Cannes 2025 : Jodie Foster et Isabelle Huppert, deux actrices au sommet de leur art
Dans La Femme la plus riche du monde de Thierry Klifa et Vie Privée de Rebecca Zlotowski, Jodie Foster et Isabelle Huppert démontrent leur virtuosité intacte. Et continuent à faire avancer le cinéma.
Par Olivier Joyard.


Cannes, le terrain de jeu des grandes actrices confirmées
Cannes est un festival de découvertes. On se réjouit de voir pour la première fois cette année de jeunes comédiennes incroyables. À l’image de Melissa Boros (Alpha), Nadia Melliti (La Petite dernière) ou encore Yui Suzuki (Renoir). Toutes ont moins de vingt ans. Mais la Croisette est aussi le terrain de jeu des grandes actrices confirmées.
Prenons Jodie Foster et Isabelle Huppert. Elles traversent leur sixième décennie au sein du cinéma. La première a été révélée par Taxi Driver de Martin Scorsese en 1976. La seconde a explosé vers la fin des seventies, notamment dans Violette Nozière de Claude Chabrol (1978). Et les voilà toujours en haut de l’affiche. En psychiatre secouée par la mort d’une patiente dans Vie Privée de Rebecca Zlotowski pour Foster, en évocation de Liliane Bettencourt, la patronne de l’Oréal décédée en 2017 dans La Femme la plus riche du monde de Thierry Klifa, pour Huppert.

Jodie Foster et Isabelle Huppert : deux légendes qui ont transformé le cinéma
Ce que les deux légendes ont à nous dire après presque cinquante ans sur les plateaux, c’est d’abord la certitude de n’avoir rien perdu de leur goût pour un métier qu’elles ont à leur manière transformé. Elles continuent d’ailleurs de le faire. À une époque où les rôles de femmes de plus de soixante ans restent rares – même si des progrès sont visibles : Scarlett Johansson a donné le premier rôle de son film Eleanor The Great, présenté lui-aussi au Festival de Cannes, à June Squibb, 94 ans ! –, Huppert et Foster s’amusent avec l’idée que le cinéma n’est pas seulement un art de la jeunesse. Avec elles, la caméra se glisse dans toutes les époques de la vie.
Dans La Femme la plus riche du monde, Isabelle Huppert interprète un personnage inspiré de Liliane Bettencourt. Celle-ci est saisie au moment où, déjà sexagénaire, elle rencontre le photographe François-Marie Banier (Laurent Laffite, extravagant). C’est peu dire que l’actrice de Huit Femmes (2002) s’amuse dans la peau de cette héroïne de pouvoir et d’argent découvrant qu’elle s’est peut-être ennuyée toute sa vie. Banier la flatte, l’emmène en boite, lui fait découvrir un monde de plaisir et de création… Tout en s’imposant dans son intimité et en lui soutirant d’énormes sommes d’argent.

Perfection du jeu à la française et ultra sensibilité américaine
Huppert incarne la plus grande fortune mondiale avec un mélange de distance amusée et d’empathie profonde pour ce que ce cette femme traversait. Les contradictions, ça la connait. Dans des tailleurs de plus en plus joyeux à mesure que le film avance, l’actrice invente à tous les plans une manière de se tenir droit, digne, tout en laissant entrer une forme de relâchement subtil. Nous parlerait-elle aussi en creux de son art du jeu ? Comme son personnage s’ouvre au monde, Isabelle Huppert réagit depuis toujours à ce que le cinéma lui propose. Dans son histoire toujours renouvelée, elle se tient prête à recevoir la nouveauté. Et ce n’est pas fini.
Devenue rare au cinéma depuis qu’elle se consacre davantage à sa carrière de réalisatrice, Jodie Foster nous avait intéressés en 2024 dans le rôle d’une policière égarée dans le Grand Nord pour la quatrième saison de la série True Detective. On la retrouve ainsi à Paris dans le premier rôle de Vie Privée, le nouveau film de la française surdouée Rebecca Zlotowski (Les Enfants des autres, 2022). Autant le jeu d’Isabelle Huppert brille par sa perfection technique, toujours prête à accueillir des brisures maitrisées, autant celui de l’américaine repose sur une ultra sensibilité, une sorte de frontalité rêche prête à tout emporter.

De Zlotowski à Klifa : Jodie Foster et Isabelle Huppert au sommet de leur art
La fascination de Rebecca Zlotowski pour une actrice en pleine possession de ses moyens est aussi forte que celle de Thierry Klifa envers Isabelle Huppert. Dans cette comédie dramatique hantée par la psychanalyse qui fait parfois penser au cinéma d’Arnaud Desplechin, Jodie Foster joue une psychiatre franco-américaine – l’actrice, bilingue, a étudié au lycée français de Los Angeles. Quand l’une de ses patientes, Paula (Virginie Efira), se suicide après l’ingestion de médicaments qu’elle lui a prescrits, elle se persuade qu’il s’agit d’un meurtre. Lilian Steiner débute une enquête qui devient une introspection, pour déjouer la panique existentielle s’emparant d’elle.
Les yeux dans le rétroviseur en auscultant les blessures du passé, l’héroïne est en même temps déterminée à faire renaître son désir de travail et d’amour. Cette crise de la soixantaine, Jodie Foster l’incarne avec une émouvante simplicité. Ses vêtements plutôt sombres font presque oublier son corps, laissant la réalisatrice raconter l’histoire de son visage, de ses yeux perçants, de ses rides. Tout cela, l’actrice du Silence des agneaux (1991) lui offre sans détourner le regard. Ces traces racontent aussi l’histoire du film et lui donnent sa profondeur. Jodie Foster devrait arpenter les plateaux de cinéma plus souvent, elle n’a rien perdu de son charisme.
Vie privée de Rebecca Zlotowski, au cinéma le 26 novembre 2025. La Femme la plus riche du monde (2026) de Thierry Klifa, au cinéma le 29 octobre 2025.