Virginie Efira : rencontre à Cannes avec l’icône ultra attachante du cinéma français
L’actrice belge Virginie Efira continue de nous émouvoir et de nous impressionner dans la peau de la patiente, tourmentée, d’une psychanalyste, dans le film Vie privée de Rebecca Zlotowski. Alors que la screwball comedy enlevée est présentée au Festival de Cannes, on a rencontré la solaire et spirituelle comédienne sur une terrasse de la Croisette.
propos recueillis par Violaine Schütz,
photos par Nathan Merchadier.
Son incroyable talent dramatique n’a d’égal que sa profonde humanité. Au cinéma comme dans la vie, Virginie Efira est l’une des actrices les plus attachantes et magnétiques de sa génération. Le chaînon manquant entre l’icône du cinéma francophone et la BFF rêvée.
Alors que la star belge joue la patiente d’une psychanalyste qui se suicide dans le nouveau film réussi de Rebecca Zlotowski, Vie privée – présenté au Festival de Cannes -, on a rencontré la star, parée de Saint Laurent et de Cartier ainsi que d’un irrésistible sourire et de beaucoup d’esprit, sur la Croisette.
L’interview de Virginie Efira, star du film Vie privée, au Festival de Cannes
Numéro : Tout d’abord, comment allez-vous Virginie en ce lendemain de projection cannoise du film Vie privée signé Rebecca Zlotowski ?
Virginie Efira : Ça ne va pas trop mal. On se demande toujours pourquoi on fait des fêtes de films avant de donner des interviews le lendemain. C’est dommage. En fait, avant, on faisait ça dans l’autre sens. Il y avait toutes les projections qui avaient eu lieu pour les journalistes avant la fête du film. Mais si ça se passait mal au niveau de l’accueil du long-métrage, c’était très compliqué après. Alors, ils ont décidé d’inverser. Mais, hier, je n’ai pas terminé à 19h, on va dire.
Pourriez-vous nous parler du personnage de Paula que vous jouez dans Vie privée, présenté hors compétition au Festival de Cannes ?
Le film raconte l’histoire d’une psychanalyste jouée par Jodie Foster. Et moi, je suis l’une de ses patientes. Cette psychanalyste vit ce que l’on appelle un transfert inversé (un transfert de sentiments qui peut se transformer en relation inconsciente entre le médecin et le patient, ndlr). Sauf que Lilian (Jodie Foster) est dans le déni de cette relation. Mais la présence de cette femme, ce qu’elle lui dit, et peut-être aussi ce qu’elle ne lui dit pas, la touche à un endroit particulier. Et quand mon personnage va disparaître (elle va se suicider), Lilian ne va pas croire au suicide et va décider de mener une enquête avant de se rendre compte qu’elle a un lien avec cette femme. Donc, le personnage de Paula arrive par bribes dans le film. On peut totalement le fantasmer. parce qu’on n’en voit que de toutes petites touches de ce qu’il est.
“Je suis tombée en amour pour Rebecca Zlotowski.” Virginie Efira
Comment décririez-vous la relation de votre personnage avec celui joué par Jodie Foster ?
Je suis en psychanalyse dans le film. Et quand je suis chez Lilian (Jodie Foster), il y a toute cette interrogation qui naît sur le récit qui est donné par la patiente. Est-ce que ce récit, parce qu’on est chez le psy, contient forcément une vérité ? Et puis, c’est une psy un peu à l’ancienne. Elle enregistre ses séances avec ses patients sur des cassettes. Donc moi, j’interviens beaucoup dans le film par l’audio, à travers les cassettes que Lilian réécoute. Cette dernière essaie de les décoder quand elle apprend la mort de mon personnage. C’était donc un rapport très intéressant à jouer. Il y a quelque chose de l’ordre de l’écoute, de ce qui se passe derrière les façades. La parole psychanalysée est passionnante parce que c’est un flot assez libre de paroles. Ça doit sortir comme si on n’y pensait pas. Mais j’avoue que ça a créé une légère frustration parce que les yeux de Jodie Foster, tout comme son français parfait, c’est quand même un truc. Et comme je suis allongée sur le divan lors des séances avec elle, je n’ai pas ses yeux en face de moi. J’aurais aimé la regarder davantage.
Avant Vie privée, vous avez tourné dans un autre film de Rebecca Zlotowski, le bouleversant Les Enfants des autres...
Oui, et ce qui m’intéressait dans Vie privée, c’était notamment de retenir la main de Rebecca Zlotowski. Moi, je suis vraiment tombée en amour, comme dira un Québécois, pour Rebecca, en la rencontrant sur Les Enfants des autres. Et ce n’est pas parce qu’on appartient à un film qu’on le trouve forcément super. Mais celui-là, je l’aime vraiment beaucoup. Avec l’expérience qu’on a vécue ensemble et la compréhension que l’on a eue l’une de l’autre, quelque chose s’est passé et s’est déposé dans la vie. Parce que Rebecca est vraiment quelqu’un de bien à connaître sur un plateau comme en dehors. C’était donc super de pouvoir poursuivre quelque chose avec elle. J’ai un petit rôle dans Vie privée, mais je restais plus longtemps sur le plateau pour la regarder travailler.
“J’ai fait plusieurs psychanalyses. Ça veut dire que je n’en ai pas vraiment fait une.” Virginie Efira
Comment travaille-t-elle ?
Même ce qu’elle décide de mettre comme musique entre deux prises est important chez elle. Parce qu’elle pense à ça, pas seulement à la BO finale, qui comprend le super morceau Psycho Killer des Talking Heads. Souvent, chez les grands cinéastes, les films démarrent et sont là, même en dehors de ce qu’on tourne. Ils se jouent déjà dans la façon de parler aux acteurs et dans un état d’esprit qui se dilue sur une équipe entière. Et Rebecca a vraiment ça.
Quelle est votre relation à la psychanalyse qui est au cœur de Vie privée ?
Oui, j’en ai fait plusieurs, mais quand on en a fait plusieurs, ça veut dire qu’on n’en a pas vraiment fait. Donc, je suis plutôt ce genre-là. J’ai fréquenté plusieurs psychanalystes. Mais je n’ai jamais fini une thérapie. Je n’ai pas connu la relation de 20 ans avec un psy. Par contre, j’ai beaucoup joué la psychanalyste dans des films. Ou tourné dans des projets qui avaient un rapport avec ça. C’est marrant parce que le sujet m’intéresse terriblement. Tout ce qui est raconté autour de la psychanalyse, notamment les films sur ce thème, me passionnent. Cette exploration du soi, qui est aussi une compréhension de soi au monde ou du monde à soi, est une matière cinématographique passionnante que Justine (Triet) a beaucoup explorée. D’ailleurs, il existe un cousinage assez joyeux entre le Sibyl de Justine et le Vie privée de Rebecca.
“Ma première fois à Cannes, je logeais au camping d’à côté.” Virginie Efira
Est-ce parce que jouer dans un film constitue une sorte de thérapie accélérée ?
Oui, souvent, j’ai l’impression que l’acteur de cinéma, pas de théâtre – car le théâtre exige une technicité plus forte – a un rapport avec la psychanalyse. Jouer donne une possibilité de regarder des choses par plein de prismes différents. Cela implique un rapport à soi incluant l’idée d’ouverture. Ça rejoint ce que dit souvent Isabelle Huppert en interview à propos de l’idée du personnage. C’est quoi exactement le personnage ? C’est une entité floue. C’est la façon dont il rebondit en toi et comment tu t’imagines assez large pour accueillir des choses différentes – et ne pas les rejeter – qui compte. La psychanalyse ne rejette jamais rien. Elle ne dit pas : “Ça, c’est très mauvais, ça, c’est très bon.”
Vous êtes l’une des grandes figures du Festival de Cannes. Et pourtant, dans une interview accordée à France TV, vous disiez avoir commencé en étant la looseuse de la Croisette…
Et encore, j’ai édulcoré la réalité… Non, mais tout était vraiment improbable lors de ma première venue à Cannes. J’ai grandi à Molenbeek, en Belgique, et un jour, j’ai rencontré dans la rue, un copain de Jean-Claude Van Damme qui voulait faire un film de combat. Il n’y avait que des gens qui faisaient des combats dans ce projet. Nous, on jouait vaguement un truc. On faisait des photos du film alors que le film n’existait même pas. On allait chercher des financements à Cannes et je crois qu’ils sont allés les chercher dans le sable. On logeait au camping d’à côté, mais on venait quand même sur la Croisette pour le festival… Moi, je n’avais rien compris. On aurait dit que je voulais me lancer dans le cinéma X. J’avais pris des maillots de bain parce que je m’étais dit : “On va à la plage avec des trucs transparents.” Évidemment, tout le monde m’arrêtait. Je me disais : “C’est incroyable, tout le monde m’arrête. Et bien oui, j’étais à poil, ce n’était donc pas si fou.” Bref, rien n’allait. Plus tard, j’ai commencé à faire de la télévision en Belgique et je revenais sur la Croisette pour animer des soirées d’œuvres de charité, des trucs comme ça. Et puis, j’ai essayé de rentrer en soirée, mais je me faisais recaler tout le temps.
“C’est assez amusant, aussi, de ne pas être forcément convié à la fête.” Virginie Efira à Cannes
J’essaie de visualiser ces scènes…
J’avais un book sur moi avec les quelques articles écrits à mon sujet en Belgique. La pauvre fille ! J’ai quand même eu la décence – il m’en restait un tout petit peu – de ne pas le montrer. Mais je l’avais quand même sous le bras. Je me disais que peut-être, ça allait pouvoir m’aider à rentrer en soirée. Après, il y a eu une troisième partie plus intéressante, à Cannes, il me semble. Je n’avais pas grand-chose à faire là, mais j’arrivais beaucoup plus à m’amuser finalement que quand j’avais eu à faire quelque chose durant le festival. Je suis alors dit : “Tiens, le travail, rend sérieux.” Ou bien c’est l’âge aussi qui rend sérieux. C’est-à-dire que quand tu es beaucoup sorti et que tu as eu beaucoup d’ivresse, tu ne vas pas faire durer ça ad vitam aeternam. Tu l’as connu et il faut peut-être passer à autre chose. Mais c’était assez fun. Car c’est assez amusant, aussi, de ne pas être forcément convié à la fête.
Cela semble loin…
Là, c’est tout à fait autre chose. Je porte des bijoux Cartier super beaux. Du coup, tu as quelqu’un qui est avec toi : un garde du corps. C’est vraiment un autre délire.
“Je n’ai pas osé parler à Nicole Kidman.” Virginie Efira
Quelle est la plus belle rencontre que vous ayez faite à Cannes ?
Je pense bizarrement que le festival n’est pas forcément un lieu de rencontres. C’est tellement un tumulte que c’est compliqué de vraiment faire une vraie rencontre. Ça oblige les gens à être dans le mouvement. Hier, lors de la fête de Vie privée, j’ai pas mal réussi à discuter. Mais je ne sais plus faire le truc de parler de tout et de rien très rapidement. De toute façon, tout le monde va te dire que le film est super. Personne ne va dire que c’était dégueu. Et tu vas vite dire merci. Tout ça, ça ne s’imprime pas quelque part. Et puis, à Cannes, il y a plein de gens que j’admire. Mais moi, en général, je n’arrive pas à leur parler. Il y a deux jours, j’ai vu Nicole Kidman, dont je connais excessivement bien la filmographie. Mais je ne suis pas allée la voir car j’étais trop impressionnée pour vraiment la rencontrer.
Et parmi vos plus beaux moments cannois, lequel vous vient en tête ?
Je pense à la fois où je suis venue avec Justine Triet à Cannes pour le film Victoria. Il y a quelque chose, par rapport à mon histoire avec le festival, qui m’a marquée. Non pas parce que tout d’un coup, j’étais considérée et qu’il y avait de la reconnaissance. Non, parce que je cherchais à faire des films qui avaient une particularité, qui étaient intimes et qui pouvaient toucher les gens. Des films qui étaient liés au rapport, intime, que j’entretiens avec le cinéma. Je savais que le fait que le film soit pris à Cannes voulait dire que, peut-être, il avait cette chose-là. Et, après, le partager avec Justine pour qui c’était la première fois en compétition (à la Semaine de la Critique), c’était vraiment quelque chose. Avec Rebecca aussi, c’est particulier. Mais on avait déjà fait le Festival de Venise et tout ça, avant. Et elle a aujourd’hui une assise plus forte que celle que Justine avait au moment de Victoria.
Les fabuleux projets de Virginie Efira
Entre les films Les Braises, Hors La Loi et le prochain long-métrage de Nabil Ayouch, vous enchaînez les projets. Vous êtes l’actrice la plus demandée de France !
De France ? J’étendrai au Benelux et à la Scandinavie (rires).
Et après avoir joué pour Verhoeven, vous semblez prendre un tournant plus international avec le film Soudain du Japonais Ryūsuke Hamaguchi…
Ah oui, c’est un grand tournant à l’inter (rires). Non, je fais des blagues, mais je suis très contente parce que là, je vais tourner avec Hamaguchi, c’est merveilleux. C’est comme lorsqu’on dit : “Il y a les romans, puis il y a la littérature.” Il y a des films et il y a le cinéma. Car c’est quelqu’un qui a une grâce inouïe. Évidemment, cette grâce qu’il y a dans les films, et que j’adore terriblement, j’imagine que c’est quelque chose qu’il a lui aussi. Et de nouveau, c’est un réalisateur, qui, même si je n’ai pas encore commencé le tournage – a une telle sensibilité qu’il la fait ressentir à toute une équipe. J’ai l’impression que la troisième assistante, sur le plateau, en bénéficie aussi. Ce sont des gens qui arrivent à faire en sorte que le cinéma devienne vraiment collectif. Ça, c’est vraiment incroyable. Et donc là, je vous quitte demain pour me remettre au japonais, car je parle un peu cette langue dans le film.
“Si tout le monde vous aimait, vous imaginez, ce serait l’ennui.” Virginie Efira
Vous serez aussi dans le long-métrage Histoires parallèles de l’Iranien Asghar Farhadi avec Isabelle Huppert…
Oui, après avoir joué dans le Ryūsuke Hamaguchi, je vais faire un film avec Asghar Farhadi, qui tourne à Paris lui aussi. La France, terre d’accueil, c’est merveilleux. Non, mais c’est vraiment une chance de jouer dans l’un de ses longs-métrages.
Vous incarnez souvent des femmes qui semblent vraies, avec des aspérités qui permettent que l’on s’y identifie… Cela vous semble essentiel lorsque vous choisissez un rôle ?
Oui, il faut qu’il y ait ces aspérités-là. Parce que si tu regardes n’importe quelle chose assez longtemps, elle devient intéressante. Tout le monde a des aspérités. C’est par un regard – non superficiel – et par ce que tu décides de regarder, que tu perçois les différentes couches. Si le réalisateur, à l’écriture ou dans son imaginaire visuel, ne voit pas la somme de détails qui constitue quelqu’un, ce n’est jamais intéressant. J’ai fait quelques films comme ça, au départ, où je me dis : “Tiens, c’est vraiment un personnage qui a deux caractéristiques : « Elle est sympa et un peu distraite. Ok, génial.” Mais du coup, quand on a ce regard-là (celui qui s’attarde sur toutes les couches de la personne), on l’a sur absolument tous les personnages et certainement à l’endroit du féminin. Les personnages féminins ne vont pas être essentialisés ou stéréotypés.
“Souvent, dans mes films, mon personnage en prend plein la gueule, mais reste debout.” Virginie Efira
En plus d’être, à titre personnel, mon actrice préférée avec Gena Rowlands, vous faites l’objet d’un amour unanime auprès des spectateurs français. Comment l’expliquez-vous ?
(Rires) Alors déjà, ce n’est évidemment pas une vérité. Et puis, si tout le monde vous aimait, vous imaginez, ce serait l’ennui. Ça voudrait dire que je suis super consensuelle, et que je n’ai pas trop d’aspérité. Mais cela rejoint sans doute notre discussion à propos des rôles que j’ai joués. Cela est lié, d’ailleurs, à un endroit qui n’est pas non plus super glam, c’est-à-dire une forme, véhiculée par les personnages et par ce que je renvoie, de normalité. Ou plutôt, d’identification possible. Quand on voit Ava Gardner, l’identification est moins possible. C’est marrant d’ailleurs, il y a des similitudes entre mes rôles et mon parcours. Souvent, dans mes films, mon personnage en prend plein la gueule, mais reste debout. On a toujours une petite affection pour celui qui s’en prend plein la gueule. Et je parle souvent en interview d’endroits reflétant un peu à la loose. Peut-être que c’est pour qu’on m’aime justement ? (rires) Faites-vous passer pour une bonne looseuse, et il y aura une affection généralisée.
Il y a aussi le fait que vous ayez commencé par la télévision avant d’être devenue une star de cinéma…
Oui, je pense que le fait d’avoir démarré le cinéma tard et d’avoir vécu en Belgique joue. Je ne suis pas en train de faire une propagande nationale en disant qu’on est tous tellement sympas et normaux. Mais il y a un positionnement de ce pays par rapport à la France qui fait que tu ne peux pas t’envisager avec un trop grand sérieux. Et encore, moi, je suis devenue très parisienne. Il y a plein de moments en interview où je pense que je pense. Ça ne va pas très bien.
Vie privée de Rebecca Zlotowski, au cinéma le 26 novembre 2025. Le film est présenté au Festival de Cannes.