Rencontre avec Damien Bonnard, l’acteur français que vous devez absolument connaître
Ce mercredi 12 mars sort dans les salles de cinéma le film Reine mère (2025), un drame qui dépeint la vie d’un couple menacé de perdre son appartement, interprété par Camélia Jordana et Sofiane Zermani. Aux côté de ce duo, Damien Bonnard crève l’écran. Retour sur notre rencontre avec un acteur essentiel.
propos recueillis par Nathan Merchadier.
Rencontre avec l’acteur Damien Bonnard, à l’affiche du film Reine mère
Lorsque Damien Bonnard décroche son téléphone pour répondre à notre interview – il était difficile de trouver un moment pour le rencontrer à Paris, tant son agenda est chargé – tout nous pousse à croire qu’il est au beau milieu d’une forêt. Les oiseaux chantent et parasitent parfois même le son de sa voix rocailleuse. Pourtant, le quarantenaire aujourd’hui à l’affiche du film Reine mère (2025) semble imperturbable, bien décidé à nous raconter son histoire.
Pizzaiolo, coursier, pêcheur au canada ou encore ouvrier sur des chantiers… difficile de voir le bout de la liste des expériences professionnelles vécues par Damien Bonnard avant qu’il devienne acteur, à l’âge de 33 ans (il en a aujourd’hui 46). Toutefois, lorsque l’on étudie avec attention les personnages qu’il a joués au cinéma, avec une aisance déconcertante, on comprend mieux à quoi ces “mille vies” ont bien pu lui servir. De son rôle très remarqué de flic dans le film Les Misérables (2019) de Ladj Ly – qui lui a d’ailleurs valu une nomination aux César – à celui de critique littéraire dans Curiosa de Lou Jeunet, l’acteur français originaire d’Alès ne cesse de surprendre et de séduire à l’écran. La large palette qu’il a mise en œuvre, depuis son premier (petit) rôle dans la comédie Le Bruit des glaçons de Bertrand Blier (2009) lui aura aussi valu quelques succès en dehors des frontières de l’Hexagone.
L’apparence de dur à cuire – à mi-chemin entre le mafieux et le commissaire véreux – qu’il a progressivement façonnée, lui a ouvert les portes des tournages de grands réalisateurs étrangers, de Christopher Nolan (dans Dunkerque,2017) à Wes Anderson (dans The French Dispatch, 2021 et Asteroid City 2023).
Dans Reine mère (2025), le nouveau long-métrage de la réalisatrice franco-tunisienne Manele Labidi (en salle ce mercredi 12 mars), l’acteur incarne le personnage historique de Charles Martel, un chef militaire de l’époque du Moyen-Âge, aux côté d’un très bon duo de comédiens composé de Camélia Jordana et Sofiane Zermani. Une partition exigeante qui, une fois encore, le pousse dans ses retranchements. Retour sur notre rencontre [l’interview a initialement été publiée le 13 juin 2023, ndlr] avec un acteur à suivre.
« L’art est un des moyens d’aller vers des vies que l’on ne connaît pas. » Damien Bonnard
Numéro : Comment arrivez-vous à réinventer votre jeu d’acteur au cinéma ?
Damien Bonnard : Au cinéma, les gens essaient souvent de vous proposer des rôles qui pourraient ressembler à celui que vous êtes censé tenir dans la vie. C’est bien de le faire de temps en temps, mais c’est aussi très important d’essayer autre chose. L’art est un des moyens d’aller vers des vies que l’on ne connaît pas. Cet acte-là est intéressant car il nous oblige à nous plonger dans un univers qui nous est étranger pour essayer de le questionner. Ce travail artistique est fort et j’essaie de l’appliquer au maximum. Pour chacun de mes personnages, je prends en compte leurs caractéristiques physiques. J’essaie d’apporter mon point de vue à propos des costumes par exemple, pour ne pas simplement enfiler une tenue et me cantonner à mon rôle. Pour chaque film, cela passe également par des parfums que je choisis pour mieux incarner mon personnage. Chacun à une odeur qui lui est propre et j’aime apporter cette précision. Je cherche aussi des activités qui ont un lien direct avec un rôle, avec des endroits qui me sont inconnus. Dans le film Les Intranquilles (2021) je m’étais mis à la boxe pour accéder à des émotions et des subtilités qui m’étaient étrangères. Je fonctionne comme ça, avec des choses très préparées et des choses très intuitives.
Vous êtes officier dans Le Chant du loup, critique littéraire dans Curiosa, commissaire dans J’accuse… Y a-t-il un métier que vous n’avez pas interprété à l’écran ?
Il y en a plein [rires]. Je n’ai jamais été médecin par exemple. Le rôle que j’ai peut-être le plus endossé est celui de policier. En ce moment, je joue un coach sportif pour son fils qui fait de la motocross. Dans un de mes prochains films, j’interpréterai un directeur de travaux. Il me reste plein de métiers à explorer. Et donc 3 000 ou 4 000 films dans lesquels jouer [rires].
Cette diversité de rôles dans lesquels vous vous plongez se retrouve aussi dans la palette éclectique des réalisateurs qui vous ont choisi. Quel effet cela fait-il de passer d’un film de Christopher Nolan à un tournage plus confidentiel en français ?
J’aime ces différentes manières de travailler. Là, je viens de tourner un film avec Kiyoshi Kurosawa dans lequel j’ai le rôle principal masculin. C’est un thriller qui traite de vengeance. Travailler avec des gens d’une autre culture est un exercice très intéressant. Ils font preuve d’une manière différente de penser, de voir, de ressentir… J’en ai encore récemment fait l’expérience avec Wes Anderson sur le tournage d’Asteroid City, ou avec Yórgos Lánthimos dans Poor Things. Passer d’un univers à l’autre, c’est toujours un défi personnel.
« L’univers de Wes Anderson est très complexe car il crée tout du début à la fin. Il a façonné une ville qui n’existe pas, dans un désert. Même les montagnes ont été créées, il dessine ce que l’on mange : des couverts aux assiettes. » Damien Bonnard
En 2023, vous étiez à l’affiche d’Asteroid City de Wes Anderson. Comment s’est déroulé ce tournage ?
C’est la deuxième fois que je tourne avec lui et c’est à chaque fois passionnant. Pour The French Dispatch, je ne devais à l’origine tourner qu’une seule journée, mais nous avons finalement fait évoluer le personnage en essayant de lui donner plus de complexité, à travers des coiffures ou des accessoires notamment. Dans Asteroid City, nous avons décidé que j’allais être présent tout au long du film, mais sans trop parler pour autant. C’était aussi génial de travailler avec les grandes actrices et les grands acteurs qui font partie de ce casting assez fou. L’univers de Wes Anderson est très complexe car il crée tout du début à la fin. Il a façonné une ville qui n’existe pas, dans un désert. Même les montagnes ont été créées, il dessine ce que l’on mange : des couverts aux assiettes. Beaucoup d’acteurs qui travaillent avec lui viennent d’univers très différents et c’est intéressant de le voir communiquer avec tout ce monde car plusieurs manières de travailler se rencontrent pour donner vie à un ensemble cohérent. Il a aussi très envie que ses acteurs soient indépendants. Il y a très peu d’interventions sur le tournage. Les coiffures et le maquillage sont réalisés très tôt le matin et doivent tenir toute la journée pour ne pas interférer dans le jeu. Ses premiers films m’avaient beaucoup marqué, de Bottle Rocket (1986) à Rushemore (1988), donc c’est exaltant de me retrouver à travailler avec lui…
Quelle image pensez-vous représenter à l’étranger ?
Honnêtement, je ne sais pas… Pour prendre l’exemple de Kiyoshi Kurosawa, il m’avait vu dans des films et c’est pour cette raison qu’il m’a appelé, il voulait m’emmener complètement ailleurs, dans la peau d’un personnage que je n’avais jamais joué en France. Peut-être que l’on me voit comme une sorte d’inspecteur Clouseau.
Damien Bonnard est-il à la conquête de Hollywood ?
Il est à la conquête du monde entier [rires]. Il y a plein de choses qui m’intéressent dans le cinéma américain, indépendant ou pas. Je pense que j’ai surtout envie de continuer à travailler avec des gens qui viennent du monde entier. En Angleterre, j’aimerais travailler avec Andrea Arnold par exemple. Prochainement, je vais tourner avec un réalisateur indien. À vrai dire, je n’ai pas de plan précis en tête…
La liste des métiers que vous avez exercés avant le cinéma est pour le moins impressionnante (de pizzaiolo à assistant de direction d’un laboratoire du CNRS). Est-ce que la dizaine de vies que vous avez eues vous ont aidé pour vous projeter dans certains rôles ?
Depuis mon adolescence et ce jusqu’à mes 33 ans, j’ai eu l’occasion de travailler dans pas mal de domaines différents. En ce moment, sur un tournage, j’ai un rôle qui se passe sur un bateau. Pour les costumes, nous étions à la recherche d’une tenue de pluie et il se trouve que j’ai été pêcheur pendant une année au Canada. J’avais gardé cet ensemble avec lequel j’ai travaillé pour gagner ma vie à l’autre bout du monde. Je l’ai donc apporté sur le tournage du film. Certaines choses que j’ai déjà vécues, physiquement, me servent dans mes rôles. Je passe aussi mon temps à observer les petits détails de la vie, depuis gamin, je crois. Ce regard particulier m’aide aussi à composer mes personnages au cinéma.
Y a-t-il une question que vous ne voulez plus entendre en interview ?
Non, je ne crois pas… Il y en a une qui vous excède vous ?
Les clichés ou les idées reçues que l’on a sur un acteur peuvent parfois entraîner des questions agaçantes pour lui…
Oui, c’est sûr. À chaque interview, je trouve qu’on a de la chance de discuter avec des gens qui ont creusé leur sujet et qui vont interroger des points très précis de nos vies. Quand je suis en promo pour un film, j’essaie de faire en sorte de ne pas toujours raconter la même chose. Ce qui est fascinant avec la presse, c’est que l’on peut développer des pensées autour d’un personnage dans le cadre d’un film et qu’en discutant avec des journalistes, les idées qui caractérisent un rôle peuvent être questionnées et remises en cause. Ça ressemble parfois à une sorte d’introspection qui nous permet d’accéder, en tant qu’acteur, à des choses auxquelles nous n’aurions jamais pensé.
« Quand j’étais aux beaux-arts, je faisais beaucoup de performances et de happenings. » Damien Bonnard
En 2020, vous prêtez votre voix pour incarner un journaliste dans le podcast Nuages sur Spotify, qui raconte l’accident d’une des plus vieilles centrales nucléaires de France. Qu’est-ce que le métier de journaliste vous évoque ?
J’aime cette idée d’être témoin de quelque chose. Je ne connais pas tellement ce métier car je m’y intéresse surtout en tant que lecteur et en tant qu’auditeur. Pour “préparer” ce journaliste dans le podcast, nous avions surtout travaillé sur des intonations et sur des voix.
Vous avez également étudié aux beaux-arts de Nîmes, il me semble… Qu’est-ce qu’il vous en reste aujourd’hui ?
Au-delà du cinéma, tous les arts comptent beaucoup pour moi. Malheureusement, j’ai été contraint de mettre de côté certaines de mes activités artistiques lorsque j’ai commencé à être comédien. J’ai aussi des envies qui vont plus loin que de jouer dans des films, autour du théâtre notamment. Quand j’étais aux beaux-arts, je faisais beaucoup de performances et de happenings. Depuis deux ou trois ans, il y a des choses de cet ordre-là sur lesquelles je suis en train de travailler à nouveau. Je suis également sur un projet de livre de dessins avec un ami. Le cinéma a parfois cette fonction de rassembler tous les arts – de la danse à la peinture –, et ce sont des éléments qui sont très présents dans ma vie. Je dois dire que la performance me passionne.
Y a-t-il un acteur ou une actrice avec qui vous rêvez de tourner ?
Il y a tellement de gens passionnants avec qui je rêverais de faire un film. Je dirais Vicky Krieps, et peut-être Adam Sandler en acteur. Mais il n’y pas qu’eux, j’aimerais jouer avec Vincent Macaigne également. J’ai récemment eu l’occasion de jouer avec Vimala Pons. Quand je vous parlais de performance tout à l’heure, il y a la pièce qu’elle avait jouée à Beaubourg il n’y a pas longtemps, que j’ai adorée. Il y avait plein de choses entremêlées : de la sculpture, de la littérature…
En 2023, vous avez incarné le personnage de Simon, un père de famille un peu perdu dans le film Le Processus de paix. Comment aviez-vous appréhendé ce rôle ?
Simon est un mec qui a souvent des variations d’humeur. Sa vie personnelle influence beaucoup sa vie professionnelle et vice versa. Il y avait toute une recherche, assez drôle à explorer, lorsqu’il commence à perdre pied et qu’il cherche absolument un soutien, qu’il soit religieux ou venant de sa mère. Il s’efforce de trouver des appuis un peu partout, mais n’en trouve nulle part, parce qu’il aurait dû les trouver au sein de son couple. On s’était dit que ce personnage éprouvait un profond malaise qu’il essayait de combler d’une manière ou d’une autre. Ce n’est peut-être qu’un détail, mais dans le film, ce type mange dès qu’on lui parle. Le Processus de paix évoque finalement la vie de deux adultes qui deviennent des ados par moments. Il y avait une espèce de bordel ambiant dans ce film, qui était assez génial.
Qu’est-ce qui vous a finalement séduit dans ce personnage ?
Il y avait des tas de choses à explorer, des choses que je n’avais jamais jouées au cinéma auparavant. Je ne m’étais pas beaucoup illustré dans le champ de la comédie, mais celle-ci m’a intéressé pour son côté décalé. Il y a quelques années, j’avais travaillé sur un film américain : C’est qui cette fille (2017) de Nathan Silver. Il s’agissait de mes premiers pas dans ce registre cinématographique, mais ça m’avait beaucoup plu. Il y en avait un grand nombre dans ce genre aux États-Unis dans les années 80 et 90. Ce sont des choses que j’aime bien parce qu’elles sont en quelque sorte des relectures du monde. J’adore les comédies qui ont une profondeur, celles qui portent une charge mélancolique, une charge philosophique.
Reine mère (2025) de Manele Labidi, avec Camélia Jordana, Sofiane Zermani et Damien Bonnard, actuellement au cinéma.