21 mai 2025

Laurent Lafitte, star du Festival de Cannes : “Être constamment dans la séduction ne raconte rien”

À 51 ans, Laurent Lafitte s’impose comme l’un des acteurs les plus audacieux et singuliers du cinéma français. Cette semaine, au Festival de Cannes, il crève l’écran dans La Femme la plus riche du monde, une comédie dramatique inspirée de l’affaire Bettencourt dans laquelle il campe un personnage extravagant, manipulateur et théâtral face à Isabelle Huppert. Également à l’affiche du long-métrage Classe Moyenne et du film d’animation Marcel et Monsieur Pagnol, il endossera dans quelques jours le rôle de maître de cérémonie pour la clôture du 78e festival. Rencontre avec un comédien plein d’esprit.

  • propos recueillis par Nathan Merchadier.

  • Acteur, réalisateur, et cette année maître de cérémonie pour les cérémonies d’ouverture et de clôture du Festival de Cannes, Laurent Lafitte (51 ans) multiplie les casquettes sans jamais perdre en justesse ni en panache. Dans La Femme la plus riche du monde, brillante comédie dramatique signée Thierry Klifa, inspirée de l’affaire Bettencourt, il incarne Pierre-Alain Fantin, un photographe flamboyant, manipulateur et très impertinent.

    Face à l’actrice Isabelle Huppert, il impressionne par ses saillies provocantes et son jeu survolté. Mais il apparaît aussi dans deux autres films montrés sur la Croisette : Marcel et Monsieur Pagnol et Classe moyenne. Lors d’une rencontre cannoise, il évoque pour Numéro ses méthodes de travail, son goût pour les personnages ambigus et sa vision du métier d’acteur…

    L’interview de Laurent Lafitte, star du Festival de Cannes 2025

    Numéro : Vous jouez dans le film La Femme la plus riche du monde, présenté au Festival de Cannes 2025. Pourquoi avoir accepté ce long-métrage ? 

    Laurent Lafitte : Honnêtement, j’aurais sans doute accepté tous les projets avec ce casting tant je suis admiratif des personnes qui y participent. Ce sont des artistes que j’aime profondément. Mais ce film m’a tout de suite séduit grâce au personnage de Pierre-Alain Fantin. Il est complètement fou, très théâtral, ce qui m’a permis d’aller loin dans la caractérisation sans jamais tomber dans la caricature. Et puis, le scénario est remarquablement bien écrit. J’aime les films avec des dialogues qui ont du relief, où l’écriture dépasse le simple naturalisme.

    Comment êtes-vous entré dans la peau de ce personnage manipulateur et séducteur, aussi extravagant que provocateur ?

    Le personnage est déjà très présent dans le scénario. Sa manière de parler, de provoquer, parfois même sa vulgarité, racontent énormément sur lui. Il m’a alors suffi de m’appuyer sur ce matériau et de trouver l’énergie juste.

    Mon nouveau personnage, c’est un peu une version camp de Bernard Tapie.” Laurent Lafitte

    Le personnage de Pierre-Alain Fantin est librement inspiré du photographe François-Marie Banier, connu pour sa relation avec Liliane Bettencourt. Comment avez-vous trouvé la bonne distance avec cette figure réelle ?

    La Femme la plus riche du monde a vraiment été imaginé comme une fiction. Bien sûr, nous partons de faits réels qui ont marqué l’actualité, mais au fond, la vérité de cette histoire, personne ne la connaît vraiment. Chacun des protagonistes a probablement sa propre version. Mon travail a donc consisté à m’éloigner du documentaire L’Affaire Bettencourt : Scandale chez la femme la plus riche du monde, diffusé sur Netflix, pour rester dans la création. Je n’ai pas voulu m’immerger dans les archives ou chercher un mimétisme absolu. Ce qui m’importait, c’était de recréer une énergie plutôt que de coller à une personne. D’ailleurs, j’ai un peu abordé ce rôle comme celui de Bernard Tapie. En m’inspirant d’un univers, d’une aura, sans chercher la copie conforme. Il y avait quelque chose de cette veine-là dans l’approche, une sorte de connivence entre les deux rôles.

    À ce propos, quels souvenirs gardez-vous du tournage de l’excellente série Tapie ?

    Le tournage de la série Tapie a été beaucoup plus long, ce qui m’a permis de vraiment m’installer dans le personnage. À la fin, tout devenait instinctif, je n’avais plus besoin d’y réfléchir. Pour Pierre-Alain Fantin, c’était différent, mais justement, c’est un personnage qu’il ne faut pas trop intellectualiser. Il faut y aller frontalement, suivre son élan. C’est peut-être ce qu’ils ont en commun, avec Bernard Tapie : ce sont des personnalités qui débarquent quelque part et qui dynamitent tout sur leur passage. Ils ont des désirs très forts, une énergie presque dévorante. Pierre-Alain Fantin, c’est un peu une version camp et plus baroque de Bernard Tapie.

    Au bout du compte, nous ne sommes qu’un maillon au sein d’une grande chaîne.” Laurent Lafitte

    Comme votre personnage, les acteurs doivent-ils toujours être dans la séduction ?

    Bien sûr, on a tous envie de plaire, mais être constamment dans la séduction ne raconte rien. Ce qui compte, en tant que comédien, c’est de donner accès à une forme d’intimité. Être sincère dans les situations que l’on incarne, c’est accepter de mettre à disposition du metteur en scène quelque chose de soi, pour rendre crédibles des situations de fiction. C’est ça, l’essentiel. Après, évidemment, je ne vais pas mentir : quand je fais un film, j’ai envie qu’il soit vu, qu’il plaise et que l’on me trouve bon dedans. Mais ce désir d’adhésion est plutôt d’ordre artistique que personnel. Je ne le confonds pas avec la séduction.

    Comment avez-vous travaillé ce rôle de composition aux côtés de l’actrice Isabelle Huppert ?

    Isabelle et moi, on avait tourné ensemble dans Elle (2016) de Paul Verhoeven. Mais à l’époque, je n’avais pas beaucoup de texte. Là, c’était différent, car j’avais enfin de vraies grandes scènes de comédie, et ça a été un bonheur absolu. Travailler avec Isabelle, c’est passionnant, parce qu’elle n’est jamais dans la psychologie à outrance. Je me souviens d’un soir où, après une journée de tournage, on dînait ensemble. J’avais quelques doutes sur une scène que l’on venait de tourner, alors je lui en ai parlé. Je lui ai dit : “Tu ne crois pas qu’on aurait dû faire autrement ?”. Elle m’a répondu : “Tu sais, moi, je fais confiance au cinéma”. Cette phrase m’a marqué. Elle m’aide encore aujourd’hui, parce qu’elle dit quelque chose de fondamental. Au bout du compte, nous ne sommes qu’un maillon au sein d’une grande chaîne. Et souvent, les acteurs sont sauvés par le cinéma…

    Cette année à Cannes, vous êtes sur tous les fronts. Vous nous avez séduit dans le long-métrage de Thierry Klifa… Mais aussi dans le film d’animation Marcel et Monsieur Pagnol. Pouvez-vous nous parler de ce projet ?

    Dans Marcel et Monsieur Pagnol, je prête ma voix à Marcel Pagnol lui-même. C’est un biopic animé réalisé par Sylvain Chomet à qui l’on doit Les Triplettes de Belleville, et récemment une séquence d’animation complètement folle dans Joker: Folie à Deux. Il a choisi de raconter l’histoire de Pagnol avec une grande liberté artistique. Je connaissais un peu l’œuvre de Pagnol, mais je dois dire que j’avais sous-estimé à quel point il a été un pionnier. Il a participé aux débuts du cinéma parlant en France, avec un désir farouche d’indépendance. Il a monté ses propres studios à Marseille pour garder une liberté totale, un peu comme Chaplin l’a fait aux États-Unis avec United Artists. À bien des égards, Pagnol, c’est notre Chaplin français. 

    Le teaser du film Classe Moyenne (2025).

    La cérémonie de clôture, c’est un peu moins stressant que celle d’ouverture, parce qu’il y a moins de discours.” Laurent Lafitte

    Et puis il y a le film Classe moyenne d’Antony Cordier, avec Élodie Bouchez, Lyna Khoudri et Ramzy Bedia… 

    J’y joue un bourgeois en vacances dans une sublime maison d’architecte dans le Gard, en couple avec le personnage joué par Élodie. On a des gardiens qui veillent sur la maison, et un jour, on décide de s’en séparer. À partir de là, tout dégénère. Le film bascule dans une forme de jeu de massacre, entre satire sociale et thriller psychologique.

    Dans quelques jours, vous serez le maître de cérémonie pour la clôture du 78e Festival de Cannes. Comment vous préparez-vous à endosser ce rôle ?

    La cérémonie de clôture, c’est un peu moins stressant que celle d’ouverture, parce qu’il y a moins de discours. Ce soir-là, ce sont vraiment les prix qui sont au centre. Et ce sont les lauréats les véritables vedettes. Mon rôle, c’est surtout d’accompagner le palmarès et de mettre en valeur les artistes qui vont être récompensés. C’est donc plus simple dans l’approche… Enfin, en théorie ! Parce qu’en réalité, je n’ai encore rien écrit. Je suis super en retard. Il va falloir que je m’y mette sérieusement !

    La Femme la plus riche du monde de Thierry Klifa, présenté hors compétition au Festival de Cannes 2025.