11 sept 2020

Billie Holiday mise à nu dans un documentaire inédit

Première icône de la lutte contre la ségrégation aux États-Unis, Billie Holiday est l’une des plus grandes voix de tous les temps. Le film documentaire “Billie” (2020) de James Erskine – en salle le 30 septembre prochain – exhume une série de témoignages recueillis par une journaliste décédée dans d’étranges circonstances en réalisant la biographie de la chanteuse de “Strange Fruit” (1939), et retrace un parcours hors normes, des bas fonds de Baltimore aux plus grands clubs de jazz new-yorkais.

En 1939, la chanteuse américaine Billie Holiday interprète pour la première fois sa chanson Strange Fruit devant la foule médusée du Café Society à New York. En cette fin des années 30, la population afro-américaine subit une politique d’exclusion et de lynchage instaurée depuis les lois Jim Crowe de 1876 – particulièrement violente dans le sud du pays. Lorsque Billie Holiday décide de chanter ces “fruits étranges avec du sang sur les feuilles” et ces “corps noirs qui se balancent dans la brise du sud” la performance attire autant qu’elle embarrasse : elle fait référence à la photographie de Lawrence H. Beitler qui montre deux cadavres de Noirs pendus à un arbre devant une assemblée de Blancs hostiles ou indifférents. Dès lors, Billie Holiday sera considérée comme une icône de la lutte contre le racisme.

 

 

Tendance à l’autodestruction

 

S’il a le mérite de présenter Billie Holiday sous son vrai jour, sans aucun sentimentalisme, le documentaire Billie (2020) de James Erskine – en salle le 30 septembre prochain – casse un peu le mythe. Présentant cet enfant des quartiers populaires de Baltimore devenue l’une des plus grandes chanteuses de jazz de tous les temps, à travers le prisme des hommes. Son premier maquereau, qui très tôt l’a mise dans la rue. Son premier producteur, John Hammond, qui a lancé sa carrière après l’avoir repérée dans les clubs de jazz de Harlem qu’elle a rejoint à l’âge de 13 ans. Mais aussi ses nombreux amants, musiciens ou managers, avec qui celle que l’on surnomme “Lady” a entretenu des relations tumultueuses, allant même jusqu'à se battre en pleine rue à la sortie de ses concerts.

 

C’est aussi un homme qui l’initie à l’opium alors que la chanteuse est à l’apogée de sa carrière. Amatrice d’herbe et de whisky, ce nouveau palier franchi dans l’usage de stupéfiants signe un point de non retour. Lentement mais sûrement, la drogue absorbe sa vie privée, provoque des démêlés avec les agents du FBI et l’envoie même derrière les barreaux pour un an et un jour en 1947. Malgré la drogue et les hommes, le réalisateur James Erskine a l’intelligence de ne jamais placer Billie Holiday dans la position de victime : c’est bien elle, icône sûre d’elle au caractère bien trempé, qui souffre d’une tendance à l’autodestruction. 

Billie Holiday dans les studios de Commodore Records, 1939 © Don Peterson

Un travail journalistique hors norme

 

Billie (2020) est le fruit d’un travail de recherche impressionnant débuté au début des années 70, lorsque la journaliste américaine Linda Lipnack Kuehl décide d’entreprendre l’écriture d’une biographie de Billie Holiday. Habitée par le projet et l’idée de retranscrire la “vraie” personnalité de l’immense artiste décédée en 1959, Linda Lipnack Kuehl consacre huit ans de sa vie à percer les énigmes qui hantent la carrière de Billie Holiday. Son enfance trouble, ses passages tourmentés dans différents jazz-band, ses addictions et les nombreuses enquêtes des services de renseignements sur sa personne. La journaliste parvient à recueillir plus de 200 heures d’interviews auprès de la famille de l’artiste, des agents du FBI qui l’ont arrêtée, de ses avocats, de ses compagnons de cellule et des grands musiciens qui l’ont côtoyé comme Charles Mingus, Sarah Vaughan, Tony Bennett ou encore Count Basie avec qui Linda Lipnack Kuehl noue une relation intime. Un matin de février 1978, son corps inerte est retrouvé dans une rue de Washington. La police conclut à un suicide mais, interrogée dans le documentaire, sa sœur est sceptique, la journaliste ayant reçu plusieurs lettres de menace au cours de ses recherches. 

 

Tombées dans l’oubli pendant plus de 40 ans, les bandes sonores restaurées pour les besoins du documentaire dévoilent des témoignages d’une sincérité brutale. Pour accompagner les archives colorisées des concerts de Billie Holiday, James Erskine exhume aussi des images prêtées par la famille de la journaliste. Si Billie (2020) peine à se concentrer sur la carrière hors norme de Billie Holiday et son influence sur la scène jazz américaine, ce sont les portraits entrecroisés de ces deux femmes aux destins tragiques qui font bel et bien le sel de ce documentaire.

 

 

Billie (2020) de James Erskine, en salle le 30 septembre 2020.