Rencontre avec Zita Hanrot, l’une des voix attachantes du nouveau Pixar, Elio
Elio, le dernier né des studios Pixar, sort en salles ce mercredi 18 juin 2025. Dans ce film d’animation, l’actrice Zita Hanrot prête sa voix au personnage d’Olga Solis, une brillante haut gradée de l’armée de l’air chargée de veiller sur son neveu depuis la disparition de ses parents. L’occasion de rencontrer une nouvelle fois l’une des actrices les plus attachantes du cinéma français.
propos recueillis par Nathan Merchadier,
et Violaine Schütz.
Publié le 5 mai 2025. Modifié le 17 juin 2025.
Solaire, sensible et toujours juste, Zita Hanrot s’est imposée, depuis Fatima (2015), pour lequel elle a reçu un César, comme l’un des visages les plus attachants du cinéma français. Exigeante dans ses choix, elle excelle autant dans le registre de la comédie générationnelle (la série Plan cœur sur Netflix) que dans celui du film sociétal (La Vie scolaire).
Fin 2022 dans le film Annie Colère de Blandine Lenoir, elle incarne une infirmière militante qui pratique des avortements illégaux sans douleur ni danger, dans les années 70, peu avant la loi Veil aux côtés de Laure Calamy et d’India Hair. Un film d’autre plus nécessaire que la cour suprême des États-Unis a fait reculer le droit d’interrompre sa grossesse tandis qu’en France, les députés de l’Assemblée viennent d’adopter une proposition de loi prônant l’inscription de ce droit, fragile, dans la Constitution.
Zita Hanrot, actrice passionnante, de la série Plan cœur au film d’animation Elio
Toujours en quête de nouveaux projets, l’actrice incarne désormais la voix française du personnage d’Olga dans Elio (2025), le dernier né des studios d’animation Pixar, au cinéma ce mercredi 18 juin 2025. Quelques mois après le succès commercial du long-métrage Vice Versa 2 (2024), qui a explosé les records avec 1,46 milliard de dollars de recettes au box-office, le nouveau film d’animation de la firme retrace l’histoire d’un jeune homme, perdu dans un monde peuplé de créatures extraterrestres fascinantes.
Alors qu’elle apparaît comme l’un des personnages secondaires (mais essentiels) de cette odyssée galactique réussie, Numéro a rencontré une actrice qui sait autant nous faire rire et pleurer que réfléchir.
L’interview de Zita Hanrot, voix française du film d’animation Elio
Numéro : Dans le film d’animation Elio, vous prêtez votre voix au personnage d’Olga. Quels éléments vous ont poussé à accepter ce rôle ?
Zita Hanrot : Ce qui m’a tout de suite donné envie, c’est que c’était un film des studios Pixar. Rien que ça, c’est un peu vertigineux. Pixar fait tellement partie de l’histoire du cinéma d’animation, ce sont des films qui traversent les générations. Alors forcément, quand on te propose de passer des essais pour l’un d’eux, tu fonces. Et puis, je pense à toutes ces voix françaises de films d’animation qui ont marqué mon enfance. Ce sont des voix iconiques, qui nous accompagnent longtemps. Je ne sais pas si ce sera le cas pour Olga, mais l’idée de peut-être faire partie de cet imaginaire collectif, c’est très réjouissant.
Qu’est-ce qui vous a attirée dans les traits de caractère du personnage d’Olga ?
Dans les premiers extraits que j’ai découverts, on percevait déjà une vraie évolution chez Olga, notamment dans la relation qu’elle entretient avec son neveu. Je trouvais ça fort. Il y avait déjà une belle intensité dans leur lien, une émotion palpable. Et puis, en lisant le script, j’ai vu que la version originale serait doublée par Zoe Saldaña… Je l’adore, vraiment. J’ai croisé les doigts très fort pour être choisie et quand on m’a annoncé que j’avais le rôle, j’étais ravie. Et ce qui m’a aussi beaucoup plu, c’est de découvrir à quel point le doublage demande un engagement physique total. Ce n’est pas juste poser sa voix : il faut tout donner, sinon les émotions ne passent pas. Et ça, ça m’a énormément stimulée.
“Le doublage est une sorte de performance physique (…) tu dois tout donner, sans retenue, pour faire passer les émotions à travers ta voix.” Zita Hanrot
Quels ont été les principaux défis à relever pour préparer ce rôle ?
Au début, j’avais un peu le trac. Le doublage est un exercice très particulier, car tu n’as pas tes partenaires de jeu en face de toi. Pour les scènes de dialogue, il faut réussir à retrouver le bon rythme, à ne pas perdre le fil de ce que dit l’autre personnage. Il m’est même arrivé, au tout début, d’être un peu perdue. Mais très vite, tu prends tes marques. Et là, c’est que du plaisir. C’est presque une performance physique, en fait : tu dois tout donner, sans retenue, pour faire passer les émotions à travers ta voix. À la fin de la journée, j’étais complètement vidée… mais heureuse. Une fois qu’on entre dans la dynamique, on se laisse complètement emporter. Et franchement, c’est un bonheur total à jouer.
Le film joue sur un équilibre assez subtil entre légèreté et profondeur. Il aborde l’enfance, l’imaginaire… mais aussi des thèmes plus sérieux, comme la difficulté à se comprendre entre proches, ou une certaine critique géopolitique déguisée sous l’angle de la conquête spatiale. Est-ce que cette double lecture vous a intéressée au moment d’accepter le projet ?
J’ai toujours aimé les contes traditionnels, populaires. À la base, d’ailleurs, les contes n’étaient pas destinés aux enfants, mais aux adultes. C’étaient des récits transmis oralement, souvent très sombres, et pleins de métaphores. Et je crois que Elio s’inscrit un peu dans cette tradition-là : celle d’un récit qui fonctionne à plusieurs niveaux. Cela le rend à la fois accessible aux enfants et porteur d’une lecture plus profonde, plus politique même.
“Dans le film Elio, il y a cette douceur, cette tendresse liée à l’enfance, mais aussi des thèmes plus complexes, comme celui de la parentalité.” Zita Hanrot
C’est aussi un personnage qui entre en écho avec la récente arrivée d’un enfant dans votre vie…
Je suis maman d’une petite fille, et je le vois quand je lui lis des histoires : il y a presque toujours deux couches de lecture. C’est ce qui fait la richesse d’un bon récit, et Elio en est un bel exemple. Il y a cette douceur, cette tendresse liée à l’enfance, mais aussi des thèmes plus complexes, comme celui de la parentalité. Mon personnage, Olga, devient du jour au lendemain responsable d’un enfant qui traverse quelque chose de très dur. Elle doit apprendre à l’apprivoiser, à créer du lien, à se positionner elle-même dans ce nouveau rôle… C’est une remise en question profonde, et je trouve que ce chemin-là est très touchant.
Vous serez prochainement à l’affiche du film Aux jours qui viennent avec Bastien Bouillon. Un projet qui traite des violences conjugales…
Ce film parle des violences conjugales, bien sûr, mais avant tout du parcours d’une femme. On n’est pas dans un film à sujet, ou à thèse. On suit une personne, singulière, complexe, avec ses forces et ses failles. Elle tente de se reconstruire après avoir réussi à se détacher de son ex-compagnon, le père de sa fille. Ce que j’ai trouvé aussi très juste, c’est la manière dont le personnage masculin, interprété par Bastien Bouillon, est traité. C’est quelqu’un de violent, et le film ne l’excuse jamais. Mais il n’est pas non plus réduit à une étiquette. On le regarde en face, dans toute sa complexité, sans le déshumaniser, mais sans rien minimiser non plus. Et ça, c’est très fort. Parce que ça permet de parler de ces sujets-là sans tomber dans le manichéisme, en gardant une vraie finesse de regard.
“Les féminicides, par exemple, ne concernent pas uniquement les actrices. C’est un problème global, une question de santé publique.” Zita Hanrot
Comment aborde-t-on un tel rôle ?
Je pense qu’il faut d’abord regarder la réalité en face : l’actualité regorge malheureusement de situations similaires. Mais ensuite, l’enjeu, c’est de se connecter à la singularité du personnage. Ce qui m’importait, c’était de raconter cette femme-là, dans toute sa complexité. C’est abordé d’une manière très juste dans le film. Car il montre les répercussions de cette violence — ici psychologique et verbale, pas physique — sur les différentes femmes qui gravitent autour du personnage masculin. On voit à quel point cette violence peut étouffer, empêcher, détruire en silence. C’est un film que je trouve profondément sensible, à l’image de sa réalisatrice, Nathalie Nagem, que j’admire beaucoup.
En 2022, vous avez co-fondé l’Association des acteur.ices, féministe et anti-raciste. Quel regard portez-vous sur la situation actuelle des femmes dans le milieu du cinéma ?
Il y a une prise de conscience, c’est certain. On commence enfin à interroger des comportements qu’on considérait autrefois comme “normaux”, alors qu’ils sont en réalité inacceptables. Personne ne devrait avoir à subir ça. Mais il faut le rappeler : cela dépasse largement le cadre du cinéma. Ce milieu est très médiatisé, donc on en parle davantage, mais les violences touchent toutes les femmes, peu importe leur profession ou leur origine sociale. Les féminicides, par exemple, ne concernent pas uniquement les actrices. C’est un problème global, une question de santé publique. Il faut une prise de conscience collective des ravages causés par ces violences, et continuer à se battre pour qu’une justice réelle s’installe, qu’on sorte enfin de ce sentiment d’impunité. Les choses avancent, mais il ne faut surtout pas relâcher la pression.
“Le milieu de la mode est vivant, moderne, parfois insolent, souvent drôle et je trouve ça très inspirant.” Zita Hanrot
L’an dernier, on vous a vue dans La Maison, une série sur la mode diffusée sur Apple TV+. Quel est votre rapport à cet univers ?
Ce n’est pas vraiment mon milieu à la base, mais la mode m’a toujours fascinée. Ce que j’aime, justement, c’est cette sensation de basculer dans un autre monde. Il y a quelque chose de très rafraîchissant dans cet univers, notamment une vraie diversité. Avec des gens qui viennent d’horizons très différents, des langues, des styles qui se croisent… C’est vivant, moderne, parfois insolent, souvent drôle et je trouve ça très inspirant. Je regarde, je m’imprègne, je m’amuse. Participer à certains événements m’apporte une forme de légèreté et d’étonnement que je trouve très stimulante.
Parmi vos nouveaux projets, vous serez à l’affiche d’un film centré autour de Suzanne Césaire. De quoi s’agit-il ?
C’est un projet porté par une artiste new-yorkaise que j’admire beaucoup. Elle a réalisé un film autour de Suzanne Césaire, qui était la femme d’Aimé Césaire, mais surtout une figure brillante et engagée : résistante, professeure, chercheuse, mère de six enfants… Elle a énormément œuvré dans l’ombre, et son rôle a été fondamental dans l’élaboration de la pensée de son mari, sans jamais vraiment être reconnue à sa juste valeur. Je ne la connaissais pas avant ce projet, et je me suis rendu compte que c’était le cas de beaucoup de gens. Ça m’a donné encore plus envie de m’investir, de faire résonner sa voix, même modestement. Et puis c’était aussi une très belle aventure collective, avec une équipe venue des Caraïbes, beaucoup de personnes d’origine jamaïcaine… Il y avait une énergie très joyeuse, très vivante sur le tournage. C’était un projet fort, à la fois intellectuellement et humainement.
“Cela engage politiquement de faire un film sur l’avortement comme dans Annie Colère.” Zita Hanrot.
Fin 2022, vous étiez à l’affiche du film Annie Colère de Blandine Lenoir. Qu’est-ce qui vous a le plus attirée dans ce long-métrage : l’histoire (qui raconte la vie des militantes du MLAC, le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception, qui pratiquaient des avortements illégaux aux yeux de tous – sans douleur, ni danger – en 1974, soit un an avant la loi Veil) ou le mélange de profondeur et de joie permanent ?
C’est d’abord le sujet qui m’a attirée. Cela engage politiquement de faire un film sur l’avortement. Pour moi, il s’agit de défendre une position que j’ai sur l’avortement, puisque je suis pro IVG. C’est un droit qu’il faut chérir, protéger et prendre soin, comme une petite plante fragile, surtout à un moment où dans certains endroits du monde, il régresse. Donc quand Blandine Lenoir, la réalisatrice du film, m’a dit qu’elle allait faire un film sur le MLAC et qu’elle voulait que j’en sois, c’était une évidence pour moi d’accepter.
Le film montre une grande sororité entre les femmes qui pratiquent l’avortement au MLAC et celles qui viennent se faire avorter. Avez-vous retrouvé cette sororité avec les autres actrices ?
Tout à fait. Les intuitions que j’avais en tête en lisant le scénario sur ce chœur de femmes très soudé, se sont toutes vérifiées. Il y avait beaucoup de femmes sur le plateau avec de grandes scènes de groupe à jouer et beaucoup de douceur, de confiance, d’humour car on aime toutes beaucoup rire. Même s’il y a des hommes dans le film, on pouvait parfois être dix actrices dans le cadre, ce qui arrive rarement au cinéma. En fait, il y a le personnage principal incarné par Laure Calamy, et j’avais l’impression que nous étions toutes comme une équipe derrière elle, et qu’on la portait. Du coup, beaucoup de force se dégage de ces scènes de groupe. On se croirait parfois presque dans un clip de Beyoncé (rires).
“Comme Fatima est un film social, on m’a associée au soin et aux films engagés.” Zita Hanrot
Le fait d’être entre femmes a-t-il transformé le plateau de tournage en « safe place » ?
Quand on a fabriqué le film, parce qu’on possédait cette expérience commune d’être des femmes et d’avoir à des endroits différents subi des violences, des attaques, que ce soit un regard salace dans la rue ou une réflexion au boulot, ça a créé du lien. C’était confortable d’être entre femmes. On pouvait parler de choses intimes, de ce qu’on a vécu, échanger sur des expériences de corps, de notre corps dans la société. On sait que quand on accepte un film comme ça, on l’accepte pour des raisons très précises. Et on est toutes d’accord avec ce qu’il raconte. Aussi, on sait que ça va être un lieu de parole.
Est-ce que ce film vous a fait réfléchir ?
Oui, le fait que le film parle de choses aussi intimes, ça a ouvert tout de suite la parole sur le noyau dur de ce qui se trame à l’intérieur de nous, en profondeur. Ça ne permettait pas d’être dans la superficialité. Et j’aime être tout de suite bien dans le vif du sujet, mettre les pieds dans le plat et pouvoir parler de tout parler librement.
“J’avais donné en référence, à l’équipe du film, des photos d’Halle Berry dans le film Kings.” Zita Hanrot
On voit dans le film plusieurs figures de militantes. Il y a Annie (Laure Calamy), une ouvrière qui vient militer au MLAC après avoir vécu un avortement et avoir été blessée par la mort d’une amie, décédée après un avortement clandestin. Et vôtre personnage, une infirmière badass et très engagée nommée Hélène qui tient tête aux médecins masculins…
Ce que j’aime, c’est qu’on voit dans le film une galerie de personnages avec des énergies différentes et complémentaires. Elles sont toutes militantes mais à leur façon. Cela démontre que militer peut passer par plein de canaux différents. Il n’y a pas une seule figure du militantisme. Mon personnage est très affirmé, avec des convictions très fortes et elle ne va pas baisser le regard. Elle est très engagée et éprouve un certain plaisir à tenir tête aux gens et à militer, ce qui la rend très agréable à jouer. Elle ne lâche rien, comme si elle avait affaire à une proie.
Le personnage d’Annie vient au militantisme à cause de quelque chose d’intime. Mais on ignore si Hélène milite par théorie politique…
Comme elle est infirmière, je pense qu’elle a vu des femmes qu’on a laissées crever, notamment de septicémie et d’hémorragies. Et j’imagine que son engagement vient de là. Après je ne me suis pas forcément dit qu’elle avait vécu un avortement mais en tant que femme de cette époque, elle a du subir des examens gynécologiques qui l’ont mise en colère, car ils étaient sans doute trop invasifs. Et elle n’a sûrement pas eu le droit à la parole. Son engagement est donc, d’une manière, intime, même s’il ne l’est pas de la même façon que pour Annie. Elle a vu des choses et par empathie, elle a décidé de ne pas se taire et d’agir, pour éviter que d’autres drames se produisent.
“Lorsque l’on est actrice, on est définie par les regards que l’on pose sur nous, à commencer celui du réalisateur.” Zita Hanrot
Comment avez-vous construit ce rôle ?
J’avais envie de comprendre l’état d’esprit de l’époque. J’ai notamment regardé L’une chante, l’autre pas (1977) d’Agnès Varda, que j’ai adoré. On trouve dans ce film qui parle de l’amitié entre deux jeunes femmes et des droits des femmes une liberté extraordinaire. J’aime ce côté : “On part sur les routes, on est ensemble et on fait des spectacles sur le bord de la route. Et puis, tiens, il y a un gosse qui se trouve là, alors je vais l’allaiter (rires).” Hélène est un personnage que je trouve cool, même au niveau de ses vêtements. Elle porte un blouson en cuir et les cheveux très bouclés.
Aviez-vous des références en tête pour ce rôle ?
J’avais donné en référence, à l’équipe du film, des photos d’Halle Berry dans le film Kings (2018) réalisé Deniz Gamze Ergüven, qui avait tourné Mustang (2015). C’est un film dans lequel Halle Berry se bat pour ses convictions. Je voulais avoir une coupe de cheveux similaire, très indisciplinée, pour montrer que mon personnage est si engagé qu’il y a quelque chose qui “déborde » chez elle, y compris au niveau capillaire.
Ce personnage d’Hélène est très indépendant et libre, comme on en voit peu à l’écran…
Je ne sais pas si j’ai réussi à le faire et je pense que je pourrais pousser cet aspect-là davantage, si j’en ai l’occasion, dans un autre film. Mais j’avais envie de montrer un personnage complètement détaché du regard des hommes, libre, et pas assigné à un regard. Elle n’a pas envie de plaire, ne cherche pas à être mignonne, ni gentille, ni polie. C’est d’autant plus jouissif d’interpréter ce rôle que lorsque l’on est actrice, on est définie par les regards que l’on pose sur nous, à commencer par le regard du réalisateur.
Avez-vous appris des choses en tournant ce film ?
J’ai appris plein de choses aussi car la réalisatrice, Blandine Lenoir, nous a envoyé beaucoup d’informations, d’articles et de dates sur cette époque. Je ne connaissais pas, par exemple, la méthode de Karman (acte médical simple et peu coûteux consistant à aspirer le contenu utérin, ndlr). J’ai été choquée par le nombre de femmes qui mouraient, chaque année, suite à des avortements clandestins. Elles étaient des milliers, ce qui en a fait un véritable problème de santé publique. Par contre, j’avais entendu parlé du MLAC, parce que j’avais une de mes tantes qui y était. Et drôle de coïncidence, j’ai appris en tournant le film que ma belle-mère avait été militante au MLAC de Paris.
“Je pense que j’ai été médecin dans une autre vie…” Zita Hanrot
C’est fou…
Oui, du coup, on en a discuté. C’était très intéressant de se renseigner sur ce sujet mais aussi sur l’état d’esprit qui régnait dans les années 70 au MLAC. Il y avait une horizontalité, une solidarité, une écoute, un partage, une générosité et une approche du soin complètement différente de celle d’aujourd’hui. Les femmes qui pratiquaient les avortements ne portaient pas de blouses de médecins. C’était hyper important pour ne pas mettre à distance la femme qui venaient avorter. Au lieu de dire : « Nous sommes les sachants”, elles signifiaient qu’elles étaient comme les femmes qui se rendaient au MLAC.
Dans Fatima, vous étiez étudiante en médecine et dans Rouge et Annie Colère, vous incarniez le rôle d’une infirmière. Comment expliquez-vous que l’on vous propose souvent des rôles liés au soin, ainsi que beaucoup de films engagés ?
Je pense que j’ai été médecin dans une autre vie… (rires) Je fais souvent la blague, quand je suis entourée de monde : « Laissez-moi faire, j’ai ma formation en réanimation !” Plus sérieusement, je pense que beaucoup de personnes m’ont découverte dans Fatima, même si j’avais tourné dans d’autres films avant, comme Eden (2014) de Mia Hansen-Løve.
“Je ne me considère pas comme une militante. Mais je pense que je suis quelqu’un qui a des convictions.” Zita Hanrot
Un film très engagé…
Oui. Et comme Fatima est un film social, on m’a associée au soin et aux films engagés. Je jouais, dans ce long-métrage, une bosseuse qui a énormément de volonté, s’acharne, veut bien faire, et ne lâche jamais rien. Mais en même temps, elle est très fragile. Et ça a sans doute marqué la profession, comme le public, d’autant plus que j’ai remporté un César pour ce rôle.
On vous a rarement vue dans un rôle de méchante…
C’est drôle car aujourd’hui, on m’a posé la question : “Quel rôle voudriez-vous jouer ?.” Et j’ai répondu : « Quelqu’un qu’on n’aimerait pas.” Je pense que ça m’amuserait beaucoup. En tout cas, je serais très curieuse d’aller vers un personnage pas forcément sympathique. Quand on est actrice, on veut être aimée. Et je suis très heureuse que les gens me disent qu’ils aiment ce que je fais et mes rôles. Mais j’aimerais bien aussi me détacher de ce regard bienveillant le temps d’un film, ce qui ne serait pas simple, je pense.
Êtes–vous une militante ?
Je ne me considère pas comme une militante. Mais je pense que je suis quelqu’un qui a des convictions et que je suis engagée. Pour moi, le militantisme est une activité à laquelle tu consacres toute ta vie. Ça ne peut être juste faire une manifestation et un post sur Instagram. Ça c’est de la communication rapide et facile. Si on veut militer et faire vraiment bouger les choses, cela demande une énergie colossale et du courage. Comme Aimé Césaire, il faut complètement s’imprégner et se jeter là-dedans sans avoir peur de comment ça va être reçu.
“Pour moi, le militantisme est une activité à laquelle tu consacres toute ta vie. Ça ne peut être juste faire une manifestation et un post sur Instagram.” Zita Hanrot
Qu’est-ce qui vous met en colère ?
L’injustice car donc je suis un peu “la veuve et l’orphelin” (rires). Beaucoup de choses peuvent me mettre profondément en colère mais je dirais que je suis peut-être plus sensible au sort des femmes. Parce que c’est souvent plus dur pour les femmes. À misère égale, c’est souvent plus violent pour les femmes. Il y a une vulnérabilité supplémentaire, notamment pour les SDF, car une femme SDF a encore plus de risque de se faire attaquée dans sa chair, par exemple. Je pique aussi de grosses colères quant aux inégalités hommes-femmes, sur la façon dont les hommes peuvent s’exprimer sur des sujets comme si leur parole valait plus que celle des autres et qui se permettent de dire des horreurs.
D’autres motifs de mécontentement ?
Au-delà de ces questions, qu’on laisse des hommes et des hommes se noyer en mer essayant de fuir leur pays parce qu’on a spolié leurs terres me rend folle de rage. Plus globalement, si on n’est pas en colère dans cette société, c’est qu’on est en train de s’éteindre. Je vois la colère comme un feu sacré qui permet d’avancer. C’est toujours mieux que la tristesse car on est dans l’action. À condition que la colère ne soit dédiée à écraser les gens, elle peut être transcendée pour faire quelque chose de bien.
Elio (2025), avec la voix de Zita Hanrot, au cinéma le 18 juin 2025.