Qui est Théodore Pellerin, le dandy québécois qui prend d’assaut le cinéma français ?
Au Festival de Cannes, le film Nino a ému par sa justesse et sa délicatesse. Porté par l’acteur Québécois Théodore Pellerin, le premier long-métrage de Pauline Loquès explore avec une intensité retenue la confrontation à la fin de vie. Dans le rôle-titre, l’acteur connu pour avoir tourné chez Xavier Dolan et Ari Aster livre une performance bouleversante, récompensée par le Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation à la Semaine de la Critique. Rencontre avec un comédien qu’il faut connaître.
propos receuillis par Nathan Merchadier.
Théodore Pellerin, un acteur à fleur de peau dans le film Nino
Révélé au grand public dans Juste la fin du monde (2016) de Xavier Dolan, Théodore Pellerin est de ces comédiens dont la présence magnétique bouleverse sans jamais forcer le trait. À 27 ans, le Québécois poursuit son sillon singulier, entre cinéma d’auteur exigeant et rôles habités par une sensibilité rare. En 2024, il crève le (petit) écran dans la série Becoming Karl Lagerfeld, aux côtés d’une foule d’excellents comédiens, à l’image de Daniel Brühl et Alex Lutz. Le jeune homme à la silhouette longiligne y incarne le dandy décadent Jacques de Bascher (qui fut l’amant d’Yves Saint Laurent et l’amour de Karl Lagerfeld).
Cette semaine, dans Nino, le premier long-métrage de Pauline Loquès présenté à Cannes, il se plonge dans la vie d’un jeune homme confronté à l’annonce brutale de sa mort. Une prestation touchante qui lui vaut de remporter le Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation à la Semaine de la Critique, ce mercredi 21 mai 2025.
À l’occasion d’une discussion cannoise, Théodore Pellerin évoque son nouveau rôle, ses doutes, mais aussi son regard sur l’émergence d’une nouvelle masculinité. Rencontre avec un acteur pudique, guidé par un immense besoin d’amour et une quête d’authenticité.

L’interview de Théodore Pellerin, star du film Nino
Numéro : Vous avez été révélé au cinéma dans le film Juste la fin du monde en 2016. Quel chemin avez-vous parcouru avant de devenir acteur ?
Théodore Pellerin : J’ai commencé le théâtre assez tôt, à l’âge de 12 ans. Mais même avant ça, ce que j’aimais par-dessus tout, c’était faire de l’improvisation à l’école primaire. Ce sont mes parents qui m’ont encouragé à passer les auditions pour cette petite école de théâtre, pas très jolie, à côté de chez nous au Québec. Moi, je rêvais d’aller dans une école comme dans les films américains, avec des casiers et des cheerleaders… Je n’étais pas un enfant particulièrement attiré par la lecture ou le théâtre. Mais à force d’en faire, j’ai commencé à aimer ça profondément. Et à aimer les acteurs aussi, parce que je ne comprenais pas comment ils faisaient. J’essayais de jouer, mais eux, ils étaient juste… vivants. Que ce soit sur scène ou à l’écran, ils avaient cette évidence que je trouvais fascinante. Le cinéma, c’est devenu ma façon d’apprendre, d’explorer, de grandir.
Pourquoi avoir choisi de rejoindre le casting du très émouvant film Nino, présenté à la Semaine de la Critique à Cannes ?
C’était l’un des meilleurs scénarios que je n’avais jamais lu. Et puis il y a eu la rencontre avec Pauline Loquès [la réalisatrice du film, ndlr], je l’ai aimée tout de suite. Je me suis senti entouré d’une grande bienveillance, d’une vraie douceur. À partir de là, j’avais juste envie de faire le film. Dès les premières scènes, j’ai eu le sentiment de comprendre profondément le personnage. Mais je crois que cela tient surtout à l’écriture de Pauline : elle est d’une telle justesse qu’elle rend son univers accessible et évident.
Quels éléments vous ont fait sentir que ce rôle était taillé pour vous ?
C’est toujours difficile d’expliquer pourquoi un rôle paraît taillé pour soi, ou pourquoi un scénario est si bien écrit. Si j’étais critique littéraire, peut-être que je saurais mieux l’analyser… Mais là, c’était très instinctif : j’ai commencé à lire, et je n’ai pas pu m’arrêter. Les images étaient limpides. Tout était fluide. J’avais cette sensation rare, comme quand un livre te happe complètement. Tu vis avec les personnages, tu ressens ce qu’ils ressentent, tu te projettes immédiatement. Et surtout, ça te touche profondément.

“J’ai le sentiment qu’il y a un changement dans la façon dont on perçoit la masculinité aujourd’hui.” Théodore Pellerin
Nino est un film centré sur les derniers jours d’un jeune adulte atteint d’un cancer. Comment vous-êtes vous préparé à incarner ce personnage ?
Je crois que l’essentiel de mon travail a été de comprendre qui était ce personnage avant le début du film, avant le choc de l’annonce. On raconte l’histoire d’un jeune homme très déconnecté, extrêmement seul, qui semble déjà marcher vers la mort. Et c’est justement l’annonce de sa possible fin qui, paradoxalement, va le ramener doucement à la vie. Pauline (la réalisatrice) m’a beaucoup guidé dans cette préparation. Elle m’a conseillé des lectures comme La Nausée (1938) de Sartre ou Un homme qui dort (1967) de Georges Perec, qui ont nourri ma compréhension du personnage.
Lors de la projection du film à la Semaine de la Critique, la réalisatrice Pauline Loquès a insisté sur le fait que son long-métrage a principalement été réalisé et produit par des femmes… Êtes-vous sensible à l’idée d’un female gaze dans le cinéma ?
Mon expérience n’a rien d’universel, mais c’est vrai que les tournages les plus marquants que j’ai vécus ont souvent été avec des réalisatrices. Je ne saurai pas dire si cela tient à quelque chose de proprement féminin… Les hommes pourraient aussi se permettre cela, mais peut-être qu’ils se l’autorisent moins souvent. Ce que je sais, c’est que j’ai besoin de beaucoup d’amour pour m’ouvrir vraiment. Il n’y a pas longtemps, je suis tombé sur une phrase dans le roman Anna Karénine (1878) de Léon Tolstoï qui m’a marquée. Il était écrit : “Cette personne ne saura jamais à quel point j’ai besoin qu’on m’aime pour que je puisse donner accès à mon âme”. Je trouve que c’est très juste. Filmer un acteur, c’est peut-être cela, en fait : essayer d’atteindre une âme.
Ces derniers temps, on parle souvent d’une nouvelle forme de masculinité. Avez-vous le sentiment que les attentes que la société nourrit envers les hommes sont en mutation ?
J’ai le sentiment qu’il y a un changement dans la façon dont on perçoit la masculinité aujourd’hui. On le ressent dans la culture populaire, dans le cinéma, avec l’émergence de figures comme Paul Mescal ou Josh O’Connor. Ce sont des acteurs qui incarnent une masculinité plus douce, plus vulnérable, plus accessible aussi. Et je crois que ce regard-là, plus nuancé, commence à s’imposer un peu partout. C’est en train de bouger, et c’est une évolution qui me parle.

“Après le tournage, le retour à la réalité a été un peu brutal. Je me suis surpris à ne plus être dans le même rapport à la mort.” Théodore Pellerin
Le scénario du film comporte également une dimension philosophique et livre une réflexion intéressante sur la question de la mort…
Ce qui m’a profondément touché, c’est la manière dont une annonce aussi brutale peut bouleverser la perception du moment présent. Tout à coup, chaque seconde prend un poids différent, une intensité nouvelle. Cette acuité, cette vibration du présent, le film la capte avec beaucoup de poésie. Une fois qu’il apprend qu’il va mourir, c’est la première fois que Nino vit avec autant de présence. Et c’est quelque chose que j’ai ressenti très fort en jouant ce rôle. Après le tournage, le retour à la réalité a été un peu brutal. Je me suis surpris à ne plus être dans ce même rapport à la mort. On recommence à croire qu’on a tout le temps devant soi, alors que non. C’est ça que je trouve bouleversant dans le film : cette façon de redonner au présent toute sa valeur.
Comment s’est déroulée votre rencontre avec le reste du casting (Jeanne Balibar, William Lebghil…) ?
À chaque nouvelle rencontre, je me suis dit que j’avais de la chance de faire partie de ce projet. Très vite, j’ai compris que je pouvais vraiment me laisser porter par eux. Parce que chacun apportait une telle justesse, une telle humanité, que mon rôle à moi était simplement d’être présent, à l’écoute. Nino est le personnage principal, mais chaque scène devient un peu celle de son interlocuteur. C’est exactement ce que j’ai ressenti sur le plateau : j’avais juste à me laisser traverser par le talent des autres.
Après avoir tourné dans une quinzaine de films, la réalisation se présente-t-elle comme la prochaine étape pour vous ?
J’aime profondément les acteurs, et j’ai un vrai attachement aux grands textes. Donc peut-être qu’un jour, j’aurai envie de dépasser les limites de mon propre corps pour accompagner ces éléments autrement, par la mise en scène. Mais ce n’est pas une ambition que je poursuis activement pour le moment…

“J’ai beaucoup de peurs en tant qu’acteur. Ce qui me travaille le plus, c’est la peur d’échouer.” Théodore Pellerin
Quelles sont vos plus grandes peurs en tant qu’acteur?
J’ai beaucoup de peurs en tant qu’acteur. Il y a la peur de l’échec, bien sûr, mais aussi celle, plus intense, de ne pas être aimé, voire carrément détesté. Ce qui me travaille le plus, c’est la peur d’échouer dans le jeu lui-même. Il m’arrive souvent de traverser des moments où je me dis que je n’y arriverai jamais, que je ne serai jamais à la hauteur. Mais paradoxalement, cette peur est aussi un moteur puissant qui me pousse à travailler encore plus, à ne pas lâcher, parce que la crainte d’être complètement nul me force à me dépasser.
Après avoir remporté le Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation à la Semaine de la Critique, quels sont vos projets ?
Prochainement, je vais jouer dans Lurker, un thriller psychologique qui explore l’obsession de la célébrité en Amérique. Le scénario suit un gars qui travaille dans une boutique de vêtements et qui, par hasard, rencontre une popstar qu’il admire beaucoup. Il parvient à s’intégrer dans son entourage, et le film devient peu à peu une course pour gravir les échelons sociaux autour d’elle, jusqu’à ce que la situation devienne une question de vie ou de mort. C’est le premier long-métrage d’Alex Russell, un scénariste talentueux qui a aussi travaillé sur les séries The Bear et Beef…
Le film Nino de Pauline Loquès, présenté à la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2025. Au cinéma le 17 septembre 2025.