Que vaut le nouveau film de Paolo Sorrentino, La Main de Dieu, diffusé sur Netflix ?
Le cinéaste italien Paolo Sorrentino, à qui l’on doit les remarqués La grande bellezza et Youth, signe son film le plus personnel et le plus napolitain, La Main de Dieu. Mais a-t-il été touché par la grâce lors de cet exercice périlleux de mise en abyme d’un drame intime mâtinée de farce burlesque ?
Par Violaine Schütz.
« La beauté sera convulsive ou ne sera pas.« La formule si galvaudée du surréaliste André Breton ne l’est plus lorsqu’il s’agit de qualifier le cinéma flamboyant, outrancier et débordant de Paolo Sorrentino. Le réalisateur à qui l’on doit les remarqués La grande bellezza (2013) et Youth (2015) ne laisse jamais les spectateurs indifférents avec ses personnages étranges et ses scènes dignes de tableaux souvent provocantes. Il en va de même pour son nouveau film, disponible sur Netflix depuis le 15 décembre, La Main de Dieu. Contrairement à ce que son titre – référence à un fameux but de Diego Maradona – laisse entendre, il ne s’agit pas d’un biopic sur le meilleur joueur de football au monde. Le réalisateur y raconte en réalité un moment clé de son adolescence à travers un alter ego fictif, Fabietto Schisa (incarné par l’impressionnant Filippo Scotti, sosie méditerranéen de Timothée Chalamet), dont le destin croise celui du génie du foot, transféré à Naples au moment où Fabietto vit ses premiers drames avant de s’éveiller à la sensualité (et à la vie).
Dans cette fresque nostalgique à l’esthétique léchée qui dure plus de deux heures, Paolo Sorrentino nous plonge dans la Naples festive et bigarrée des années 80. Un adolescent mal dans sa peau évolue comme il le peut dans une famille excentrique et politiquement incorrecte. Jusqu’à ce qu’un drame surgisse… Ce n’est pas un mais deux films que le cinéaste donne à voir. Dans la première partie, un foyer joyeux s’écharpe gentiment dans des banquets truculents où l’on croise une tante nymphomane sublime et une grand-mère à la fois digne et revêche qui aime déguster sa bufala à même la main. Dans la deuxième, la chronique colorée pleine de fantaisie laisse place à une errance mélancolique et onirique à travers Naples. L’alter ego du cinéaste y apprend à (sur)vivre, aimer et surtout découvre ce qu’il veut faire une fois grand : réaliser des films.
Il y a du Pier Paolo Pasolini, du Peter Greenaway, du Pedro Almodóvar, du Bernardo Bertolucci, du David Lynch et du Federico Fellini (on pense beaucoup à l’immense Amarcord) dans ce film épique, sensuel et poignant récompensé par un Lion d’argent à la Mostra de Venise, mais surtout du Paolo Sorrentino (en version sobre). Et aussi le charme de la commedia dell’arte et toute l’intensité du tempérament passionné de l’Italie, cette contrée où on rit fort autant qu’on pleure à chaudes larmes. Moins show-off, esthétisant et agaçant que ses précédents long-métrages, La Main de Dieu se concentre sur des détails, que ce soit la tendresse qui se glisse dans une étreinte fraternelle ou la force du regard d’un ami avec qui on improvise une baignade nocturne. La grande histoire (un tournage de Fellini, une apparition de Maradona) croise la petite pour aboutir à un film poétique, incandescent et violent sur l’amour, la (re)construction, le septième art et la quête de sens. Le cinéaste explique pourquoi on devient artiste et ce qui fait naître chez un jeune homme le besoin viscéral de mettre en scène des histoires, à commencer par la sienne. Et la maestria de cette démonstration égale celle de Maradona devant un ballon rond.
La Main de Dieu (2021) de Paolo Sorrentino, disponible sur Netflix.