Rencontre avec Anouk Grinberg, actrice et peintre à l’humanité débordante
Immense actrice française, qui exalte une grande humanité, Anouk Grinberg a illuminé des films tels que Merci la vie et Un, deux, trois, soleil de Bertrand Blier, et plus récemment, La Nuit du 12 et L’Innocent (diffusé ce mercredi 23 octobre 2024 sur Arte). Celle que l’on a vue en 2024 dans deux beaux projets (le film Bonnard, Pierre et Marthe et la série Cristóbal Balenciaga) est aussi peintre d’œuvres à la fois gaies et torturées. Elle s’est confiée à Numéro sur la peinture et le cinéma.
propos recueillis par Violaine Schütz.
L’interview de l’actrice et peintre Anouk Grinberg, star de L’Innocent
Numéro : Vous êtes actrice, plasticienne et écrivaine. Comment vous définissez-vous en premier lieu ?
Anouk Grinberg : Je suis pleinement actrice quand je joue, pleinement peintre quand je peins et quand j’écris, j’essaie d’écrire vraiment. Mais disons que je joue plus que je n’écris. Chaque fois que je fais une chose, je suis absorbée et j’oublie qui je suis et ce que je fais, par ailleurs.
Quels sont les points communs entre la peinture et le cinéma ?
Les points communs entre jouer et peindre sont de l’ordre de l’incarnation, être traversée, habitée par des présences, laisser la bride lâche à l’inconscient, transformer la réalité, maîtriser en partie et laisser le hasard jouer. Dans ces deux pratiques, les accidents sont bienvenus. Ce sont des brèches d’où jaillit un sens auquel on n’avait pas pensé.
“J’ai été comblée par le cinéma, après m’en être un peu éloignée. La vie est bien faite, parfois.” Anouk Grinberg
On vous a vue récemment dans Bonnard, Pierre et Marthe et dans une série sur Cristóbal Balenciaga, diffusée sur Disney+. Pouvez-vous nous parler de ces projets ?
Bonnard, Pierre et Marthe est réalisé par un metteur en scène, Martin Provost, dont j’adorais les films, et le rôle qu’il m’a proposé était en or. Pour la série sur Balenciaga, on m’a demandé de jouer Coco Chanel, et c’était passionnant de me plonger dans sa biographie, sa psychologie. C’était délicieux de porter ses tenues luxueuses, ses bijoux, ses chapeaux. J’aime qu’on joue à la poupée avec moi, quand les gens ont du talent.
Vous avez joué dans deux immenses succès publiques et critiques : La Nuit du 12 (2022) et L’Innocent (2022) de Louis Garrel. Vous attendiez-vous à de tels retours ?
Bien sûr que je ne m’attendais pas à ces succès, mais je savais, en faisant ces films, qu’on tournait de bons films. Tout était réuni pour ça. Les metteurs en scène étaient talentueux, les scénarios merveilleux, les rôles, les acteurs, les techniciens, de haut vol. J’ai eu la chance de joue au même moment dans un film grave, féministe, traversé par une noblesse et dans un film foutraque, rock’n’roll, très joyeux. J’ai été comblée par le cinéma, après m’en être un peu éloignée. La vie est bien faite, parfois.
“Il y a des peintures qui éclatent de joie, d’autres plus sombres et c’est le mélange des deux qui fait mon identité.” Anouk Grinberg
Vous avez récemment pris la parole à propos de Gérard Depardieu. Qu’est-ce qui vous a convaincue que c’était le moment de le faire ?
Comme je l’ai dit dans l’interview du Elle, je ne pouvais plus continuer de me taire alors que j’en savais long. Charlotte Arnould (l’actrice qui accuse Gérard Depardieu de viol, ndlr) avait besoin de soutien, bien qu’elle ne m’ait rien demandé.
En décembre 2023, vos peintures ont fait l’objet d’une exposition, à la galerie GNG, à Paris. Pouvez-vous nous parler d’elles ?
Elles sont toutes nées d’émotions très différentes. Il y a des peintures qui éclatent de joie, d’autres plus sombres et c’est le mélange des deux qui fait mon identité. Il y aura des pastels, de l’encre de chine, de l’huile, des broderies. C’est l’inverse d’une exposition à thème. J’ai eu envie qu’un dessin vienne contredire un autre, non pas pour chahuter pour le plaisir, mais parce que ce chahut est ma musique intérieure. Tout cohabite en moi. Ce qui est étonnant avec la peinture, c’est que des dessins graves se font dans la joie, et des broderies lumineuses se font au-dessus d’une rivière de questions. Même si les peintures sont intimes, ce n’est pas pour autant un journal intime.
Où puisez-vous votre inspiration pour ces créations picturales ? D’où viennent ces créatures, de rêves?
Pour moi, ce ne sont pas des créatures de rêve. C’est assez réaliste. Je peins d’après ce que je vois des autres, ce qui me traverse. J’ai la chance d’avoir un accès assez direct aux émotions enfouies et de pouvoir les transposer sur papier ou sur tissu, sans pour autant délivrer de message. L’inspiration, c’est la vie.
“Je suis une éponge : ce qui arrive aux autres m’arrive par de drôles de biais. Je peins souvent les gens, pas la façade, mais le dedans.” Anouk Grinberg
Qu’est-ce que vos dessins (à la fois ludiques et inquiétants) disent de vous, de votre personnalité et de votre vie ?
Ils disent une soif de lumière, l’amour de la vie, l’effort de vivre. Ils disent beaucoup de silence emmagasiné. Mais je pourrais retourner votre question : qu’est-ce que ces dessins disent de vous, de vos personnalités ? Je suis une éponge : ce qui arrive aux autres m’arrive par de drôles de biais. Je peins souvent les gens, pas la façade, mais le dedans.
Vous réalisez des pastels, encres, aquarelles et broderies. Quelle est votre technique préférée ?
Je ne saurai pas dire. Il y a des moments où je ne fais que des pastels, d’autres où je me coltine l’encre noire, puis, pendant des mois, c’est l’aquarelle. J’aime tout et je découvre tout. Je n’ai pas été à l’école. Je le vis comme une chance.
Quelles sont vos influences artistiques ?
J’aime Dubuffet, Matisse, de Staël, Monet, Ernest Pignon-Ernest, Giacometti et l’art brut.
Quand avez-vous commencé à peindre ?
Je peignais depuis l’enfance mais je me suis mise à peindre vraiment il y a 20 ans, c’est à dire avec liberté, instinct. C’est devenu un travail. J’ai appris la liberté grâce à des gens extraordinaires qui se sont intéressés à mon travail, et l’ont fait évoluer vers plus de sauvagerie. N’ayant fait aucune école, je n’ai pas eu à lutter contre des formatages ou des modes.
La série Cristóbal Balenciaga (2024), disponible sur Disney+. L’Innocent (2022) de Louis Garrel, avec Anouk Grinbert et Roschdy Zem, diffusé sur Arte le 23 octobre 2024.