18 juil 2019

Les cinq vies de Béatrice Dalle

Connue pour son franc-parler, sa voix rauque et ses innombrables tatouages, Béatrice Dalle est une comédienne iconoclaste. Du 20 au 30 octobre, elle revient sur les planches des Folies Bergères avec la pièce “Elephant Man” mise en scène par David Bobée, aux côtés de son camarade de toujours JoeyStarr.

Quand elle rit, sa tête se penche vers l’arrière, ses cheveux noirs volent autour de son visage et l’on aperçoit ses dents, jusqu’aux molaires, révélant un sourire reconnaissable entre mille. On les appelle les dents du bonheur, celles qui ne sont pas parfaites mais charismatiques. Celles entre lesquelles Béatrice Dalle souffle des obscénités, des surnoms cocasses ou des mots d’amour. Cette icône du cinéma d’auteur – presque toujours vêtue de noir et affublée de croix autour du cou – revient secouer les théâtres français avec l’adaptation de la pièce Elephant Man de Bernard Pomerance, mise en scène par David Bobée. En attendant de la voir sur scène aux côtés de JoeyStarr, son éternel complice, retour en images sur la carrière de Béatrice Dalle, une comédienne aussi talentueuse qu’insaisissable.

Béatrice Dalle et Jean-Hugues Anglade dans 37°2 le matin de Jean-Jacques Beneix (1986).

Le fantasme Dalle

En 1986, le réalisateur Jean-Jacques Beneix offre à la jeune Béatrice Dalle son premier grand rôle au cinéma. Aux côtés de Jean-Hugues Anglade, devenu son ami depuis, elle est à l’affiche de 37°2 le matin. Pour ce film, l’actrice que rien n’impressionne monte les marches de Cannes et émeut tout une génération d’hommes et de femmes perdus dans leur quête de libération sexuelle. 37°2 le matin s’ouvre sur trois minutes de sexe intense puis s’étend sur trois heures de sensualité langoureuse, qui révèlent au monde les talents de comédienne de Béatrice Dalle.

Betty, son personnage, crève l’écran : on s’émerveille de sa beauté, de ses formes, de sa bouche pulpeuse et on se laisse envoûter par son regard sulfureux. 37°2 le matin inonde les postes télévisés et les scènes de sexe dérangent les parents tranquillement assis à côté de leurs enfants préadolescents. Béatrice Dalle devient le fantasme de tous : on parle d’elle outre-Atlantique, les producteurs hollywoodiens cherchent à la contacter, mais, d’après Jean-Jacques Beneix, l’actrice “passe à côté avec une forme de désinvolture incroyable”.

Béatrice Dalle par Juergen Teller pour le magazine Man about Town, Paris, 2017.

Un personnage qui divise

Si Béatrice Dalle est un nom qui revient souvent à la bouche des cinéphiles, il est aussi de ceux qui divisent dans les repas de famille. Trop “provoc” pour certains, “géniale” pour d’autres, l’actrice ne fait pas l’unanimité, et loin d’elle l’envie de cultiver une image lisse. Ce que Béatrice Dalle pense, elle le dit, le scande, sur les plateaux TV, dans les colonnes de journaux ou sur les réseaux sociaux.

Celle qui sera bientôt à l’affiche du dernier Gaspar Noé, Lux Æterna, est une actrice brillante. Elle donne sans compter aux cinéastes, au public, aux journalistes… L’actrice s’est relevée sans cesse des coups que la vie lui a asséné, s’est défoncée à s’en dégoûter, a aimé jusqu’à se déchirer, a répondu de tout ce dont on l’accusait. À 15 ans, Béatrice Dalle s’enfuit de chez ses parents et prend le large pour échapper à cette vie monotone qui la prédestine. Elle débarque alors à Paris, jeune et ambitieuse, prête à en découdre avec la vie.

Béatrice Dalle dans Trouble Every Day de Claire Denis (2001).

Claire Denis, la “femme de sa vie”

Condamnée pour usage de stupéfiants, accusée de vol de bijoux… Béatrice Dalle est souvent au cœur des polémiques. En 2016, alors que l’on n’entend peu parler d’elle, l’actrice déclare avoir mangé un morceau de cadavre dans sa jeunesse. Cette anecdote, racontée à la légère sur un plateau TV, n’est pas sans faire penser au film de Claire Denis qui l’a consacrée, Trouble Every Day. Nous sommes en 2001. L’incandescente Béatrice Dalle est à l’affiche du nouveau film de Claire Denis. Présenté hors compétition à Cannes, Trouble Every Day provoque un tôlé : évanouissements, dégoût et huées parcourent le public qui découvre le film pour la toute première fois. C’est bel et bien un sort que Claire Denis a jeté sur les spectateurs.

Elle met en scène deux comédiens merveilleux, dont les parcours ne se croisent presque jamais – Vincent Gallo et Béatrice Dalle – dans une fable maléfique qui enferme les spectateurs dans une sombre histoire de cannibalisme. Chacun des deux personnages imaginés par la réalisatrice est en proie à des pulsions sexuelles violentes qui s’achèvent par le meurtre de leurs partenaires respectifs.

Finalement, le thème central du film est celui du rapport dominant-dominé dans des relations amoureuses tourmentées, où Béatrice Dalle crève encore une fois l’écran. Elle laisse un souvenir impérissable, presque sans dire un mot, en s’abandonnant toute entière dans ce rôle qu’on croit taillé pour elle. Aujourd’hui, l’actrice aux 84 longs-métrages affirme que Trouble Every Day de Claire Denis est son film préféré. Et beaucoup partagent cet avis.

L’une joue et l’autre filme

Il est des chemins qui sont faits pour se croiser… Ceux de Virginie Despentes et de Beatrice Dalle en font partie. La première est écrivaine et réalisatrice, la seconde est comédienne. Alors, quand elles se rencontrent, la collaboration est inévitable : en 2012, Virginie Despentes filme son amie dans Bye-bye Blondie, une adaptation de son roman éponyme sorti huit ans auparavant. Béatrice Dalle excelle dans le rôle de Gloria, une ancienne punk alcoolique passée par l’hôpital psychiatrique, follement amoureuse de Frances, la présentatrice vedette d’une émission de télévision.

Il y a deux ans, les deux amies ont imaginé un projet commun : écumer les salles françaises pour y produire des lectures musicales. Béatrice Dalle et Virginie Despentes sont montées sur les planches pour rendre hommage à un réalisateur qu’elles admirent : Pier Paolo Pasolini. Sur scène, les deux femmes sont à la fois différentes et tout à fait identiques : l’une blonde et l’autre pas, carrures impressionnantes, poches sous les yeux et tatouages sur les bras. D’ailleurs, sur celui de Béatrice Dalle, on aperçoit cette phrase : “Mon indépendance qui est ma force induit ma solitude qui est ma faiblesse”. On la doit à P.P.P (Pier Paolo Pasolini).

JoeyStarr et Béatrice Dalle sur l’affiche de la pièce Elephant Man par Jean-Baptiste Mondino.

La révélation sur les planches

Béatrice Dalle et JoeyStarr (Didier Morville, de son vrai nom) ont vécu une idylle orageuse pendant dix ans. Aujourd’hui, les deux anciens amants vivent séparés. Chacun a refait sa vie : JoeyStarr, depuis, a eu deux enfants d’une autre femme et Béatrice Dalle enchaîne les grands rôles sur les planches. Avec le metteur en scène David Bobée, elle fait ses premiers pas au théâtre dans Lucrèce Borgia en 2014. Quatre ans plus tard, la comédienne revient et enflamme Avignon lors d’un feuilleton théâtral sur les questions de genre, toujours accompagnée de son amie Virginie Despentes et encore dirigée par le bienveillant David Bobée.

Dans la vie de Béatrice Dalle, plane toujours l’ombre complice de son ancien compagnon, JoeyStarr. Les deux acolytes, aussi tatoués et embijoutés l’un que l’autre, sont réunis aux Folies Bergères cet automne sous l’égide du même metteur en scène. Ensemble, ils sont à l’affiche de la pièce Elephant Man, et redonnent vie, le temps d’une tournée, à ce couple sulfureux des années 2000 : Morville-Dalle, le rappeur qui “nique la police” et l’actrice qui surnomme “cafard” tous les gens qu’elle aime. Espérons que la pièce saura, comme ses protagonistes, briser tous les carcans.