La face sombre de Fela Kuti dans un documentaire choc
Projeté à la Gaîté Lyrique dans le cadre du festival international des films sur la musique, “My Friend Fela” apporte un regard original sur la vie du créateur de l’afrobeat, illustre courant musical nigérian. À la fois féroce activiste et musicien de génie, Fela Kuti n’est pas exempt d’une part plus sombre et méconnue du grand public.
Par Lolita Mang.
Une silhouette longiligne vêtue d’un costume aux motifs psychédéliques enchaîne les déhanchés endiablés et les envolées de saxophone débridées. C’est ainsi que Fela Kuti a marqué les mémoires. Son nom reste peu connu du grand public, mais l’homme est incontournable dans le monde de la musique. Musicien aux multiples talents et militant féroce, il est le pionnier de l’afrobeat – un courant musical mêlant instruments traditionnels nigérians et sonorités propres au jazz et au funk. Après la publication de plusieurs biographies, la comédie musicale Fela! a même investi les planches de Broadway en 2008, raflant trois Tony Awards dans la foulée.
1. Un portrait intimiste
Le sujet semble éculé. Et pourtant… Projeté ce 15 février à la Gaîté Lyrique, dans le cadre du festival international de films sur la musique (FAME), My Friend Fela révèle une face méconnue de l’artiste d’autant que le parti pris est annoncé dès le titre de l’œuvre. Réalisé par Joel Zito Araújo, le documentaire suit le journaliste cubain Carlos Moore, ami et biographe du musicien. En rencontrant les proches de Fela Kuti, à commencer par ses amantes, ses épouses ou encore son plus jeune fils, Seun Kuti, Carlos Moore propose une approche inédite et polyvalente sur la vie de l’artiste et de l’homme politique.
“La force du film, c’est la rencontre avec des gens qui connaissaient intimement Fela”, déclare Isabel Castro, la monteuse du long-métrage. Carlos Moore vogue à la recherche des influences de la vie de Fela Kuti. Il s’échoue par exemple dans le jardin de Sandra Izsadore – qui n’est autre que la femme qui a initié le musicien au panafricanisme, un mouvement politique qui tend à unifier le continent africain. “Quand on s’est rencontrés, je lui ai demandé de quoi parlaient ses chansons. Il m’a dit qu’il écrivait sur sa soupe…, confie-t-elle à Carlos Moore en éclatant de rire. Les Noirs traversent tellement de problèmes à travers le monde, pourquoi diable chanter sur sa soupe !” Celle dont la chambre était tapissée de photographies de Malcolm X, d’Angela Davis ou de Huey Newton, fondateur du Black Panther Party, initie Fela Kuti à la lecture. Sans cela, le musicien n’aurait jamais pu affronter les forces militaires du Nigéria, armé de ses chansons.
2. La part sombre
Sorti en 1977, le single Zombie rencontre un succès sans précédent. Les paroles moquent l’armée et dénoncent la dictature du chef d’État Olusegun Obasanjo. Il n’en fallait pas moins pour déclencher la furie du despote. En février, un millier de soldats attaquent la République de Kalakuta, fief de Fela Kuti qu’il a lui-même nommé ainsi. Les femmes sont violées avec des bouteilles brisées, l’artiste est battu à de multiples reprises et sa mère, Funmilayo Ransome-Kuti, féministe de renom, est défenestrée. Le chanteur engage des poursuites à l’encontre des forces militaires… qui se soldent pas un non-lieu. Selon le gouvernement, les soldats à l’origine de l’attaque étaient “inconnus”.
L’évènement bouleverse Fela Kuti à jamais. Dans les dernières années de sa vie, le musicien se renferme sur lui-même. Malgré des tournées en Europe et aux États-Unis qui assoient son succès, le gouvernement nigérian ne cessera jamais ses attaques à l’encontre du militant. Le chanteur plonge peu à peu dans la paranoïa, persuadé d’être entouré d’agents de la CIA. Cette même paranoïa le poussera à devenir violent à son tour et à brutaliser à ses proches.