Rencontre avec Reda Kateb : “Quand j’avais vingt ans, je bossais dans un cinéma et je m’imaginais déjà réalisateur”
Ce mercredi 30 octobre 2024 sort dans les salles de cinéma Sur un fil, une comédie dramatique qui dépeint le quotidien d’une circassienne campée par Aloïse Sauvage, reconvertie en clown d’hôpital à la suite d’une grave blessure. À travers un long-métrage aussi touchant qu’essentiel inspiré du livre Le rire médecin : journal du docteur Girafe (2001) de Caroline Simonds, l’acteur franco-algérien Reda Kateb s’illustre pour la première fois (et avec brio) en tant que réalisateur. Rencontre.
propos recueillis par Nathan Merchadier.
Reda Kateb, un acteur touche-à-tout
Révélé par son rôle de prisonnier dans Un prophète (2009), Reda Kateb, 47 ans, s’est depuis hissé parmi les acteurs les plus courtisés du cinéma français. Fils d’un grand metteur en scène de théâtre algérien et d’une infirmière, le comédien a pourtant longtemps rêvé de devenir acteur avant de connaître la consécration en recevant le César du meilleur second rôle masculin poursa prestationmarquante dans le film Hippocrate (2014).
Quelques années après avoir livré une autre performance magistrale dans le rôle d’un éducateur spécialisé dans Hors Normes (2019) de Toledano et Nakache, l’enfant d’Ivry-sur-Seine enfile un tout nouveau costume à l’occasion du tournage du film Sur un fil. Pour ce premier long-métrage en tant que réalisateur, Reda Kateb s’entoure de la chanteuse et actrice Aloïse Sauvage et de son ami de longue date, Philippe Rebbot (Vernon Subutex, La Maison) afin de donner vie à un récit poignant, inspiré du livre Le rire médecin : journal du docteur Girafe (2001) de Caroline Simonds et centré sur la figure des clowns d’hôpitaux.
Avec un calme presque déconcertant, le comédien nous confie, tout en caressant son chien Paulo dans la chambre d’un grand hôtel parisien : “J’ai l’impression que le métier d’acteur me donne un passeport incroyable pour découvrir des univers inconnus. On dit parfois que c’est une profession qui éloigne de la réalité mais au contraire, je pense que c’est une clé pour s’immiscer dans des mondes très différents”. De toute évidence, Reda Kateb fait partie de ces acteurs qui gardent les pieds sur terre et pour qui le succès n’apparaît pas comme le synonyme d’une déconnection totale… Rencontre.
Interview de Reda Kateb, réalisateur du film Sur un fil
Numéro : Vous venez de réaliser votre premier long-métrage intitulé Sur un fil, librement inspiré du livre Le journal du docteur girafe. Pouvez-vous nous raconter les prémices de ce projet ?
Reda Kateb : À la lecture du livre écrit par Caroline Simonds, qui a fondé l’association Le Rire Médecin, je me suis dit que j’avais envie de faire un long métrage dans l’univers des clowns d’hôpitaux. J’ai découvert cet ouvrage il y a quelques années lorsque j’avais en face de moi l’actrice Aloïse Sauvage qui tournait dans la série Possession. Naturellement, j’ai commencé à faire un rapprochement entre elle, qui avait fait l’école du cirque, et la lecture de ce livre. Ensuite, il a fallu confirmer ce désir de réalisation car je n’étais pas sûr de vouloir m’engager dans une telle aventure. Je connais l’épopée que cela peut être…
Pourquoi ?
Car la maladie infantile est un sujet qui me faisait peur. Je ne savais pas quel serait le ton juste. Mais Caroline m’a ouvert les portes de son association et dès ma première journée d’observation à l’hôpital Necker, je me suis dit que je voulais vraiment réaliser ce film. Toute l’anxiété que j’avais au départ a été balayée par la présence de ces clowns qui se retrouvent face à des situations extrêmement difficiles.
Comment s’est d’ailleurs déroulée cette période d’immersion ?
Je suis allé à l’hôpital en blouse blanche avec un badge du Rire Médecin. J’avais une petite caméra qui me permettait de filmer des ambiances de couloirs. Pendant six mois, j’étais un peu comme un journaliste ou un enquêteur.
“J’ai grandi entre les coulisses des théâtres, mon père était comédien, et les couloirs d’hôpitaux, ma mère était infirmière. Cette enfance-là ne doit pas êtrenégligeabledans ce que je fais aujourd’hui.” Reda Kateb.
La réalisation a-t-elle toujours fait partie de vos ambitons ?
Quand j’avais vingt ans, je bossais dans un cinéma et je m’imaginais déjà réalisateur. En parallèle, j’ai été vraiment happé et gâté par le métier d’acteur. Jamais je n’ai ressenti de la frustration. J’entends parfois des comédiens dire qu’ils ont réalisé un film parce qu’ils ne s’expriment pas assez en tant qu’acteurs. En revanche, j’avais réalisé le court-métrage Pitchoune en 2015, qui racontait une période pendant laquelle j’étais clown dans les anniversaires pour enfants. Mais je n’avais pas envie de développer ce projet en long-métrage. Le sujet me semblait beaucoup plus anecdotique que l’histoire de Sur un fil.
Depuis votre rôle dans le film Hippocrate, qui vous a d’ailleurs valu un César, le milieu hospitalier vous obsède-t-il ?
Parfois, les choses se font un peu naturellement. Mais je ne souhaite pas particulièrement être un acteur cantonné au milieu hospitalier. Récemment, j’ai fait un film sur le plus gros braquage de banque du Danemark. Mais j’ai grandi entre les coulisses des théâtres, mon père était comédien, et les couloirs d’hôpitaux, ma mère était infirmière. Cette enfance-là ne doit pas êtrenégligeabledans ce que je fais aujourd’hui.
On peut aussi voir des liens entre votre film et d’autres long-métrages comme Hors Normes ou la série En thérapie…
Je considère la série En thérapie comme un projet à part car j’avais un texte extrêmement écrit, presque comme une pièce de théâtre. Par contre, avec Hors Normes, j’ai découvert les super-pouvoirs du cinéma qui peut mettre en lumière des personnages héroïques qui ne sont pas reconnus comme tels dans notre société. Toute la préparation de ce film a été extraordinaire pour moi. Aller chercher des enfants maladeschez eux, les emmener au parc… J’ai l’impression que le métier d’acteur me donne un passeport incroyable pour découvrir des univers inconnus. On dit parfois que c’est une profession qui éloigne de la réalité mais au contraire, je pense que c’est une clé pour s’immiscer dans des mondes très différents. Je suis un peu comme Tintin et Milou, j’explore et j’enquête au quotidien.
“Je n’avais pas du tout envie de faire un long-métrage pour me donner un rôle.” Reda Kateb.
Voyez-vous des points communs entre les clowns et le métier d’acteur ?
Oui, complètement. Je crois que le mien se situe entre le clown blanc et l’Auguste. Parfois, je suis le clown sage et à d’autres moments, je peux tout casser. On parle souvent du “nez rouge comme le plus petit masque du monde”. En tant qu’acteur, je pense que les personnages que l’on incarne ont aussi la valeur de ce petit masque. C’est par ce dernier que l’on peut se révéler, même si, tout comme le clown, les acteurs sont souvent des êtres un peu timides au début.
Dans le film Sur un fil, vous avez d’ailleurs choisi de ne pas endosser le rôle d’acteur…
Je n’avais pas du tout envie de faire un long-métrage pour me donner un rôle. J’avais envie de profiter d’être le capitaine du bateau. De pouvoir être disponible pour tous les matelots afin de construire le meilleur film possible.
Pourquoi avoir choisi Aloïse Sauvage et Philippe Rebbot dans les rôles principaux ?
C’était très intuitif. Philippe Rebbot avait déjà joué dans mon court-métrage et c’est mon vieux frangin. On partage beaucoup de choses : un certain rapport aux autres, mais aussi un même regard sur la vie. Il me rappelle également des acteurs que j’admire profondément comme Jean-Pierre Marielle ou Jean Rochefort. Et puis j’avais cette envie de créer un trio car j’aime beaucoup cette configuration plus collective que le duo, même si je la retrouve assez peu dans le cinéma actuellement. Pour parler d’Aloïse Sauvage, je sentais qu’elle avait en elle une âme d’acrobate et de clown.
“Je crois que l’on en revient toujours à l’enfance.” Reda Kateb
En parlant de la figure du duo au cinéma, j’ai personnellement adoré votre rôle de mafieux un peu perdu dans Omar la fraise…
Le film Omar la fraise m’évoque ma grande amitié avec Benoît Magimel, mais aussi la reconnexion avec mes racines algériennes. En participant à ce projet, j’ai aussi apprécié le fait d’avoir considéré ces deux gangsters comme des gamins. Je crois que l’on en revient toujours à l’enfance.
Quelles sont vos envies de cinéma pour le futur ?
J’ai récemment joué dans le film The Quiet Ones et j’ai aussi tourné un film avec Jean-Pascal Zadi : une comédie centrée sur une expédition spatiale africaine. Le 4 novembre, j’attaque des répétitions au théâtre pour une pièce qui s’appelle Par les villages de Peter Handke, que je vais jouer au Festival d’Automne à Paris et à Ivry-sur-Seine. Ce projet me tient énormément à cœur car je ne suis pas monté sur scène depuis dix-sept ans. J’ai l’impression de revenir à la source, c’est mon prochain challenge et il faut juste que j’arrive à apprendre mon texte entre deux interviews.
Sur un fil (2024) de Reda Kateb, avec Aloïse Sauvage et Philippe Rebbot, actuellement au cinéma.