27 déc 2024

Lucas Bravo raconte son parcours, d’Emily in Paris aux films d’auteur français

Avec son charmant minois, Lucas Bravo incarne l’homme français par excellence dans la série au succès mondial Emily in Paris. Loin de se contenter d’incarner les beaux gosses, le trentenaire déjoue les attentes avec ses deux nouveaux rôles, plus sombres, dans le film Libre de Mélanie Laurent (disponible sur Prime Video), où il incarne un brigand, et dans Les Femmes au balcon de Noémie Merlant, actuellement, où il endosse tous les pires travers de la masculinité toxique.

Lucas Bravo. © Blouson en velours côtelé, chemise en popeline de coton, cravate et sac “Fendi Siesta”, Fendi. Bague personnelle.
Lucas Bravo pour Numéro Homme. Blouson en velours côtelé, chemise en popeline de coton, cravate et sac “Fendi Siesta”, Fendi. Bague personnelle.

L’interview de Lucas Bravo pour Numéro Homme

Pardon, j’ouvre toujours des parenthèses, mais je ne les referme pas.” [Rires.] Lucas Bravo sait qu’il parle beaucoup. Calmement, mais beaucoup. Comme s’il avait une frénésie de paroles en lui à délivrer, pour être enfin écouté. C’est un acteur luttant contre un malentendu. Alors que chacun sait qui il est, personne ne le connaît vraiment.

Tout le monde le regarde, mais est-il vu ? Un paradoxe criant pour celui qui incarne depuis 2020 le beau gosse un peu doucereux d’Emily in Paris, Gabriel, un chef parisien et amant de l’héroïne, croqué par la production américaine en french lover forcément adéquat. Cette année, la quatrième saison de la série Netflix de Darren Star – ex-boss de Beverly Hills et Sex and the City – l’a une fois de plus consacré en joli garçon non décidé. La fin laisse augurer une conclusion où Gabriel/ Lucas sera encore de la partie. En attendant, le comédien de 36 ans s’invente d’autres horizons, à la force du poignet.

Dans le nouveau film de Mélanie Laurent, Libre, Lucas Bravo tient son premier grand rôle. Il incarne Bruno Sulak, braqueur des années 80, figure romantique et anticapitaliste du banditisme. Celui qui dévalisait les boutiques Cartier et les supermarchés est mort à l’âge de 29 ans, lors d’une tentative d’évasion. “Toutes les personnes que nous avons interrogées ont parlé de lui différemment. Personne ne le connaissait en profondeur, j’ai trouvé cet aspect caméléon super intéressant. Comme spectateur, j’étais habitué aux biopics à l’américaine, mimétiques. Benoît Magimel, qui avait interprété le parrain marseillais Gaëtan Zampa dans La French, m’a conseillé de m’approprier Bruno Sulak. Cela a créé un déclic pour puiser en moi.

J’ai toujours eu quelque chose d’un peu poli. Mais je sais que j’ai des démons, une part de noirceur.”

Lucas Bravo.
Lucas Bravo. Sweat-shirt à capuche en jersey de laine, Fendi.
Lucas Bravo pour Numéro Homme. Sweat-shirt à capuche en jersey de laine, Fendi.

Un changement d’angle et de pratique, presque un virage culturel pour celui qui a été plus habitué à renvoyer une image qu’à réfléchir dessus. Dans Libre, Lucas Bravo passe avec fluidité du charme qu’on lui connaît à une forme de dureté plus inédite, que la réalisatrice a su révéler. “C’est vrai, Mélanie m’a beaucoup guidé. On a commencé le tournage par des scènes où le personnage est un peu nonchalant. Après, nous avons abordé les braquages. Mélanie m’a pris à part, m’a dit de me rappeler que Sulak était un brigand. Ça m’a galvanisé. Je suis arrière- petit-fils d’immigrés espagnols et je me suis souvent demandé pourquoi, dans la famille, on ne faisait pas de bruit, on évitait de se faire remarquer. J’ai toujours eu quelque chose d’un peu poli. Mais je sais que j’ai des démons, une part de noirceur. C’était peut-être le moment de faire de ce rôle une thérapie, pour donner du réel au personnage.

Être dans les clous, sortir des clous. Pour creuser la question, Lucas Bravo a puisé dans son enfance, celle d’un petit garçon ballotté à cause du travail singulier de son père. Daniel Bravo, aujourd’hui jeune sexagénaire, fut un excellent footballeur, champion d’Europe en 1984 avec l’équipe de France, professionnel durant une vingtaine d’années entre Nice, Lyon, Marseille, Paris, Monaco et Parme, en Italie. “On déménageait souvent, je n’ai jamais passé plus de deux ans dans la même ville. J’ai dû vivre avec le statut du nouveau. Assez vite, j’ai identifié des dynamiques de personnes et de groupes. Je me métamorphosais en essayant d’être la pièce manquante. Le déracinement m’a apporté du recul, mais d’un point de vue identitaire, ça a ouvert des portes en moi que j’essaie encore de refermer aujourd’hui. Des fondations manquaient. C’est dur d’envisager sa masculinité ou de rentrer dans l’adolescence quand on a passé son enfance à jouer des personnages.

Alors qu’il a 8 ans, sa mère, Eva Bravo – une ancienne chanteuse –, lui montre Danse avec les loups de (et avec) Kevin Costner, où la star joue un soldat nordiste qui rejoint les Amérindiens, au 19e siècle. “Cette personne qui décide d’aller vers une autre culture, ce choix de devenir quelqu’un d’autre, m’a percuté. Tout à coup, c’était positif. J’ai vécu mon premier émoi. Plus tard, j’ai voulu qu’un petit garçon quelque part puisse regarder mes films et se sentir moins seul.

À 22 ans, j’étais amoureux et je voulais vivre au soleil, avec juste une Jeep décapotable.

Lucas Bravo
Lucas Bravo. Parka en velours côtelé, chemise en popeline de coton et pantalon en drap de laine, Fendi. Cravate vintage.
Lucas Bravo pour Numéro Homme. Parka en velours côtelé, chemise en popeline de coton et pantalon en drap de laine, Fendi. Cravate vintage.

Une carrière d’acteur sur le tard

Lucas Bravo deviendra donc acteur, sans passer par la case footballeur. “J’ai joué jusqu’à mes 18 ans, mais je me suis trouvé trop sensible pour aller plus loin. Dans ses premières années au PSG, mon père n’était pas forcément voulu. L’entraîneur Artur Jorge ne le faisait pas beaucoup jouer. Quand il rentrait en fin de match, il se faisait siffler par 40 000 personnes. Lui qui n’avait jamais connu l’affront sur un terrain de foot, lui le petit prince du Ray, le stade de l’OGC Nice, qui gambadait fièrement en pensant au foot, aux copains et au soleil, a fait face à la cruauté de ce sport. Il avait toujours été mon héros. Le voir comme cela m’a déstabilisé. Ma mère essayait de le ramasser à la petite cuillère, je me suis dit que je n’avais pas les épaules assez solides.

Juste après l’adolescence, Lucas Bravo décide sur un coup de tête de partir en Californie. Il reste à West Hollywood beaucoup plus longtemps que les quelques semaines initialement prévues. De son propre aveu, il n’y fait rien, puisqu’il ne peut ni étudier, ni travailler sur place.

Je vivais mes premières expériences de la liberté, même si mes parents ne comprenaient pas mon choix. Je suis finalement rentré à Paris pour gagner un peu d’argent et retourner au plus vite à Los Angeles, où, jusqu’à mes 22 ans, j’ai rêvé d’habiter. J’étais amoureux et je voulais vivre au soleil, avec juste une Jeep décapotable. [Rires.] De retour en France, la réalité m’a un peu rattrapé. J’ai commencé à enchaîner les boulots. Et je voulais devenir acteur.

Un acteur révélé dans la série Emily in Paris

Alors qu’il est serveur au bar de nuit Le Montana, à Paris, Lucas Bravo croise l’agent Pauline Rostoker et met un pied dans le milieu. Ce seront quelques sitcoms – Plus belle la vie (“une expérience très formatrice”) – et des apparitions au cinéma – La Crème de la crème (2014) de Kim Chapiron –, puis, enfin, le miracle.

Quand Emily in Paris est arrivé, j’avais la trentaine, je bossais dans un restaurant le midi et dans un autre le soir. Je finissais parfois à 3 heures. Quand le réveil sonnait à 7 heures, je restais dix minutes sur mon lit à contempler le vide, en me demandant combien de temps j’allais tenir. Lors de mon dernier jour à l’Actors Factory, le studio de formation que je fréquentais dans le XIe arrondissement, je croise une connaissance devenue agent. Elle me parle de ce casting ! À l’époque, quand on me demandait ce que je faisais, je répondais que j’étais acteur en baissant les yeux. À un certain âge, on s’interroge : est-ce qu’on ne force pas les choses ? Ce qui est magique dans ce métier, c’est qu’il suffit d’un rôle et tous les doutes sont oubliés.

Lucas Bravo pour Numéro Homme. Chemise oversize en laine, Fendi.
Lucas Bravo pour Numéro Homme. Chemise oversize en laine, Fendi.

Des films avec Noémie Merlant et Mélanie Laurent

Aujourd’hui, même s’il accueille toujours avec gratitude la chance de jouer Gabriel, Lucas Bravo a un problème : ne pas être limité à la figure de bellâtre pour comédie romantique, qu’il a pu tenir aux États-Unis dans la foulée d’Emily in Paris. On pense à Ticket to Paradise, avec Julia Roberts et George Clooney. Pas la panacée, “même si j’ai beaucoup aimé jouer dans une comédie et tourner avec ces légendes, d’une générosité inouïe. C’était surréaliste”. Lors de rendez-vous avec les studios et les plateformes aux États-Unis, le Français a tenté de faire valoir son envie de projets plus sombres. Regards gênés.

C’est en France, très récemment, qu’il trouve une planche de salut. En plus de Libre de Mélanie Laurent, Lucas Bravo tient un rôle important dans la comédie d’horreur féministe de Noémie Merlant, Les Femmes au balcon, où l’espérance de vie des personnages masculins n’est pas folle. “Passer le casting de Noémie, le fait qu’elle ne connaisse pas Emily in Paris, cela m’a donné un second souffle. Je me suis dit : c’est mon talent qui parle. Elle m’a fait beaucoup de bien.

De quoi raccorder avec une part de son éducation auprès d’une mère qu’il qualifie de féministe aguerrie. “Avec Noémie Merlant, nous avons beaucoup parlé du masculin. Elle n’est pas du tout dans un féminisme de réconciliation, il faut que des têtes tombent. Sur le plateau, je disais : je prends une balle pour la cause sur ce projet-là. [Rires.] Je me sentais parfaitement à l’aise dans cette thématique, même si mon personnage dans Les Femmes au balcon est un sociopathe et un violeur. Une partie de moi a vraiment envie de se salir. C’était le projet que j’attendais depuis quatre ans, donc j’y suis allé franco, contre le côté poli auquel on pouvait m’associer.

Lucas Bravo pour Numéro Homme. Blouson en laine brodée, chemise en soie imprimée et pantalon en drap de laine, Fendi. Montre et bague personnelles.
Lucas Bravo pour Numéro Homme. Blouson en laine brodée, chemise en soie imprimée et pantalon en drap de laine, Fendi. Montre et bague personnelles.

Les Femmes au balcon, un tournant pour Lucas Bravo

L’émancipation avait débuté avec Mélanie Laurent, première réalisatrice qui lui a donné envie de grandir. “Après Libre, je suis revenu tourner la saison 4 d’Emily in Paris et c’était très frustrant, car c’est une série basée sur l’esthétisme. Il n’y a pas de geste de vie possible. Je ne peux pas changer de mouvement ni d’intonation, cela pourrait être n’importe qui à ma place. Avec Mélanie, c’était ‘Gratte-toi’, ‘Ronge- toi les ongles’, ‘Habille l’espace par des choses vivantes’. Je savais que je pouvais lui faire confiance, car elle m’a filmé avec des yeux… disons qu’elle me voyait ! Elle m’a rencontré avant que je ne me rencontre.

Il faudra donc aller de l’avant, en choisissant des projets audacieux, comme celui qu’il tourne cet automne en compagnie du brillant et très queer Nicolas Maury (acteur dans Dix pour cent et réalisateur de Garçon chiffon), une minisérie pour Arte, Les Saisons, en forme de triangle amoureux sur plusieurs décennies.

Lucas Bravo pour Numéro Homme. Chemise oversize en laine, Fendi.
Lucas Bravo pour Numéro Homme. Chemise oversize en laine, Fendi.

Le héros de la série Merteuil

Il figure aussi au casting de Merteuil, une série de Jessica Palud (Maria, 2024) pour la plateforme Max, inspirée des Liaisons dangereuses, et doit enchaîner début 2025 avec le nouveau film de l’excellent documentariste Jean-Gabriel Périot – césarisé pour Retour à Reims (Fragments) en 2023 –, un long-métrage de fiction qui consacre une histoire d’amour passionnelle entre deux hommes.

J’ai quelque chose d’un peu rebelle par rapport à mon temps, mon espace et ma liberté. Depuis mon enfance, j’ai besoin de savoir que je peux m’échapper. Je me rends compte que ces projets me stimulent et me donnent de la force.” Celui qui lutte contre l’exploitation des fonds marins, parcourant la planète en compagnie de l’activiste Camille Étienne, pourrait bien nous surprendre en donnant du sens à une carrière engagée sur des rails un peu trop normés.

Les Femmes au balcon (2024) de Noémie Merlant, avec Lucas Bravo et Souheila Yacoub, actuellement au cinéma.

Coiffure : Eduardo Bravo. Maquillage : Kelly McClain chez A-Frame Agency. Assistant Photographe : Antoine Cadot. Assistant réalisation : Federico Toscani. Production : Juliette Mouton chez Talent and Partner.