Pourquoi l’actrice punk Béatrice Dalle nous fascine-t-elle autant ?
Alors que Béatrice Dalle est à l’affiche du long-métrage La Passion selon Béatrice produit par Saint Laurent Productions et qu’elle sera au centre d’un cycle de films sur Mubi, le 6 décembre 2024, Numéro revient sur la vie, chaotique et fascinante, et la carrière exigeante d’une actrice hors-norme, qui infuse le cinéma français de son aura rock’n’roll.
par Violaine Schütz.
En août 2023, dans le troublant et très métaphysique La Bête de la jungle, l’actrice Béatrice Dalle, 59 ans, crevait l’écran en physionomiste de club envoûtante parée d’une cape Saint Laurent qui contait, de sa voix rauque et sexy, les aventures d’un couple qui peine à s’aimer.
Béatrice Dalle, actrice talentueuse et fascinante célébrée par MUBI
En novembre 2023, on retrouvait ce timbre pénétrant et ténébreux en voix off du documentaire Béatrice Dalle, à prendre ou à laisser, disponible sur le site de France TV, qui racontait la vie chaotique de la fascinante comédienne.
Plus récemment, en janvier 2024, l’actrice irradiait l’affiche du film carcéral, romantique et émouvant, Le bonheur est pour demain aux côtés de Laetitia Casta. Et depuis le 20 novembre, elle est à l’affiche du très habité La Passion selon Béatrice, dans lequel elle marche sur les traces de Pier Paolo Pasolini. Pour résumer, le magnétisme de Béatrice Dalle est éternel… Et cela tient autant à son talent de comédienne qu’à sa personnalité, poétique et écorchée.
Alors qu’elle fait l’objet d’une rétrospective de ses meilleurs films sur la plateforme MUBI (un cycle nommé Passion Béatrice Dalle), dès le 6 décembre 2024, Numéro revient sur l’existence et la carrière d’une artiste hors norme, qui infuse le cinéma français de son aura rock’n’roll.
Béatrice Dalle est l’anti nepo baby
Contrairement à de nombreuses stars de la jeune génération (Lily-Rose Depp, Margaret Qualley), Béatrice Dalle ne vient pas du tout d’un milieu artistique ou aisé. Fille d’un enfant de la DDASS, ancien fusilier marin devenu mécanicien et d’une mère au foyer, Béatrice Françoise Odona Cabarrou, née à Brest en 1964, grandit dans une cité HLM du Mans, dans un contexte modeste, ennuyeux et tendu. La jeune fille ne s’entend pas avec ses parents, qu’elle trouve racistes, voire “fachos », et désire plus de liberté. Elle a aussi du faire face, à 6 ans, aux attouchements de son grand-père.
Adolescente rebelle, elle fugue, et dit avoir l’impression d’être née adulte. “Je n’écoutais pas ce qu’on me disait, je n’écoutais que moi et ça n’a pas changé jusqu’à aujourd’hui« , confiait-elle au Monde en 2020. Un an plus tôt, la comédienne ténébreuse avouait au micro de France Inter : “Il y a eu un drame (avec mes parents, ndlr). Comme je voulais me sauver sans qu’ils s’en rendent compte, avec une copine on a mis des trucs dans leurs verres pour qu’ils s’endorment et en fait ils l’ont vu, et ça les aurait tués s’ils avaient bu. Donc on m’a déjà foutue en hôpital psychiatrique pour tentative de parricide.”
L’actrice de 37°2 le matin a été découverte dans la rue
Béatrice Dalle n’a pas encore 15 ans quand elle débarque à Paris des rêves plein la tête. Elle vit dans la rue, fréquente le milieu punk, sort aux Bains Douches, adore les concerts (notamment des Bérurier Noir) et forcément, sa beauté punk tape dans l’œil des Parisiens. Crinière noire corbeau, bouche démesurée, regard de sorcière… Elle incarne à la perfection les années 80, décadentes, exaltées et sauvages. La légende veut qu’à 19 ans, alors que la jeune femme tout juste mariée au peintre Jean-François Dalle fait la manche sur les Champs-Élysées, elle attire le regard d’un mannequin nommé Rudy Verwey qui lui propose de la présenter à son agence.
C’est cette Béatrice Dalle là, animale, rafraîchissante et irrésistible, que l’on retrouve dans le film culte et générationnel 37°2 le matin (1986). Jean-Jacques Beineix y filme une actrice pleine de fougue qui se plonge à corps perdu dans le rôle de la sexy et intense Betty, décrite comme une jeune femme au bord de l’abîme (elle va sombrer dans la folie) qui ne ressemble à personne d’autre. Coups de sang, sexe et idylle passionnelle… Le long-métrage très charnel est devenu l’objet fétiche de ceux qui aiment avec déraison.
Béatrice Dalle : des rôles trash et des propos cash
L’actrice proche de la maison Saint Laurent a joué dans peu de films commerciaux et ses choix artistiques exigeants, borderline et judicieux, des long-métrages anticonformistes aux univers forts et souvent décalés ou trash – signés Jim Jarmusch, Claire Denis, Olivier Assayas, Christophe Honoré, Michael Haneke, Abel Ferrara, Virgnie Despentes, sa grande amie, ou encore Gaspar Noé -, parlent pour elle.
Ce sont des longs-métrages qui ne laissent jamais indifférents à l’image du sanglant Trouble Every Day (2001) de Claire Denis, qui, en raison de ses scènes de cannibalisme réalistes (Béatrice Dalle y incarne une femme vampire à la passion dévorante), a poussé de nombreux spectateurs à quitter les salles obscures. On pourrait aussi citer, parmi ses films les plus symboliques, le troublant La Sorcière (1988), dans lequel la comédienne incarne la patiente d’un psychiatre qui se prend pour une sorcière du XVIIe siècle.
Mais ce sont aussi ses propos sans filtre ou trash qui ont participé à l’ériger en icône punk. Bien avant le mouvement #MeToo et l’enquête judiciaire ouverte contre Patrick Poivre d’Arvor, Béatrice Dalle exposait les travers du présentateur alors qu’elle était l’invitée du journal de 20 heures en direct sur TF1, en 1992. Invitée dans le cadre de la promotion du film La Belle Histoire de Claude Lelouch, l’actrice est interrogée par PPDA sur un vol de bijoux – qu’elle avait caché dans ses cuissardes – pour lequel elle a été condamnée, alors qu’elle avait prévenu ne pas vouloir aborder ce sujet, en amont. Elle répond alors au journaliste : “Et vous, est-ce que vous regrettez certaines lettres que vous m’avez envoyées ? Et dont je ne vous aurais jamais parlé si vous ne m’aviez pas posé cette question, alors que l’on vous avait demandé avant de vous taire ?”
Argent, sexe, drogue… Des interviews sans tabou
Lors de ses – rares – interviews, l’indocile Béatrice Dalle aborde des sujets souvent tabous comme l’argent, la drogue – elle avoue avoir été accro à l’héroïne pendant 10 ans – ou le sexe. Elle a notamment confié à Léa Salamé lors de l’émission Stupéfiant ! sur France 2 : “Je suis à moins mille sept cents balles sur mon compte, j’ai pas d’appart, j’ai pas de bagnole, j’habite chez un pote. Moi, je ne fais que des films indépendants. Je ne fais que du théâtre subventionné. J’ai jamais une thune.”
Plus provocatrice, la comédienne avait déclaré, en 2017, dans les colonnes de Libération, avoir déjà mangé un bout de cadavre humain. “Ça n’avait absolument aucun goût. Comme on avait pris beaucoup de drogues, ma copine et moi, peu importe ce qu’on aurait mangé, on n’en aurait eu aucun souvenir. (…) Moi, c’était un petit bout d’oreille, trop cartilagineux pour avoir un goût particulier. Ma copine était étudiante en médecine. Dans son apprentissage, elle prenait des cours de dissection et je l’ai accompagnée une ou deux fois. (…) Je suis prête à tout expérimenter, sinon la vie m’ennuie. Ce qui me tient à cœur, c’est de ne pas atteindre à l’intégrité physique et morale des gens. A partir de là, je fais ce que je veux de ma vie.”
Les amours tumultueuses de Béatrice Dalle, de Rupert Everett à JoeyStarr
Le peintre Jean-François Dalle, l’acteur Rupert Everett, l’avocat Arno Klarsfeld, Jim Jarmusch ou encore le rappeur JoeyStarr, qu’elle a failli épouser… La vie amoureuse mouvementée de Béatrice Dalle a souvent fait la une des tabloïds. Mais celle qui a été la plus décriée reste son histoire avec Guénaël Meziani, un homme incarcéré pour avoir violé et séquestré l’une de ses anciennes compagnes. Après l’avoir rencontré dans une prison de Brest, sur le tournage du film Tête d’or de Gilles Blanchard, elle l’épouse en 2005 (en prison) avant de divorcer en 2013 de cet homme devenu violent envers elle après sa sortie de prison.
Celle qui n’a pas eu d’enfant et qui n’hésite par à fréquenter des hommes plus jeunes ou naviguant en dehors de son milieu (comme un professeur de MMA) incarne aujourd’hui la liberté et l’indépendance. Une forme d’intransigeance et de contestation rare dans le cinéma français.
Celle qui ne cesse de déclarer son amour pour Kurt Cobain – elle lui a rendu hommage lors du festival du Printemps de Bourges 2024 – et pour le Christ a d’ailleurs fait encrer sur son bras une phrase de son idole, Pasolini, qui en dit long sur son statut d’éternelle marginale : “Mon indépendance qui est ma force induit ma solitude qui est ma faiblesse.”
Une artiste passionnée par Pier Paolo Pasolini
Aujourd’hui, c’est dans un film intitulé La Passion selon Béatrice (2024) réalisé par Fabrice Du Welz et produit par Saint Laurent Productions que l’actrice prouve une nouvelle fois à quel point elle est une actrice majeure. Dans ce long-métrage émouvant, on la voit traverser l’Italie sur les traces de Pier Paolo Pasolini, poète, romancier, essayiste et cinéaste italien, mais l’un des hommes de sa vie (avec Jean Genet et Kurt Cobain).
À propos de ce nouveau projet, le réalisateur belge qui a récemment présenté le film Maldoror (2025) à la Mostra de Venise, confiait lors d’une interview au média Cineuropa : “Il y est question de notre passion commune pour le cinéma et la figure de Pier Paolo Pasolini. Je l’ai tourné dans un laps de temps très court, en noir et blanc.” Ce docu-fiction dresse un parallèle entre Béatrice Dalle et Pier Paolo Pasolini : les deux artistes marginaux, géniaux et transgressifs sont aussi des êtres très poétiques et vivants. Des personnages ultra romanesques, atypiques et spirituels comme on n’en trouve plus tellement aujourd’hui.
La Passion selon Béatrice (2024) de Fabrice Du Welz, avec Béatrice Dalle, actuellement au cinéma. Le cycle Passion Béatrice Dalle débutera sur MUBI le 6 décembre 2024.