10 films queer à regarder gratuitement
Kenneth Anger, Barbara Hammer, Derek Jarman… nombreux sont les cinéastes, mais aussi artistes performeurs et activistes, à avoir marqué l’histoire de la culture queer. À une époque où il fait bon rester chez soi, découvrez en accès libre sur Internet dix films ayant marqué l’histoire d’un cinéma queer, underground et définitivement transgressif.
Par Matthieu Jacquet.
1. Kenneth Anger, le pionnier du cinéma queer
En 1947, Kenneth Anger réalise Fireworks, un court-métrage qui marquera son statut de pionnier du cinéma queer. Âgé aujourd’hui de 93 ans, le cinéaste américain a depuis développé une œuvre passionnante riche d’une trentaine de films. La plateforme Ubu propose gratuitement de visionner huit d’entre eux, datés de 1949 à 2009 : souvent silencieux, accompagnées par des musiques de choix (de Vivaldi à Elvis Presley), ceux-ci se caractérisent par leurs mises en scène, costumes et décors surréalistes et leur caractère parfois mystique qui proposent une véritable réflexion sur la forme et l’esthétique cinématographique. Parmi eux, on retrouve notamment Scorpio Rising (1963), dans lequel Kenneth Anger s’inspire de la communauté des bikers et de leurs vêtements et accessoires, auxquels il ajoute une évidente dimension homoérotique. Censuré à sa sortie, le film a conduit le réalisateur jusqu’à la Cour suprême et reste considéré aujourd’hui comme l’une des œuvres fondatrices du cinéma post-moderne.
2. Les secrets de Catherine Opie, portraitiste des marginaux
Ce documentaire de 15 minutes permet de revisiter la carrière de la photographe américaine Catherine Opie, qui y fait elle-même le récit de son œuvre en commençant par ses portraits réalisés au début des années 90. À l’époque, l’artiste se fait remarquer en photographiant des amis et connaissances de son entourage, personnages marginaux exclus de la société en raison de leur apparence, de leur identité de genre, de leur sexualité ou de leur style vestimentaire. En 1994, alors que bon nombre de ses proches meurent des suites du sida, Catherine Opie réalise un autoportrait particulièrement percutant où elle apparaît recouverte d’une cagoule, l’inscription “Pervert” tatouée en rouge sur sa poitrine et des aiguilles insérées tout le long de ses bras. Une manière délibérément engagée de “reprendre ses droits sur son corps, sur celui des queers” et sur ce que leurs détracteurs peuvent en dire.
3. Les parodies kitsch et fantasques de Tom Rubnitz
Nourri par la télévision, la publicité et la pop culture produite par les médias de masse, le cinéaste américain Tom Rubnitz réalise du début des années 80 au début des années 90 une série de mini-films loufoques et kitsch ancrés dans la culture underground new-yorkaise de l’époque. Jouant volontiers avec les stéréotypes contemporains, ses parodies irrévérencieuses, absurdes et délicieusement camp mettent en scène des personnalités phares de sa communauté, à l’instar des drag-queens RuPaul et Lady Bunny ou encore de l’artiste activiste David Wojnarowicz. Plusieurs de ses vidéos sont disponibles sur Youtube, dont le film Pickle Suprise !, réalisé en 1989 et devenu viral via Internet il y a quelques années.
4. Le corps comme vous ne l’avez jamais vu avec Barbara Hammer
Des années 70 jusqu’à sa disparition il y a un an, la réalisatrice américaine Barbara Hammer a utilisé le cinéma afin d’interroger la politique, la sexualité, la place des lesbiennes et plus généralement celle des femmes dans la société. Si ses films Dyketactics (1974) et Women I Love (1976) sont aujourd’hui considérés comme les premiers films ouvertement lesbiens de l’histoire du cinéma, la cinéaste a poursuivi depuis une pratique résolument expérimentale, explorant de nombreuses techniques et formats. En atteste le court-métrage Sanctus (1993), dans lequel Barbara Hammerpropose un regard nouveau – voire hallucinatoire – sur le corps humain en le filmant aux rayons X. Sur une musique obsédante composée par Neil Rolnick, le corps se voit sacralisé et désincarné dans les situations les plus triviales, en train de boire un verre de de lait ou de se laver les mains.
5. Derek Jarman : le cinéma queer en majesté
Si la carrière de Derek Jarman n’a duré que vingt ans, elle a suffi à l’affirmer comme une figure majeure du cinéma expérimental et underground au Royaume-Uni, mais aussi un artiste particulièrement engagé dans la lutte contre le sida jusqu’à son décès à 52 ans. Sebastiane, son premier long-métrage réalisé en 1976 est certainement l’un de ses films les plus célèbres. Le réalisateur britannique s’y inspire de l’histoire de saint Sébastien, chrétien romain devenu martyr qui a beaucoup inspiré les artistes et que les représentations picturales depuis le XVe siècle ont doté d’un caractère indéniablement homoérotique. Ici, Derek Jarman présente une libre adaptation – intégralement tournée en latin – 7de ce mythe. S’ouvrant avec une séquence orgiaque, celle-ci suit la vie de Sébastien dans une garnison de soldats jusqu’à son exécution, où ces derniers l’attachent, nu, à un poteau et lui transpercent le corps de leurs flèches. Outre ce film magistral, la Stoschek collection propose également actuellement une sélection de ses courts-métrages en Super 8.
6. Wigstock : au cœur du plus grand festival drag d’Amérique
Baptisé en clin d’œil parodique à Woodstock, désormais remplacé par “wig” (“perruque”, en anglais), le festival Wigstock est né en 1984 à Manhattan sur l’initiative d’un groupe de drag-queens américaines, dont Lady Bunny. Pendant des années, celui-ci a permis de mettre en avant de nombreux performeurs queer de l’époque dans l’East Village à une époque terrassée par la crise du sida. Si Tom Rubnitz avait proposé une première documentation du festival dans les années 80 à travers un film de 20 minutes, le documentaire réalisé par Barry Shils en 1994 montre à quel point celui-ci est devenu en dix ans un rendez-vous majeur pour la communauté LGBT américaine. Alors en passe de devenir la drag-queen la plus célèbre du monde, RuPaul y apparaît notamment sur scène pour jouer son célèbre titre Supermodel of the world. 17 ans après sa dernière édition, le Wigstock a fait son grand retour en 2018.
7. Pink Narcissus, une rêverie homoérotique de James Bidgood
Dans un Éden enrobé de rose et agrémenté de fleurs et de moulures mordorées, un éphèbe apparaît et se contemple dans le miroir. Aux confins du fantasme et de la réalité, le film Pink Narcissus réalisé par James Bidgood illustre les rêveries homoérotiques d’un jeune gigolo incarné par Bobby Kendall, qui deviendra la muse du photographe et cinéaste américain. Pour imaginer et tourner ce film fantastique long de plus d’une heure, ce dernier aura travaillé pendant plus de sept ans. Sous l’impulsion de ses financiers, le film sort en 1971 avant d’avoir été finalisé – un conflit qui conduit James Bigdood à refuser de le signer à l’époque. Près de cinquante ans plus tard, Pink Narcissus est considéré comme l’une des œuvres majeures et pionnières du cinéma queer ainsi que l’apogée de la carrière de son réalisateur.
8. Genesis P-Orridge et Lady Jay : une histoire d’amour et d’identité
Il y a seulement quelques jours s’éteignait des suites d’un cancer la musicienne et performeuse britannique Genesis P-Orridge. Dès les années 60, cette artiste et chanteuse britannique fut une figure de l’underground au Royaume-Uni, précurseure du mouvement punk et pionnière de la musique industrielle avec son groupe Throbbing Gristle. Connue pour ses performances outrageuses réalisées dans les années 70 et plus généralement pour son goût immodéré pour la transgression, celle-ci a pris au début des années 2000 une décision : réaliser une série d’opérations de chirurgie plastique afin d’adopter la même apparence que sa seconde épouse Lady Jay. La cinéaste française Marie Losier filme cette période phare dans la vie de l’artiste, faisant le récit d’une histoire d’amour qui confine à la fusion traversée par les questionnements identitaires qui habitent alors Genesis.
En 2002, la réalisatrice Leilah Weinraub commence à filmer les clubs de striptease lesbiens de Los Angeles en suivant notamment un groupe d’artistes et performeuses, les Shakedown Angels. Tournées pendant 15 ans, les images de ce documentaire montreront la vie de ces ces établissements emblématiques de la culture underground, queer et afro-américaine à travers le quotidien de ses actrices, les questions liées au travail du sexe et à l’argent, ou encore l’évolution d’une métropole en pleine gentrification qui donnera lieu à de nombreuses représailles policières. Projeté au MoMA et à la Berlinale en 2018, le documentaire marque l’histoire de la plateforme Pornhub en devenant le premier film non pornographique à y être diffusé – une manière habile de contrebalancer le regard masculin dominant dans l’écrasante majorité des vidéos proposées par le site.
10. Marsha P. Johnson : portrait d'une légende du militantisme queer
New York, la nuit du 27 au 28 juin 1969 : une foule de clients du bar Stonewall Inn s’oppose violemment à la police qui tente de les arrêter, à une époque où boire des boissons alcoolisées dans des lieux publics était interdit aux homosexuels. Considérées comme l’éclosion des luttes LGBTQ+ aux États-Unis, les émeutes de Stonewall ont notamment donné lieu à la création de la marche des fiertés un an plus tard. En 2012, le réalisateur Michael Pasino rend hommage à l’une des initiatrices de cet événement fondateur : Marsha P. Johnson. Cette activiste transgenre et travailleuse du sexe consacra sa vie à la lutte pour les droits des personnes queer, en créant notamment un groupe d’aide aux drag queens et aux femmes sans abri puis en militant au sein de l’association d’Act Up. À travers ses mots et ceux des personnes qui l’ont connue, le documentaire Pay It no Mind : Marsha P. Johnson retrace la vie d’une légende bien vivante, malgré sa disparition en 1992.
Retrouvez la liste complète du Leeds Queer Film Festival ici.
Depuis ses débuts timides dans les années 40, le cinéma queer a connu de nombreuses transformations, nourri par l’évolution du 7e art et de la culture, mais aussi des mœurs, de la politique et de la place des personnes homosexuelles, bisexuelles et transgenres dans la société. Il y a quelques jours, le Leeds Queer Film Festival consacré au cinéma LGBTQ+ a proposé une liste non exhaustive de films disponibles en ligne gratuitement. On y retrouve, entre autres, les films et œuvres de réalisateurs pionniers du cinéma queer tels que Kenneth Anger, James Bidgood et Baraba Hammer, mais également des films consacrés à des artistes transgressifs tels que Catherine Opie et Genesis P-Orridge ou à des figures emblématiques de la communauté LGBTQ+, telles que RuPaul ou Marsha P. Johnson. Entre fictions et documentaires, parodies et pastiches, longs-métrages homoérotiques et courts-métrages expérimentaux, voici notre sélection de dix films queer à (re)découvrir sans modération.