23 sept 2025

Le réalisateur Paul Thomas Anderson en 5 obsessions

De Boogie Nights à Licorice Pizza, le réalisateur américain de 55 ans n’a cessé de sonder les obsessions américaines. Et ses films se nourrissent de figures ambivalentes : gourous, personnages excessifs, violents ou errants dans une Amérique fracturée et au bord du précipice. Alors que son nouveau film, Une bataille après l’autre, porté par Leonardo DiCaprio et Teyana Taylor, sort au cinéma ce mercredi 24 septembre 2025, Numéro revient sur cinq motifs qui structurent l’œuvre de Paul Thomas Anderson.

  • Par Alexis Thibault.

  • Paul Thomas Anderson revient avec un nouveau film

    Au cinéma le 24 septembre 2025, Une bataille après l’autre s’érige en fresque contemporaine. Celle d’un père en quête de rédemption, dans une Amérique fracturée à l’extrême. Le ton facétieux et paradoxalement acéré, déjà perceptible dans la bande-annonce, dessine une sorte de comédie noire où la traque d’un passé en sursis devient vertigineuse.

    Avec ce dixième long-métrage – qui survient quatre ans après Licorice Pizza (2021) – Paul Thomas Anderson, auréolé de cette nouvelle ardeur formelle, impose une odyssée obsédante, à mi-chemin entre le thriller mythologique et une mise en scène pulsionnelle, creusant toujours davantage le sillon de ses vérités intérieures.

    On y retrouve, comme dans There Will Be Blood (2007), la pulsion d’un homme confronté à ses idéaux brisés, ici porté par Leonardo DiCaprio, à la fois fugitif et résolu, dans ce qui apparaît déjà comme l’un des films les plus ambitieux du cinéaste. Il tisse cette fois un récit où l’ennemi renaît après seize ans, forçant un groupe d’anciens révolutionnaires à se réunir pour sauver une enfant, dévoilant la fragilité et la résilience des liens familiaux. Retour sur cinq obsessions du cinéaste américain.

    La bande-annonce d’Une bataille après l’autre (2025) de Paul Thomas Anderson.

    Un réalisateur met en scène des gourous et leurs communautés

    Il y a toujours, dans le cinéma de Paul Thomas Anderson, une fascination pour ceux qui parlent plus fort que les autres. Exemple immédiat avec The Master (2012), où Philip Seymour Hoffman incarne Lancaster Dodd, chef spirituel dont le verbe hypnotise et dont l’autorité rassure. Beaucoup y verront un lien direct avec l’Église de scientologie, ce que le cinéaste américain démentira toujours.

    Cette figure du guide et d’une Amérique avide de croyances nouvelles n’est jamais dénuée d’ambivalences. Une dizaine d’années auparavant, dans Magnolia (1999), Tom Cruise incarnait déjà un gourou toxique aussi fascinant qu’écœurant. Car Paul Thomas Anderson filme le pouvoir de persuasion comme une mise en scène à part entière : regards fixes, silences pesés, dialogues presque incantatoires. Comme le notait The Guardian à la sortie du long-métrage : “l’influence y devient un spectacle en soi.

    Au fond, le réalisateur questionne moins les dérives sectaires que la mécanique du charisme. Ses gourous reflètent une société dans laquelle on cherche désespérément un maître à penser, un récit collectif. Le cinéma sert alors de révélateur : qui regarde qui, et, surtout, pourquoi ?

    La bande-annonce de The Master (2012) de Paul Thomas Anderson.

    Filmer la solitude et l’isolement

    Rien n’est plus central dans son œuvre que la solitude, fêlure intime qui traverse chaque film. Dans There Will Be Blood (2007), Daniel Plainview – campé par le légendaire Daniel Day-Lewis – achève sa course, écrasé par sa propre ambition, prisonnier d’un manoir sans héritiers. “La désolation fondamentale du capitalisme américain,” comme l’écrivait alors The Washington Post.

    Mais la solitude ne se limite pas à l’isolement physique. Dans Punch-Drunk Love (2002), Adam Sandler incarne cette fois un homme prisonnier de ses pulsions et de sa timidité maladive. Le film se joue alors des silences et des éclats, révélant l’incapacité à trouver une place dans un monde saturé de normes sociales.

    Paul Thomas Anderson accentuera ce sentiment en enfermant ses personnages, perdus au milieu d’espaces trop grands. La solitude devient une condition plus qu’un état, et le spectateur est invité à reconnaître ses propres fractures.

    La bande-anonce de Punch-Drunk Love (2002) de Paul Thomas Anderson.

    Une fascination pour l’excès dans le cinéma

    Tout chez Paul Thomas Anderson déborde. Jusqu’à ses travellings qui semblent ne jamais vouloir s’arrêter. Dans Boogie Nights (1997), la fresque de l’industrie pornographique des années 1970 se déploie évidemment comme une orgie. Mais de couleurs, de musique et de cocaïne.

    Cet excès est narratif autant que visuel. Magnolia accumule les destins brisés et les séquences musicales. Au lieu d’une cacophonie, le réalisateur américain embrasse cette démesure comme la seule forme possible pour raconter des vies en crise. Un cinéma de la surenchère maitrisée.

    Même les films plus doux, comme Licorice Pizza (2021), respirent une énergie démesurée. Courses folles dans les rues de Los Angeles, emballements adolescents : l’excès s’y exprime cette fois comme une évocation de la vitalité. Des personnages incapables de se contenir, le reflet d’une Amérique qui n’a jamais appris la mesure.

    La bande-annonce de Boogie Nights (1997) de Paul Thomas Anderson.

    La violence à travers la caméra

    La brutalité innerve chaque film, parfois tapie, parfois éclatante. Dans There Will Be Blood (2007), l’affrontement final entre Daniel Day-Lewis et Paul Dano se clôt dans le sang et le délire. Une violence légitime et inévitable de la conquête économique. Mais Paul Thomas Anderson sait aussi travailler la menace souterraine. Dans Punch-Drunk Love (2002), la rage contenue du héros éclate par moments, révélant la part d’agressivité qui irrigue son quotidien.

    Cette violence n’est pas seulement individuelle : elle se déploie dans les institutions, les familles, les communautés. Ainsi, Inherent Vice (2014), porté par Joaquin Phoenix, montrera une Amérique paranoïaque, traversée de brutalités diffuses, policières ou politiques. Jamais la violence ne sera un accident, faire couler le sang n’est qu’un mode de fonctionnement national…

    La bande-annonce de Licorice Pizza (2022) de Paul Thomas Anderson.

    L’Amérique et, par extension, l’american dream

    Plus qu’un décor, l’Amérique reste, finalement, le véritable personnage de son cinéma. Dans There Will Be Blood (2007), l’histoire du pétrole devient parabole du capitalisme naissant. Boogie Nights (1997) dresse le portrait d’une Californie où sexe et argent dictent les règles. Licorice Pizza (2021) capture la jeunesse post-Vietnam, hésitant entre innocence et cynisme.

    Chaque époque filmée par Anderson révèle un pays à la fois familier et déformé. The Master (2012) raconte l’Amérique spirituelle de l’après-guerre, avide de nouvelles croyances. Magnolia (1999) ausculte la vallée de San Fernando comme un laboratoire des névroses contemporaines.

    The New York Times est peut-être le média qui a le mieux défini le travail de Paul Thomas Anderson. Un réalisateur qui construit une “cartographie des fractures américaines”, un puzzle où le rêve et la désillusion cohabitent. Une nation au bord de l’effondrement.

    Une bataille après l’autre de Paul Thomas Anderson, au cinéma le 24 septembre 2025.