Cannes 2025 : Diane Kruger et Fatih Akin se confient sur le film Amrum
Quelques années après avoir présenté le film In the Fade au Festival de Cannes, qui a valu à Diane Kruger un prix d’interprétation, l’actrice et le cinéaste turco-allemand Fatih Akin forment un duo intense pour défendre Amrum sur la Croisette. Présenté dans la section Cannes Première, ce thriller dramatique plonge les spectateurs dans les tourments de l’Allemagne d’après-guerre afin d’interroger les thèmes de la perte d’identité, de la mémoire et des fantômes du fascisme. Face à une montée insidieuse de l’extrême droite, Diane Kruger y incarne une mère de famille déstabilisée. Dans l’effervescence du festival, le duo se confie auprès de Numéro sur la genèse de ce film et sur les liens forts qui les unissent.
propos receuillis par Nathan Merchadier.

L’actrice allemande Diane Kruger et le réalisateur Fatih Akin sont de retour au Festival de Cannes pour présenter Amrum, un drame poignant dans le contexte de l’Allemagne d’après-guerre. L’occasion pour Numéro de mener une rencontre avec un duo complice et engagé, qui se confie sur la genèse de ce film et sur les liens forts qui les unissent.
L’interview de Diane Kruger et Fatih Hakin au Festival de Cannes 2025
Numéro : Après avoir collaboré sur le long-métrage In the Fade en 2017, quel sentiment ressentez-vous en présentant le film Amrum au Festival de Cannes 2025…
Fatih Akin : Diane et moi avons une histoire commune : nous sommes devenus amis et collègues au fil du temps. Ce projet était difficile à financer. Un jour, Diane m’a dit : “Si tu galères vraiment à monter le film, dis-le-moi, je peux t’aider.” Je lui ai donc envoyé le scénario, en lui proposant de choisir un rôle si quelque chose lui parlait. Elle a choisi ce personnage, ce qui m’a semblé très juste. Dans In the Fade, elle incarnait déjà une figure antifasciste, pour des raisons différentes certes, mais avec cette même intensité. Ici encore, son personnage s’oppose au fascisme. Ce sont deux rôles distincts, mais incarnés par la même actrice, et cela crée une forme de continuité.
Diane Kruger : De mon côté, j’ai accepté ce rôle parce que je voulais travailler à nouveau avec Fatih. J’adore ses films. Comme vous l’avez dit, nous avons déjà vécu une très belle expérience ensemble avec In the Fade. Et j’ai le sentiment qu’il me pousse toujours à aller plus loin que ce que je pense être capable de faire. J’ai une totale confiance en lui. C’est un peu comme ces exercices où l’on ferme les yeux et on se laisse tomber en arrière : je sais qu’il sera là pour me rattraper.
“On ne m’imagine pas forcément dans le rôle d’une cultivatrice de pommes de terre. C’est justement ce qui m’a plu.” Diane Kruger
Comment décririez-vous le personnage que vous interprétez dans Amrum ?
Diane Kruger : Ce que j’aime chez Tessa [le personnage qu’incarne Diane Kruger dans Amrum, ndlr], c’est qu’elle m’a tout de suite rappelé mes grands-parents. Je viens de la campagne et ma grand-mère était agricultrice. Mes premiers souvenirs d’enfance, ce sont les siens : elle se levait avant le lever du soleil pour aller dans les champs. L’été, je cueillais des fraises, j’aidais les fermiers à charger le foin… Ce sont de beaux souvenirs, mais ma grand-mère était aussi une femme dure et très réservée. Elle ne montrait pas facilement son affection. Tessa, mon personnage, m’a semblé très réaliste à ce niveau-là. C’est vrai qu’on ne m’imagine pas forcément dans le rôle d’une cultivatrice de pommes de terre, et c’est justement ce qui m’a plu : sortir de ce qu’on attend de moi.

“Notre passé façonne notre présent, et notre présent construit notre futur.” Fatih Akin
Dans ce film, vous abordez le thème de la perte d’identité dans l’Allemagne de l’après-guerre. Pourquoi avoir choisi de traiter cette période si précise de l’histoire germanique ?
Fatih Akin : Ce film ne parle pas uniquement du passé, il parle aussi du présent. Vous savez, il y a cette idée philosophique : “Le futur, c’est maintenant”. Cela signifie que notre passé façonne notre présent, et notre présent construit notre futur. Je n’ai donc jamais envisagé ce film comme un récit nostalgique ou purement historique. Certes, l’action se déroule il y a 80 ans, mais ma préoccupation principale était de savoir comment le filmer pour que cela reste pertinent aujourd’hui. Parce que le danger qu’il évoque existe toujours. Aujourd’hui, les néonazis ne sont plus seulement ces skinheads qui portaient des bombers. Ils sont dans nos familles, dans notre société. Pendant le Covid, on a vu des amis proches se transformer en adeptes de théories complotistes. Cette radicalisation souterraine, insidieuse est bien réelle aujourd’hui encore. En Allemagne comme ailleurs.
Quels souvenirs gardez-vous du tournage du film In the Fade ?
Diane Kruger : C’était intense, vraiment intense… et en même temps très joyeux. C’est d’ailleurs à ce moment-là que j’ai arrêté de fumer — parce qu’on fumait beaucoup ! Ce qui est fou aussi, c’est qu’on a commencé à tourner le lendemain de l’élection de Donald Trump. Vous imaginez ? Le timing était complètement dingue.
Fatih Akin : Le film In the Fade s’est structuré en trois temps. Le premier chapitre, je l’appelais “le deuil”. Je me souviens que Diane devait pleurer énormément… et ce n’était pas du maquillage. Elle pleurait vraiment. À force, des cristaux de sel se formaient près de ses yeux. Je me disais : “Mon Dieu, qu’est-ce que je fais faire à cette femme ?”. Ensuite, il y a eu le deuxième acte, celui du procès, que nous avons tourné en une semaine, uniquement dans la salle d’audience. Et puis la dernière partie qui se déroulait en Grèce. C’est celle que je garde le plus en mémoire. Elle représentait quelque chose de plus grand : une forme de transcendance. Le personnage se venge, puis se donne la mort. Et d’une certaine façon, cette séquence avait une dimension presque spirituelle. Le tournage là-bas était magnifique, hors du temps.

“Mon tout premier Festival de Cannes, c’était pour présenter un documentaire musical. Il y avait Salma Hayek et Javier Bardem qui dansaient sur les tables à ma soirée.” Fatih Akin
Amrum est votre cinquième film qui figure dans la sélection du Festival de Cannes. Quels souvenirs gardez-vous des précédentes éditions ?
Fatih Akin : Mon tout premier Festival de Cannes, c’était pour présenter un film hors compétition, un documentaire musical. Je me souviens que c’était une fête géante, tout le film en était une. Il y avait Salma Hayek et Javier Bardem qui dansaient sur les tables à ma soirée ! C’est drôle, parce que j’ai rencontré Diane à l’une de ces fêtes.
Diane Kruger : Il organise vraiment les meilleures soirées. Hier soir encore, c’était incroyable.
C’est donc au Festival de Cannes que votre première rencontre a eu lieu ?
Fatih Akin : Exactement, nous nous sommes rencontrés lors d’une fête sur la plage, pendant la projection d’un autre documentaire dans la sélection officielle. Diane m’a dit qu’elle aimerait travailler avec moi… Et cinq ans plus tard, on faisait un film ensemble. Elle a même remporté un prix pour ce rôle. Ensuite, j’ai eu deux films en compétition officielle : De l’autre côté (2007) et In the Fade (2017). Deux expériences très fortes, très belles. Le festival m’a toujours bien accueilli. Le public français aussi. D’une certaine manière, c’est ici que ma carrière internationale a véritablement commencé.

“À chaque fois que je viens au Festival de Cannes, j’ai le sentiment d’un véritable accomplissement.” Diane Kruger
Diane Kruger, vous avez reçu en 2017 le prix d’interprétation pour votre prestation vibrante dans In the Fade. Que peut-on vous souhaiter pour cette nouvelle édition du festival ?
Diane Kruger : À chaque fois que je viens à Cannes, j’ai le sentiment d’un véritable accomplissement. Faire partie de la sélection officielle, c’est déjà un immense honneur, car on sait combien il est difficile de voir son film retenu. Alors même si j’ai déjà eu la chance d’y venir, chaque fois, j’ai toujours l’impression de découvrir cette sensation pour la première fois. Être de retour ici avec Fatih Akin, plusieurs années après In the Fade, rend cette édition encore plus touchante. La montée des marches que nous avons faite hier restera sans doute gravée dans ma mémoire pour très longtemps.
Il me semble avoir lu que vous travaillez également ensemble sur un projet de série centré sur l’actrice allemande Marlene Dietrich. Où en est ce projet ?
Fatih Akın : Le projet autour de Marlene Dietrich n’est pas encore achevé, et je ne sais pas exactement quand il verra le jour. En revanche, nous avons d’autres idées en cours. Même si Amrum et In the Fade ne constituent pas officiellement une trilogie, nous travaillons actuellement sur un troisième film qui pourrait être perçu comme une suite spirituelle. Ce serait à nouveau un long-métrage centré sur l’Allemagne, qui poserait cette question : “Qu’a réellement engendré la Seconde Guerre mondiale ?”. Pas seulement en Allemagne, mais dans le monde entier. C’est un sujet complexe, difficile à écrire, mais j’ai très envie qu’il puisse aboutir.
Amrum de Fatih Akin, présenté à Cannes Première au Festival de Cannes 2025.