie en décalage. Lorsqu’elle est adolescente, son meilleur ami a 65 ans. Elle passe son temps au dépôt Emmaüs, à côté de chez elle, à chiner des vinyles de vieux rock. Un vrai garçon manqué persuadé d’être né à la mauvaise époque. “Et puis je me suis installée à Paris à 17 ans, en 2007, explique-t‑elle. J’ai découvert ma sexualité, une scène électronique et des personnalités qui me ressemblaient. Je me suis dit que je n’étais pas folle.”
Née à Versailles en 1989, Clara Deshayes passe son enfance dans les déménagements : la région parisienne, Nice… “Tu as l’impression de ne pas avoir de racines, et de ne pas pouvoir nouer d’amitiés durables, confie-t-elle. Alors tu apprends à vivre en solitaire et tu développes plus vite que les autres ta personnalité, un équilibre très personnel.” Cela passe, pour l’adolescente, par le hip-hop avec son frère (Dr. Dre, les Fugees) et surtout par le cinéma qu’elle dévore avec la passion d’une geek. “Mon père enregistrait chaque semaine les films recommandés par Télé K7. Je me plongeais dans les Hitchcock et les westerns spaghettis de Sergio Leone. Je connais surtout par cœur tous les films dystopiques des années 80 : Total Recall, Mad Max, Terminator.”
Entre amour du rock et passion pour l’électro underground, les classiques du cinéma et la pop culture des années 80 et 90, Clara 3000 – comme sa musique – fait perpétuellement le grand écart entre les références. Dans ses mix, elle fait se côtoyer haute et basse culture, Careless Whisper de George Mickael et un titre pointu de techno, un morceau de musique classique et du hard-rock. “La bonne musique est celle qui nous touche parce qu’elle est faite avec sincérité. Elle peut être de bon ou de mauvais goût, de niche ou très kitsch, du moment qu’elle est authentique, elle me plaît. Je ne vois pas pourquoi je m’en priverais quand je joue.”
Clara 3000 parvient à élever la musique mainstream au même rang qu’un requiem, et révèle, dans la musique électronique, ses aspects les plus rock et populaires. Son univers surréaliste, souvent noir mais jamais dénué d’humour, semble s’établir sur le même territoire que David Lynch, entre rêve et réalité, cauchemars et fantasmes. “C’est une de mes références ultimes, acquiesce la musicienne. Surtout pour son côté fétichiste.” La jeune femme prépare aujourd’hui son premier EP qui proposera enfin ses compositions personnelles. “Je n’aurais jamais pu me lancer dans ce projet si je n’avais pas réussi à savoir qui j’étais et à dépasser les barrières que je m’imposais. J’y suis parvenue de manière très inattendue grâce à la mode.”
À 17 ans, Clara 3000 rencontre Simon Porte Jacquemus. Le créateur s’apprête à présenter sa première collection. Il lui demande de réaliser la bande-son de l’événement… et de défiler pour lui. “J’étais terrifiée, se souvient-elle. J’ai passé le show en transe.” Puis c’est la rencontre avec Demna Gvasalia, qui lui demande lui aussi de réaliser les bandes-son de ses shows, puis de défiler chez Balenciaga. “Toutes mes barrières sont tombées. J’ai dépassé ma timidité. J’ai appris à incarner un rôle, comme au cinéma lorsque j’ai joué dans le film Eden de Mia Hansen-Løve.” Une épiphanie qui n’a laissé personne insensible, tant sa personnalité libre, incarnée dans un physique de jeune effrontée à la Charlotte Gainsbourg ou à la Isabelle Adjani à l’époque de L’Été meurtrier, séduit autant qu’elle bouscule.