2 sept 2024

Mostra de Venise 2024 : Tilda Swinton et Julianne Moore bouleversantes dans le nouveau Pedro Almodóvar

Dans le long-métrage The Room Next Door, présenté en avant-première à la Mostra de Venise, Pedro Almodóvar évoque la fin de vie d’une journaliste dans une atmosphère de mélodrame funèbre. Notre critique du film qui réunit Julianne Moore et Tilda Swinton à l’écran.

Pedro Almodóvar, Julianne Moore et Tilda Swinton pour le film The Room Next Door © Iglesias Mas.
Pedro Almodóvar, Julianne Moore et Tilda Swinton pour le film The Room Next Door (2024) © Iglesias Mas.

The Room Next Door réunit les actrices Tilda Swinton et Julianne Moore

Il arrive parfois, dans la carrière des grands cinéastes, qu’ils atteignent un moment où plus rien ne se met en travers de leur désir. Les histoires et les images sortent d’eux en un flux maitrisé, définitif, dans toute leur incandescence et leur fragilité. Avec son nouveau film présenté en compétition à la 81e Mostra de Venise, Pedro Almodóvar atteint peut-être ce moment, alors qu’il fêtera ses 75 ans dans quelques semaines. La rumeur émue qui accompagnait la fin de la première projection vénitienne en disait long sur la portée de The Room Next Door, le premier long-métrage “américain” (mais tourné largement en Espagne !) du madrilène, avec Tilda Swinton et Julianne Moore, d’une beauté funèbre.

Adapté du roman de Sigrid Nunez intitulé What Are You Going Through (2020), The Room Next Door raconte comment deux femmes de la bourgeoisie culturelle, qui se sont perdues de vue depuis longtemps, renouent au moment le plus critique, quand l’une d’elles, Martha (Tilda Swinton), une reporter de guerre pour le New York Times, souffre d’un cancer cervical à un stade avancé. A l’hôpital, elle reçoit la visite d’Ingrid (Julianne Moore), une écrivaine et amie de longue date, qui a appris sa maladie par hasard.

La première approche reste timide, mais comme si la vie, tout à coup, les sommait de rester collées l’une à l’autre, les deux femmes se voient de plus en plus à Manhattan, pour évoquer à la fois leur passé – Martha a été une mère absente et n’a plus de contacts avec sa fille – et surtout, se préparer à l’idée de la mort, qu’elles ont toutes deux côtoyée à travers leurs écrits et leur travail.

Tilda Swinton, Pedro Almodóvar et Julianne Moore au photocall du film The Room Next Door à la Mostra de Venise le 2 septembre 2024 © Daniele Venturelli/WireImage.

Pedro Almodóvar fait sensation à la Mostra de Venise

L’amitié devient un remède à l’apitoiement. Les deux femmes finissent par sceller un pacte, dont on ne dira rien ici, tant il fait partie de la découverte du film. On glissera seulement qu’Almodovar remplace un éventuel suspens à propos du destin de Martha par un jeu de piste de plus en plus mental, intérieur aux deux femmes, à mesure qu’elles réapprennent à se connaitre et que la fin approche. 

The Room Next Door ne laisse jamais gagner la tristesse, mais interroge autant que possible les choix de ses personnages. Dans le cadre égalitaire de la fiction, Ingrid s’affirme comme une héroïne tout aussi bouleversante et mystérieuse que sa comparse pourtant plus concernée par un drame. Que fait-elle vraiment là ? La réponse ne sera jamais complète et c’est bouleversant.

Sans se cacher, Pedro Almodóvar rassemble ici la plupart de ses obsessions – les figures féminines comme nœud de tout récit de vie et de mort, le mélodrame en tant qu’horizon privilégié, notamment – pour les exposer de la manière la plus nue qui soit. Les scènes vont droit au but, lestées de tout superflu. Les couleurs fétiches du cinéaste, criardes, sont toujours présentes, peut-être plus que jamais, mais d’une manière volontairement plate qui fait d’elles le décor d’un drame profond. Dans un plan de la dernière partie du film, Pedro Almodóvar se permet même de délaver l’image, comme pour montrer que derrière les pigments de couleur, il n’y a bientôt plus rien.

La bande-annonce du film The Room Next Door (2024).

Ingmar Bergman et John Huston en influences

The Room Next Door cite frontalement le chef d’œuvre mélancolique de John Huston tiré de James JoyceGens de Dublin (1987), à travers cette neige qui recouvre “les morts et les vivants”. Alors que le cadre se sature de reflets et de transparences, les fantômes ne sont jamais loin, ceux du film lui-même et de l’histoire du cinéma tout entière.

On pense à Persona d’Ingmar Bergman mais aussi à une autre grande œuvre tardive de cinéaste majeur, Cœurs d’Alain Resnais (2006), où une neige livide tombait presque sans interruption. Ces trois réalisateurs sont désormais décédés. Comme si ce n’était plus que son seul sujet, Almodovar s’adresse aujourd’hui aux vivants comme aux morts, instaurant un dialogue qui ne tient que par le fil ténu du cinéma.

The Room Next Door (2024) de Pedro Almodóvar, avec Julianne Moore et Tilda Swinton, n’a pas encore de date de sortie.