Rencontre avec Camille Razat, l’héroïne très mode d’Emily in Paris
Révélée grâce à la série culte Emily in Paris, où elle incarne la Parisienne par excellence et la meilleure amie de l’héroïne, son audace et son magnétisme ont placé Camille Razat sous le feu des projecteurs. Alors qu’elle est à l’affiche du film Prodigieuses (2024) de Frédéric et Valentin Potier, en salles ce mercredi 20 novembre 2024, cette étoile montante du cinéma, amie de la maison Fendi, s’est confiée à Numéro sur ses projets et ses désirs avec la spontanéité et le franc-parler qui la caractérisent. Rencontre.
“Ce serait quoi, être française… fumer, par exemple ?” [rires] s’amuse-t-elle en prenant une cigarette. Camille Razat incarne pourtant une image mainstream de la jeune Française dans Emily in Paris, le carton mondial imaginé par Darren Star, qui fut aussi le créateur de Sex and the City. Celle dont le visage et le jeu plein d’énergie nous sont devenus familiers y interprète… Camille, une proche d’Emily, l’héroïne américaine de la série.
Fille de propriétaires en Champagne, sophistiquée et parfois arrogante, châtelaine et cœur d’artichaut à ses heures perdues, Camille personnifie un art de vivre à la française, parfois compassé et néanmoins séduisant. L’intéressée sait bien que la réalité se déploie autrement. Elle trace le portrait-robot de la French woman – et de la Parisienne en particulier – comme un être “multifacette”, cite une lignée qui irait de Jane Birkin à Jeanne Damas pour expliquer comment sont perçues les femmes de l’Hexagone.
L’interview de Camille Razat, actrice phare de la série Emily in Paris
Alors que nous rencontrons l’actrice dans son appartement parisien au décor épuré, elle s’apprête à tourner la quatrième saison de la saga débutée en 2020. À cette époque, Camille Razat fut la première à être choisie. “J’ai passé six auditions, dont une avec 40 degrés de fièvre… La dernière a été un Zoom avec Darren Star, qui me donnait des directions pour voir si je comprenais bien l’anglais et si j’étais capable d’adapter mon jeu.”
Car, explique avec franchise celle qui fête ses 30 ans cette année, “je ne peux pas me permettre de proposer trop de choses, je dois respecter l’esprit de la série”. Elle fait d’Emily in Paris, qu’elle appelle “un bonbon de pop culture”, une analyse assez juste.“ Ce qui est intéressant, c’est que la série vend du rêve. Faire autant d’audience, c’est compliqué. Alors il y a la mode, le décor de Paris, l’attrait de la légèreté. Il ne faut pas oublier qu’on était en période de Covid quand elle a commencé. En plus, ça parle d’amour.” Avant de constater avec humour : “Les gens adorent la détester, ça, c’est très français !”
“Je suis directe, un peu brute de décoffrage. En Californie, c’est compliqué.” Camille Razat
Camille Razat sortira un jour d’Emily in Paris. Elle le sait. Une carrière l’attend. Elle se souviendra d’années marquées par la pandémie – qui a rendu certains moments du tournage difficiles –, des retards dus à la grève à Hollywood l’an dernier. Pour une série a priori si éloignée des contingences du réel, ce n’est pas anecdotique. Comme si la vraie vie ne pouvait s’empêcher de pointer son nez. Une vraie vie, au sens large, que la comédienne appréhende avec un franc-parler rare dans son métier. Il y a quelques années, elle s’était installée plusieurs semaines à Los Angeles, pour préparer la série qui allait la faire connaître. “Eh bien, ça ne m’a pas rendue heureuse du tout. Je ne comprends pas comment les gens là-bas fonctionnent. Je suis directe, un peu brute de décoffrage. En Californie, c’est compliqué.”
Lors de séjours plus récents, la jeune comédienne a rencontré des agents pour envisager des rôles internationaux, sans se jeter pour autant dans la gueule du loup. “Je n’ai pas encore croisé un agent américain qui fasse autre chose que me brosser dans le sens du poil. J’ai besoin de sentir une personne exigeante qui saura me dire les choses, car personne ne m’attend. Des actrices comme moi, il y en a plein. On est à Hollywood… J’avais rencontré un manager assez connu. Il m’avait dit : ‘Je vais t’expliquer l’industrie. Tu as 28 ans, il te reste deux ans.”
“Il faut un peu d’ego pour ne pas se faire marcher dessus, mais j’aime voir la satisfaction qui anime un réalisateur ou une réalisatrice qui obtient ce qu’il ou elle veut.” Camille Razat
Quand elle a commencé à poser devant l’objectif des photographes, Camille Razat avait… tout juste 3 ans. Une enfance à Montberon, près de Toulouse, puis une adolescence dans la Ville rose après la séparation de ses parents, le tout rythmé par des sollicitations professionnelles. “J’ai travaillé toute ma vie. J’ai été prise dans une agence de mannequins à Paris à 15 ans. Je faisais des allers-retours, je ratais des cours, et j’ai fini par m’y installer seule à 18 ans. Mais le mannequinat, je n’étais pas vraiment calibrée pour, car je ne suis ni très maigre ni très grande. Et à l’époque, ça avait vraiment son importance.”
On pourrait raconter la belle histoire d’une vocation contrariée qui a fait d’elle une actrice, mais Camille Razat s’inscrit en faux. “Longtemps, j’ai voulu être reporter de guerre. J’ai toujours eu un goût pour l’adrénaline et la lutte contre l’injustice. Ce dont j’avais envie, c’était d’évasion. J’adorais le sport, l’équitation. C’était un désir de construction dans ma vie. J’étais aussi passionnée de photo.”
À sa majorité, Camille Razat passe le concours des Gobelins (grande école de graphisme, de vidéo et de photographie). Admise, elle n’y mettra pourtant jamais les pieds. “Pour travailler mon éloquence, je me suis inscrite à des cours de théâtre. Et là, je me suis dit : ‘Mince, je suis coincée, je crois que j’aime trop ça.’” Elle passe trois ans au Cours Florent et commence à travailler. “Je ne sais pas d’où vient le fait de percer. J’ai croisé beaucoup de comédiens superbes, plus doués que moi techniquement, qui ne bossent pas. Moi, j’ai beaucoup travaillé car j’avais des lacunes. Mais il y a des choses non maîtrisables, une singularité, un charisme, une voix, tu l’as ou tu l’as pas. Devenir actrice n’a pas été un choix conscient, mais quand je jouais, plus rien n’existait. J’avais trouvé un truc où le temps s’arrête.”
“J’ai eu un choc cinématographique avec Cassavetes et un choc d’actrice avec Gena Rowlands.” Camille Razat
Il n’y a pas eu qu’Emily in Paris dans la vie de Camille Razat. La comédienne a aussi attiré les regards dans la série Disparue, croisé la route de Josée Dayan, foulé les planches en solo pour la pièce d’Amanda Sthers Le Vieux Juif blonde, sous la direction de Volker Schlöndorff. Elle y interprétait six rôles – “C’est là où j’ai appris le plus, de loin.” Aujourd’hui, elle n’a pas encore rencontré le réalisateur ou la réalisatrice qui la transformerait.
Elle dit son amour des films de Yórgos Lánthimos, de Ruben Östlund ou encore de Nicolas Winding Refn, “pour des raisons esthétiques”. Elle évoque, parmi les figures qu’elle admire, Emma Stone, Golshifteh Farahani, Alicia Vikander et, historiquement, l’impériale Gena Rowlands. “J’ai eu un choc cinématographique avec Cassavetes et un choc d’actrice avec Gena Rowlands. À chaque fois qu’elle apparaît, il y a quelque chose de possédé, une certaine violence, une intensité, comme si c’était une question de vie ou de mort. En même temps, elle est très juste. J’adorerais jouer comme ça, être suffisamment libre pour ça.”
Une actrice très mode
Être libre ne se commande pas, mais s’apprend peut-être. Et se provoque. Alors Camille Razat cherche. Elle a tourné un film sur les sœurs Pleynet, deux pianistes atteintes d’une maladie orpheline. Elle jouera prochainement dans une série pour Disney + (créée par Virginie Sauveur) une enquêtrice aux prises avec un fait divers au long cours. Elle a créé sa propre maison de production pour lancer des projets qui la font vibrer.
Toujours lookée, elle s’intéresse de près à la mode, comme son rapprochement récent avec Fendi l’a montré. “J’apprécie leurs vêtements intemporels, pas vraiment démodables. Peu de maisons savent faire cela : on peut prendre une collection de 1994 et la mettre aujourd’hui, ça marche. J’aime leurs pièces assez sculpturales.”
De nouveaux tournages viendront encore, où Camille Razat mettra à profit sa conception lucide du métier d’actrice. “Je ne surintellectualise pas, ce qui me rend malléable. Je n’ai aucun problème à être considérée comme un outil de narration. Il faut un peu d’ego pour ne pas se faire marcher dessus, mais j’aime voir la satisfaction qui anime un réalisateur ou une réalisatrice qui obtient ce qu’il ou elle veut. Cela ne veut pas dire que je ne serai pas force de proposition, au contraire, mais je ne me place pas plus haut.”
La saison 4 d’Emily in Paris (2024), disponible sur Netflix. Prodigieuses (2024) de Frédéric Potier et Valentin Potier, avec Camille Razat et Mélanie Robert, au cinéma le 20 novembre 2024.