17 oct 2025

Rencontre avec Jeremy Strong, la star de Succession et du biopic sur Springsteen

Révélé au grand public par la série Succession, Jeremy Strong a confirmé son talent singulier en 2024 avec The Apprentice, dans laquel il incarnait l’avocat vénéneux Roy Cohn face au jeune Donald Trump. À 46 ans, l’acteur américain épate en manager dans un biopic consacré à la légende Bruce Springsteen, Springsteen : Deliver Me From Nowhere, aux côtés de Jeremy Allen White. Rencontre.

  • par Alexis Thibault

    et propos recueillis par Violaine Schütz.

  • Publié le 17 octobre 2025. Modifié le 3 novembre 2025.

    La bande-annonce de la série Succession (2018-2023).

    Un acteur révélé par la série culte Succession

    C’est un accident qui a scellé le destin de l’acteur américain Jeremy Strong. On apprend, dans les colonnes du Guardian en 2023, que son père s’est brisé les jambes en se jetant devant lui pour le protéger d’une voiture. Il lui a sauvé la vie. De cet instant fondateur, le comédien conserve une marque indélébile : une brûlure, un traumatisme et une intensité irréductible. Comme si chaque rôle, chaque réplique, devait rejouer cette lutte première : survivre devant la caméra.

    Né un soir de Nöel 1987 dans une famille modeste de Boston, formé entre Yale, Londres et Chicago, il a d’abord erré dans des seconds rôles discrets avant de trouver, avec l’excellente série Succession (2018-2023), le miroir parfait de ses obsessions…

    Lorsque Jeremy Strong endosse le rôle de Kendall Roy dans la série culte Succession, il ne s’agit pas seulement d’un tournant professionnel, mais plutôt d’un basculement dans la perception critique de sa carrière. Son interprétation d’un héritier brisé, oscillant entre fragilité pathétique et brutalité autoritaire, lui vaudra évidemment un Emmy Award en 2020 puis un Golden Globe en 2022.

    Sa performance bouleverse l’image du second rôle solide qu’il traînait jusque-là, le propulsant dans la catégorie des acteurs capables de porter une œuvre à eux seuls. Un protagoniste qui avance en vacillant, parfaitement conscient de ses failles et du fait que le monde les observe.

    La bande-annonce du film Zero Dark Thirty (2012).

    Un comédien discret à l’affiche de grands films

    Avant de trouver la consécration, Jeremy Strong s’est illustré dans des partitions secondaires mais significatives. Dans Lincoln (2012) de Steven Spielberg, il incarne par exemple l’un des jeunes juristes entourant le président, gravitant autour de Daniel Day-Lewis sans jamais chercher à briller plus que nécessaire.

    Dans Zero Dark Thirty (2012) de Kathryn Bigelow, il campe cette fois un agent analyste de la CIA, silhouette discrète mais essentielle dans la reconstitution minutieuse de la traque de Ben Laden. Quant à The Big Short (2015) d’Adam McKay, il y apparaît comme un rouage parmi d’autres dans la mécanique cynique de la finance mondialisée. Un acteur de rigueur, capable d’habiter un rôle sans occuper tout l’espace.

    Le rendez-vous manqué de Jeremy Strong avec Les Sopranos

    Vu sa carrière florissante (il sera à l’affiche de The Social Reckoning avec Jeremy Allen White et Mikey Madison en 2026), on serait tenté d’oublié que Jeremy Strong a commencé par échouer. Il avait auditionné pour Les Sopranos (1999-2007), graal télévisuel de toute une génération, et fut sèchement recalé. Mais cet échec n’a fait que nourrir sa détermination : devenir de ceux qu’on ne peut plus ignorer.

    Dans sa chambre d’adolescent, les visages d’Al Pacino et de Daniel Day-Lewis veillaient comme des figures tutélaires, lui rappelant chaque jour que l’acteur est d’abord un ascète. Si l’acteur n’a pas décroché son ticket d’entrée pour la mafia du New Jersey, il a appris, en spectateur passionné, que l’intensité pouvait parfois suffire à changer une vie.

    La bande-annonce du film The Apprentice (2024).

    Une nomination aux Oscars pour The Apprentice

    En 2024, Jeremy Strong franchit une étape décisive : son incarnation de l’avocat Roy Cohn dans The Apprentice (2024), film retraçant l’ascension de Donald Trump, lui vaut une nomination à l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle.

    Il échouera finalement face à son ami Kieran Culkin sacré pour sa performance dans A Real Pain (2024) de Jesse Eisenberg. Mais ce rôle, complexe et venimeux, lui permet cependant d’incarner un personnage historique, mais aussi une figure morale corrompue, miroir déformant de l’Amérique contemporaine. La critique a unanimement salué une prestation intense et inquiétante. Cette reconnaissance académique, après des années de travail, confirme son basculement dans la sphère des acteurs de premier plan.

    Je fais ce métier parce que j’en ai besoin et que j’adore ça.“ Jeremy Strong

    Lors d’une table ronde pour le film Springsteen: Deliver Me From Nowhere (2025), il nous explique à ce sujet : “C »était incroyable d’être nommé aux Oscars. Est-ce que j’y repense avec joie ? Écoutez, je pense que la vérité, c’est que je fais ce métier parce que j’en ai besoin et que j’adore ça. Tout le reste est une autre histoire. Je trouve le marchandage que ça implique difficile. Bien sûr, c’est quelque chose à célébrer. J’en suis incroyablement reconnaissant. Mais c’est aussi, d’une certaine manière, et dans une large mesure, hors sujet.

    Une méthode de jeu radicale

    Chez Jeremy Strong, chaque rôle devient un territoire d’occupation totale. L’acteur n’aborde pas un personnage comme une composition extérieure, mais comme une immersion sans retour. Sur le tournage de Succession, il était obsédé par la fidélité au texte, refusant d’improviser et répétant chaque réplique avec la précision d’un musicien. Cette obsession du mot juste s’accompagne d’une discipline quasi militaire. Pour certains films, le natif de Boston s’est soumis à des entraînements de terrain, multipliant lectures d’archives et recherches documentaires.

    Ainsi, lors du tournage du film Les 7 de Chicago (2020) d’Aaron Sorkin, il passe des heures à absorber la matière brute des procès pour s’approcher au plus près de la vérité historique. Lecteur vorace, il revient sans cesse à Tchekhov et Arthur Miller, convaincu qu’il faut reprendre les classiques avant chaque rôle pour retrouver “l’essence du drame”. Une méthode qui fascine autant ses partenaires (notamment Jeremy Allen White), qui font part, souvent, de leur admiration pour cette intensité dévorante.

    Je ne pense pas beaucoup à l’instinct de survie quand je travaille.“ Jeremy Strong

    Celui qui interpréte, à merveille, le rôle du manager et confident de Bruce Springsteen Jon Landau dans le fillm Springsteen: Deliver Me From Nowhere, qui sort au cinéma ce mercredi 22 octobre 2025, Jeremy Strong nous confie lors d’une interview sous forme de table ronde : “Je ne pense pas beaucoup à l’instinct de survie quand je travaille. Au contraire, le but est presque un effacement de soi, ou du moins une perte de soi. J’essaie d’être totalement absorbé par ce que l’on fait sur le plateau. Mais je pense que c’est distinct de la vie. Je suis une personne tout à fait ordinaire dans la vie. Ensuite, quand je travaille, j’ai une attitude différente.

    Il ajoute se sentir connecté à l’éthique du chanteur américain : “Une fois, Bruce a dit, à propos de la musique : ce n’est pas un travail, ce n’est pas un business, c’est une raison de vivre.“ Je me sens donc apte à le représenter, avec Jon, dans ce film, car je partage cette conviction. Et je ne pense pas non plus que Bruce soit un homme de survie. Je pense plutôt qu’il est du genre à tout donner.“ Jeremy Strong ajoute à propos de son implication profonde dans ses rôles : “J’ai joué une pièce d’Henrik Ibsen il y a quelques années, et à la fin des représentations, je m’effondrais.

    Jeremy Strong, héros d’un film sur Bruce Springsteen avec Jeremy Allen White

    L’élégant membre du jury du dernier Festival de Cannes 2025 présidé par Juliette Binoche se révèle très juste et émouvant dans le film Springsteen: Deliver Me From Nowhere, réalisé par Scott Cooper et centré sur la figure du Boss de la musique.

    Le long-métrage raconte la genèse de l’album Nebraska au début des années 80, période au cours de laquelle le jeune musicien Bruce Springsteen – incarné par Jeremy Allen White –, est sur le point d’accéder à une notoriété mondiale. Il lutte alors pour concilier les pressions du succès et les fantômes de son passé.

    L’acteur de 46 ans s’est plongé à corps perdu dans le rôle du critique et agent américain Jon Landau qui déclara, le 9 mai 1974 : “I saw the future of rock’n’roll and his name is Bruce Springsteen.” (“J’ai vu le futur du rock’n’roll et son nom est Bruce Springsteen.

    Se préparer à jouer un rôle est différent à chaque fois, mais je le fais toujours de manière exhaustive.” Jeremy Strong

    Il nous explique à propos de cette performance majeure : “Je pense que l’aspect le plus important pour moi était de capturer ce que je percevais comme une certaine essence et certaines qualités chez Jon Landau, liées à sa dévotion pour Bruce Springsteen, à la musique et à la profondeur de sa compréhension. La préparation a été de suivre mon instinct. Se préparer à jouer un rôle est différent à chaque fois, mais je le fais toujours de manière exhaustive. Il s’agit notamment de se familiariser avec le monde qui entoure le personnage. Je ne connaissais pas grand-chose à l’industrie musicale, ni à l’industrie à ce moment précis. J’ai lu beaucoup d’excellents livres sur le milieu de la musique, écrits par des personnalités clés.

    Pour relever les nombreux challenges de ce biopic, Jeremy Strong été aidé par le chanteur lui-même et son manager : “J’ai demandé à Jon Landau une liste des meilleurs livres jamais écrits sur l’industrie musicale. Landau lui-même a écrit un livre intitulé It’s Too Late to Stop Now: A Rock and Roll Journal, qui rassemble ses premières critiques et des essais vraiment incroyables qui m’ont donné beaucoup d’indices et de perspectives sur lui et ses valeurs. Mais le plus important, ce sont les aspects intangibles. Et c’est peut-être grâce aux vidéos de Jon et aux nombreux moments passés avec lui et Bruce que j’ai pu entrer dans sa personnalité.” Résultat ? Celui qui jouera Mark Zuckerberg dans The Social Reckoning (2026) s’impose encore un peu plus, avec ce film très rock, comme un acteur prodige.

    Springsteen : Deliver Me From Nowhere de Scott Cooper, au cinéma le 22 octobre 2025.