27 oct 2025

Isabelle Huppert nous raconte comment elle est devenue La Femme la plus riche du monde

L’immense comédienne française Isabelle Huppert est à l’affiche du film mordant librement inspiré de l’affaire Liliane Bettencourt La Femme la plus riche du Monde, qui a été présenté au Festival de Cannes avant de sortir au cinéma ce mercredi 29 octobre 2025. L’occasion de rencontrer celle que le New York Times qualifie “de plus grande actrice du XXIe siècle.”

  • propos recueillis par Violaine Schütz.

  • L’interview d’Isabelle Huppert pour La Femme la plus riche du monde

    Numéro : Qu’est-ce qui vous a donné envie de rejoindre ce projet ? Est-ce la rencontre entre le théâtre et le cinéma avec le personnage joué par Laurent Lafitte qui s’invite dans le quotidien de cette femme riche qui s’ennuie que vous incarnez ?

    Isabelle Huppert : Ce qui m’a plu, c’est le ton du scénario et des dialogues qui entraînait une forme de théâtralité. C’est toujours difficile quand le théâtre s’invite au cinéma, mais là, pour le coup, c’était vraiment pour le meilleur car ça aidait à souligner l’exagération des situations. Ça apportait de la distance et ça décalait l’histoire vers le ton de la farce. Et puis, ça mettait en lumière la cruauté, le cynisme et l’humour. Cela évitait, aussi, de tomber dans la psychologie et dans une relation un petit peu trop premier degré avec les personnages. Les grossir un peu les décale et rend les choses beaucoup plus acceptables et beaucoup plus faciles pour les acteurs que nous sommes.

    La Femme la plus riche du monde est une fiction mais on pense à l’histoire de Liliane Bettencourt en le voyant… Vous êtes vous inspirée de femmes réelles pour vous plonger dans ce rôle?

    Non, absolument pas. Je l’ai inventé de toutes pièces et me suis inspirée de personne. Je n’ai eu aucun modèle, même pas le modèle existant. En fait, je n’y ai absolument pas pensé. C’est une création personnelle, finalement.

    Je crois que toutes les meurtrières que j’ai jouées, on les comprenait.” Isabelle Huppert

    Il semblerait que dans ce film, vous portez soixante-dix costumes. Et jamais deux fois la même tenue. À quel point vous-ont ils aidée à entrer dans la peau de ce personnage ?

    Il paraît, en effet, que j’en porte soixante-dix. Je ne les avais pas comptés, mais tout le monde me le dit, donc ça pourrait être vrai. Je pense que c’est le réalisateur Thierry Klifa qui l’a révélé. Et c’est vrai qu’un costume, ça aide toujours à rentrer dans un personnage. C’est quand même le premier indice que l’on donne aux spectateurs. Mais au-delà du nombre qui est peut-être un peu anecdotique, ce qui est intéressant dans ces vêtements, c’est qu’ils sont fondateurs de la rencontre de Marianne Farrère, le personnage que joue, et Pierre-Alain Fantin (incarné par Laurent Lafitte). En effet, lorsqu’il la voit pour la première fois, pour la photographier pour un magazine, il la décoiffe et lui dit qu’il n’aime pas du tout la façon dont elle est habillée. Donc ça raconte évidemment quelque chose, cette insolence et la façon dont il fait irruption dans sa vie. Il démasque tout de suite les signes d’appartenance sociale à travers sa coiffure et la manière dont elle s’habille.

    Quand vous jouez ici quelqu’un d’antipathique (au premier abord). Vous avez, par le passé, interprété des meurtrières. Comment arrivez-vous à jouer des personnages sans les juger ? Essayez-vous d’abord de les comprendre ?

    Je crois que toutes les meurtrières que j’ai jouées, on les comprenait, que ce soit Violette Nozière à Médée, qui était pourtant la plus grande meurtrière de l’Antiquité. Dans La Femme la plus riche du monde, je crois qu’on comprend un peu tout le monde. Comme dans le film La Règle du jeu de Jean Renoir, chacun a ses raisons d’agir comme il le fait.

    La bande-annonce du film La Femme la plus riche du monde (2025).

    Je n’ai jamais aimé jouer des victimes.” Isabelle Huppert

    En effet, le film La Femme la plus riche du monde n’est pas manichéen…

    Oui, on n’a pas une victime et un prédateur. Thierry Klifa dépasse un peu la vox populi qu’on a pu entendre concernant l’affaire qui a inspiré (de manière libre, ndlr) le film et qui ne faisait que diminuer la portée de cette histoire. Il propose une interprétation. Après, il y a mille autres moyens de raconter cette histoire. On peut aussi en faire des monstres. Là, il ne s’agissait pas non plus d’en faire forcément des victimes ou des contempteurs. Il s’agissait plutôt d’aller derrière l’entrelacs d’enjeux financiers, sociétaux et politiques pour essayer de rendre ces personnages un peu attachants, tout simplement.

    Comment décrirez-vous ce personnage qui succombe – platoniquement – aux charmes d’un photographe mondain ?

    Ce n’est absolument pas une victime, ni avant d’avoir rencontré le personnage joué par Laurent Lafitte, ni même d’ailleurs, une fois qu’il est sorti de sa vie. Je n’ai jamais aimé jouer des victimes. Mais je crois que le ton du film ne me permettait pas de m’aventurer dans cet écueil parce qu’il y avait trop d’aspérité et trop de plaisir à se dire des énormités. L’arc que Marianne couvre dans le film n’est pas si vaste que ça : elle ne passe pas du statut de victime au statut de femme condamnée. Au fond, dans toutes les situations, elle reste parfaitement maîtresse d’elle-même. Peut-être ce qu’elle découvre, au fond, à la faveur de cette rencontre avec cet homme, c’est qu’elle est beaucoup plus contestataire qu’elle ne le pensait. Car au fond, la manière dont elle se comporte avec lui et dont elle l’accueille est une façon de contester l’appartenance à son milieu.

    J’ai tué mon père au cinéma, et ça veut pas dire que j’ai eu envie de tuer mon père.” Isabelle Huppert

    On se fait une image des actrices comme étant enfermées dans leur tour d’ivoire et vivant dans le luxe. Avez-vous vu un parallèle entre Marianne et vous ?

    Non, je n’ai pas vu particulièrement d’écho avec ma propre vie. Mais évidemment, il y a une scène assez fondatrice dans le film, c’est lorsqu’elle va en boîte de nuit. Elle n’a pas tellement l’habitude d’aller en boîte de nuit et tout d’un coup, elle entend cette femme chanter (il s’agit de la voix admirable d’Anne Brochet). C’est une scène vraiment très émouvante et belle où tout d’un coup, elle a la semi-conscience d’un autre monde. Je ne sais pas si tout est si élaboré dans son esprit à ce moment-là, mais elle comprend qu’il y a des vies qui se racontent de cette manière-là, avec cette sincérité-là et cette émotion-là. Cette scène fait comprendre beaucoup de choses, notamment pourquoi Marianne veut donner de l’argent à Pierre-Alain pour qu’il soit reconnu à sa juste valeur. Cette petite intrusion dans un univers qu’elle ne connaît absolument pas explique finalement l’énormité de son geste. Mais comme donner ce qu’elle donne, c’est rien, c’est comme si elle lui donnait rien en fait. Enfin très peu.

    Il y a une autre scène très troublante. Celle où Marianne dit à sa fille, jouée par Marina Foïs, qu’elle ne sait pas si elle l’aime. Comment aborde-t-on une relation mère-fille si difficile en tant qu’actrice et en tant que mère ?

    Ce qu’elle lui dit revient finalement à lui dire qu’elle ne l’aime pas… Vous savez, jouer n’a rien à voir avec ce qu’on vit. Tous les acteurs du monde le savent. J’ai tué mon père au cinéma, et ça veut pas dire que j’ai eu envie de tuer mon père. Mais c’est vrai que, par contre, que la relation entre cette mère et cette fille est extraordinairement dure. Au fond, elle ne pardonne pas à sa fille d’être à ce point différente d’elle, et peu tournée vers la vie. Et elle n’hésite pas à lui dire. Parce que généralement, ce sont des choses qu’on pense, mais qu’on ne dit pas. Et elle, tout d’un coup, elle le dit. Et elle le paiera cher. Pas de manière pécuniaire, mais en renonçant à ce bonheur, à cette joie. En fait, c’est quelqu’un qui rencontre la joie. Ce n’est pas quelqu’un qui était malheureux, mais c’est quelqu’un qui rencontre la joie.

    Quel intérêt de faire des films si ce n’est pour avoir cette petite ambition de raconter la nature humaine.” Isabelle Huppert

    Vous aviez déjà joué avec Laurent Lafitte dans le film Elle (2016) de Paul Verhoeven avant de le retrouver dans La Femme la plus riche du monde… 

    Oui, et on s’entend vraiment très, très bien avec Laurent. Sur le film Elle, on s’est tout de suite très bien entendus alors que ça aurait pu mal se passer vu qu’on devait tourner des scènes assez difficiles. On aurait pu avoir du mal à les jouer mais il se trouve qu’on n’a eu absolument eu aucun mal. Après, c’était sous l’œil éclairé et assez extraordinaire de Paul Verhoeven qui lui aussi sait comment mettre toute la distance qu’il faut. Quand on tourne des scènes aussi dramatiques, il peut insuffler à la fois de l’humour et de violence et créer de l’ambiguïté. Tout ça laisse le champ libre aux acteurs et surtout, ça ne les contraint pas du tout. 

    Ce récit révèle beaucoup de choses sur la nature humaine, notamment sur son rapport à l’argent. Et il se trouve que beaucoup de vos films racontent quelque chose de la nature humaine…

    Oui, c’est vrai qu’il y a là une tendance à faire… C’est comme l’histoire du scorpion qui traverse la rivière et qui ne peut pas s’empêcher de piquer. Non, je plaisante. Enfin, cela dit, quel intérêt de faire des films, quels qu’ils soient, si ce n’est pour avoir cette petite ambition-là. Après, tous les longs-métrages ne s’y prêtent pas. Il y a des longs-métrages qui mettent volontairement, qui placent volontairement les personnages à un autre endroit. Et il ne s’agit pas forcément de leur faire raconter l’histoire de l’humanité. Mais oui, c’est vrai que dans beaucoup de films que j’ai tournés, il y avait cette possibilité-là, et ce qui est intéressant, c’est de pousser cela le plus loin possible.

    La bande-annonce de La Femme la plus riche du monde (2025).

    J’ai joué dans des films où il y a une place très subtile,  très importante et très juste accordée aux femmes.” Isabelle Huppert

    Nicole Kidman ne tarit pas d’éloges à votre sujet. Vous êtes un peu l’actrice française fétiches des actrices américaines… Et en règle générale, les femmes vous adorent…

    Ça me fait plaisir. J’allais dire que ça ne m’étonne pas mais ça serait un peu présomptueux de ma part. Disons que j’essaie de comprendre pourquoi et c’est vrai que j’ai joué dans des films où il y a une place très subtile,  très importante et très juste accordée aux femmes. Et je pense que c’est ça qui fait que ça plaît aux femmes, tout simplement.

    On vous verra bientôt dans The Blood Countess, Histoires parallèles, Luz, Une illustre inconnue, Burnt Piano, Free Radicals ou encore Close-up. Mais est-ce que le film avec Dario Argento est toujours d’actualité ?

    Absolument. Et je serais vraiment très heureuse de venir vous en reparler quand ça sera fait.

    La Femme la plus riche du monde de Thierry Klifa, au cinéma le 29 octobre 2025.