22 nov 2022

Bones and All : pourquoi on n’a pas digéré le nouveau film de Luca Guadagnino

Le réalisateur italien Luca Guadagnino (Call Me by Your Name, Suspiria) entend frapper fort avec son nouveau film choc, le sanglant et romantique Bones and All mettant en scène un Timothée Chalamet à contre-emploi dans le rôle d’un cannibale amoureux. Mais parvient-il à nous émouvoir avec un grand film sur l’Amérique des désaxés ? Ou frôle-t-on l’indigestion face à un road trip(es) criminel vu et revu ?

En 2017, le réalisateur italien Luca Guadagnino créait l’événement avec son film Call Me by Your Name, qui révélait le charisme et le talent de Timothée Chalamet au grand jour. Il y racontait avec onirisme la romance estivale, dans les années 80, entre deux jeunes hommes au sein d’une magnifique villa. Globalement acclamé par la critique, le long-métrage nous avait semblé, à certains moments, un brin mièvre, kitsch et grandiloquent. On avait parfois l’impression d’assister à une parodie queer de Rohmer.

 

Une Amérique des désaxés visitée mille et une fois

 

Avec Bones and All, qui sort ce mercredi 23 novembre, Luca Guadagnino s’apprête à faire encore parler de lui, surtout qu’il dirige une fois de plus le « chouchou » de la Gen Z, qui provoque des émeutes à chacune de ses apparitions : Timothée Chalamet. Bones and All, qui raconte une romance anthropophage entre deux outsiders (interprétés par Timothée Chalamet et la révélation Taylor Russell) a de quoi séduire. Le road trip aimante par ses paysages magnifiques d’une Amérique des grands espaces (parcourue par les deux amoureux en voiture) et sa bande-son, qui convoque New Order et Joy Division mais aussi des compositions originales de Trent Reznor et Atticus Ross.

 

Mais ce film qui parle d’errance et de désaxés nous perd souvent en route. Le film interdit aux moins de 16 ans nous embarque sur les traces de Maren, une jeune fille qui recherche sa mère, qu’elle n’a pas connue, et de Lee, un adolescent rebelle qui connaît des difficultés familiales, à la fin des années 80. Les deux héros se reconnaissent l’un dans l’autre, dès le premier regard. En effet, ils partagent la même appétence pour la chair humaine et le même sentiment de rejet de la part de la société. Les marginaux cannibales et romantiques passent en effet pour des monstres, par leurs allures grunge, leurs backgrounds socio-culturels défavorisés et leurs goûts différents. Sauf que par son thème, Bones and All se place en concurrence avec un grand nombre de chefs-d’oeuvre sur des amoureux en marge et en fuite : Bonnie et Clyde (1967), La Balade sauvage (1973), True Romance (1993), Thelma et Louise (1991) ou encore Sailor et Lula (1990).

Timothée Chalamet et Taylor Russell par Yannis Drakoulidis © Metro Goldwyn Mayer Pictures

Un « road trip(es) » sans nerfs

 

Sans compter les films sur le passage à l’âge adulte (les « coming-of-age movies »), une veine déjà très épaisse dans laquelle Bones and All s’inscrit. Souvent, Guadagnino évoque les héros white trash de Jim Jarmusch et Gus Van Sant sans atteindre la poésie de ces derniers. Cumulant les clichés (les motels sordides, les mobile-homes vintage, les flirts à la supérette et les baignades dans le lac presque nus), ce Bones and All manque de chair et de nerfs. Tel un « road trip(es) » qui reste en surface des sentiments. Même si les corps et les visages des héros sont sexy en diable, on ne ressent pas les émotions intenses que devrait provoquer ce récit sur l’âge de tous les possibles.

 

Pour renouveler le genre du film de teenagers maudits, Luca Guadagnino ose des scènes, éprouvantes, de cannibalisme. Et tisse la métaphore de l’amour qui dévore tout sur son passage. Sauf qu’il fait tout pour faire naître de l’attachement et de la tendresse envers ces deux héros-parias qui, si charmants soient-ils, restent des serial killers. Comble du mauvais goût ? Armie Hammer, l’autre acteur phare de Call Me by Your Name, a été épinglé pour ses fantasmes cannibales, dans la vie réelle. Heureusement, Luca Guadagnino nous épargne le caméo. Par contre, il n’hésite pas à mixer de manière vampirique et boulimique toutes les références (à d’autres films) et tous les thèmes cinégéniques (le spleen adolescent, la quête identitaire, l’addiction) pour offrir un croisement, raté, entre Trouble Every Day (2001), Aux frontières de l’aube (1987) et Tueurs nés (1994) aussi indigeste que faussement provoquant.

 

« Bones and All » (2022) de Luca Guadagnino avec Timothée Chalamet et Taylor Russell, actuellement en salle.