20 mai 2025

Cannes 2025 : que vaut Alpha, le film de Julia Ducournau qui divise le festival ?

Présenté en compétition, Alpha, le nouveau film de Julia Ducournau, Palme d’or avec Titane, réunit Tahar Rahim et Golshifteh Farahani dans un monde en proie à une épidémie. Un film intense et féroce.

  • par Olivier Joyard.

  • Publié le 20 mai 2025. Modifié le 22 mai 2025.

    Le retour de Julia Ducournau à Cannes

    À voir l’ambiance électrique lors de la présentation à la presse de Alpha, le troisième long-métrage de Julia Ducournau après Grave en 2016 et Titane, Palme d’or surprise en 2021, on se disait que la cinéaste française était attendue au tournant. Devant son film, on a plutôt ressenti l’inverse : c’est elle qui nous attendait au tournant. Tandis qu’elle met au défi les spectateurs de rentrer à nouveau dans ses folies, encore plus sombres. Pour beaucoup, Alpha a dépassé les bornes, frôlant l’overdose confusionniste. Pour d’autres dont nous faisons partie, c’était un moment fort. Étrange, parfois éprouvant, mais fort.

    Situé à la fin des années 1980 dans une France à la fois palpable et imaginaire, Alpha raconte l’histoire d’un noyau familial dysfonctionnel, en pleine épidémie mortelle qui transforme les malades en statue marbrées – une référence évidente aux gisants, les sculptures funéraires chrétiennes. Alpha (Mélissa Boros) est une ado de 13 ans, pâle et agitée, dont la mère médecin (Golshifteh Farahani) s’occupe de patients atteints par ce mal. Quand la jeune fille se fait tatouer le bras en secret, la plaie s’infecte, laissant craindre une contamination par le mystérieux virus, celui que son oncle toxicomane (Tahar Rahim) a contracté dès les débuts de l’épidémie.

    Alpha, entre uchronie et épidémie

    Née en 1983, Julia Ducournau s’attaque indirectement (et sans la nommer) à une époque qu’elle n’a pas vraiment connue, celle de l’émergence du SIDA, quand non seulement la maladie restait incurable, mais les personnes atteintes se voyaient traitées avec mépris et cruauté. Le film évoque également la pandémie de Covid 19, le malaise collectif qui s’est emparé de sociétés pourtant “civilisées”, regardant à quel point ce moment a bouleversé nos intimités, et parfois nos corps.

    Il n’y a pas de visée sociale directe dans Alpha et très peu de politique au sens classique, ce qui peut se révéler un problème quand on sait à quel point justement, l’épidémie de SIDA a toujours été politique, touchant d’abord des populations minorisées et fragilisées, homosexuels et drogués. Julia Ducournau l’évoque du bout des lèvres, mais son film se déploie ailleurs, dans le chaos d’existences rongées par les liens peut-être trop puissants. La cinéaste filme sa jeune héroïne presque comme un virus elle-même : le bouleversement hormonal qu’elle subit contamine le monde, qui en retour, immisce en elle son chaos.

    Un drame familial qui secoue

    C’est toujours de cela dont il s’agit dans le cinéma de Julia Ducournau : comment les désirs sont à la fois explosifs et contraints par des normes, familiales notamment, venues de la société en tous les cas. L’expérience singulière d’Alpha est de raconter cette histoire finalement assez banale avec une fureur musicale et visuelle de tous les instants. La cinéaste renonce à construire des scènes, mais façonne de petites cérémonies intenses, dont personne ne sort indemne. Le bruit et de la fureur ne s’arrête presque jamais de tournoyer. Pour aller où ?

    Certains diront nulle part. Mais là où le film nous touche, c’est en atteignant le cœur battant ou au contraire dur comme la pierre de ses personnages, dans un mouvement de va-et-vient très déstabilisant et souvent fascinant. Alpha accompagne son trio dans un processus de deuil géant qui les concerne directement, à travers le destin du frère joué par Tahar Rahim, mais touche aussi toutes les sphères de la réalité. Julia Ducournau transforme le monde en une entité qui déborde d’amour, de haine et de mort. Elle n’aura probablement pas la Palme d’or une seconde fois, mais c’est à peu près le dernier de nos soucis. Elle n’a lâché sur rien, c’est l’essentiel. À prendre ou à laisser.

    Alpha est présenté en compétition au Festival de Cannes. Sortie en salles le 20 août 2025.