Que vaut The Substance, le film d’horreur choc avec Demi Moore ?
Le film d’horreur choc de la réalisatrice française Coralie Fargeat intitulé The Substance et récompensé du prix du scénario au Festival de Cannes 2024 vise le star system et l’obsession contemporaine de la jeunesse, dans un esprit no limit. Notre critique du long-métrage qui sort au cinéma ce 6 novembre 2024.
par Olivier Joyard.
The Substance, prix du scénario au Festival de Cannes 2024
Secouer l’écran et la salle, multiplier les effets de signature, transformer les films en objets tranchants. Telles semblent être les premières règles de Cannes 2024, comme si, dans un réel saturé d’images, le cinéma devait entrer dans la bagarre en faisant le plus de bruit possible.
Jacques Audiard l’a compris avec Emilia Perez, sa virevoltante comédie musicale dans le milieu des cartels, sur fond de transidentité. Dans un style différent, Yórgos Lánthimos a joué une carte voisine avec Kinds of Kindness et ses situations coup de poing, absurdement perverses.
On regrette que certains films de la compétition plus aboutis, mais aussi plus discrets, passent sous les radars. On pense à Caught By The Tides du Chinois Jia Zhang-ke, qui revisite un quart de son siècle de son propre cinéma et de l’histoire de son pays, en usant d’une forme poétique et fragmentée très puissante, mais presque chuchotée.
Un film d’horreur avec Demi Moore et Margaret Qualley
Coralie Fargeat se situe clairement du côté des maximalistes. Projeté dimanche soir, son deuxième long-métrage The Substance (après Revenge en 2018) – qui a remporté le prix du scénario – a fait bondir d’effroi et déversé des hectolitres de sang. Le choix assez inédit de la part de Thierry Frémaux de proposer du body horror en compétition a semble-t-il porté ses fruits, au vu des réactions de la presse internationale, enthousiasmée par ce film qui déroule son programme avec efficacité et précision.
Le pitch ? Dans un Hollywood à peine fantasmé, une actrice-présentatrice quinquagénaire, Elisabeth Sparkle (Demi Moore), se fait virer de l’émission qu’elle présente depuis des années. Trop vieille. Une solution s’offre à elle, comme tombée du ciel, quand une entreprise lui propose anonymement de s’injecter un sérum qui la transformera en une « meilleure version » d’elle-même, c’est-à-dire plus jeune. Apparait Sue (Margaret Qualley) avec laquelle Elisabeth doit partager son temps : une semaine sur deux, elle sera l’une, et la semaine suivante, l’autre. Sauf que bien sûr, tout va déraper, pacte Faustien oblige.
Le retour magistral de l’actrice Demi Moore
Le film intéresse dans sa première heure en installant un monde tout à côté du nôtre. Ici, les femmes non seulement se voient jugées en fonction de leur beauté, de leur valeur sur le marché du divertissement et des apparences, mais elles sont les complices voraces du système, comme tétanisées. Les hommes puissants en jouent – le producteur de l’émission s’appelle Harvey (Dennis Quaid), au cas où ce ne serait pas clair.
Coralie Fargeat trace le sillon de la servitude volontaire qui n’est pas sans poser question, mais donne naissance à quelques scènes saisissantes, comme cette longue séquence où Elisabeth, censée aller diner avec un homme pourtant très banal, passe plusieurs heures devant la glace pour rendre son visage « désirable ». La rage qui s’empare d’elle quand elle se compare à « l’autre » femme qu’elle ne peut plus être impressionne.
À ce moment précis, The Substance offre à Demi Moore le comeback marquant qu’elle méritait. En retour, l’actrice américaine de 61 ans donne tout au long du film énormément de son énergie et de son image, livrant la performance de sa vie, ou a minima, de sa deuxième carrière. Cela force l’admiration. Moore s’épanouit en corps sacrificiel du star-system, comme si elle faisait sortir d’elle-même la colère de milliers de comédiennes depuis plus d’un siècle.
Que vaut le nouveau film de Coralie Fargeat ?
Cela suffit-il à faire un bon film ? Pas toujours, car The Substance enchaine les moments extrêmes comme à la parade, sans grandes surprises. Un pur cinéma de performance où les nombreuses références citées – de Vertigo à Carrie au bal du diable, en passant par La Mort lui va si bien ou Elephant Man – le sont de manière assez littérale, voire scolaire.
On finit par se demander ce que Fargeat raconte de plus au bout de deux-heures vingt, qu’elle ne racontait déjà dès les premières minutes. On s’interroge sur son insistance à utiliser les moyens visuels du male gaze, ce regard masculin objectifiant les personnages féminins, que pourtant elle dénonce. On ne compte plus les plans sur les fesses et les seins des comédiennes, sans comprendre ce qu’ils apportent dans leur répétition mécanique.
Il y a trois ans, Titane avait remporté la Palme d’or avec certaines thématiques proches ainsi qu’un esprit gore tout aussi assumé. Mais Julia Ducournau avait su donner à ses personnages un espace pour se déployer. The Substance creuse plutôt sur place, enfonce le clou, à prendre ou à laisser. La nuance et le trouble restent à quai.
On aurait pu imaginer une révolte de ses personnages contre le poison de l’apparence, ou une réflexion sur les possibilités d’aimer et de désirer un corps qui vieillit. Trop occupé à remplir son programme, le film finir par donner le sentiment qu’il s’autodétruit, telle son héroïne. Cela ne manque pas de panache, mais on espérait autre chose d’un geste de cinéma aussi pensé et radical.
The Substance (2024) de Coralie Fargeat, avec Demi Moore et Margaret Qualley, au cinéma le 6 novembre 2024.