6 fév 2025

Pourquoi a-t-on adoré le teen movie solaire et politique La Pampa ?

Premier long-métrage du réalisateur Antoine Chevrollier, La Pampa était présenté en avant-première au Festival de Cannes dans la section de la Semaine de la Critique. Avec un casting composé de jeunes acteurs au potentiel stellaire, le film émeut par la subtilité de sa narration sur les identités queer en milieu rural. Chronique.

La bande-annonce du film La Pampa (2025).

La Pampa ou l’art de raconter les ruralités contemporaines

Tout commence avec un fond noir. Seuls transparaissent les railleries et les éclats de rire d’une bande de jeunes hommes, puis les claquements d’une moto qui tarde à démarrer. Et là, surgit le soleil. Sublimés par la photographie de Benjamin Roux, les rayons de lumière orangés irradient le village de Longué-Jumelles, une petite commune du Maine-et-Loire. 

Comme beaucoup d’autres cinéastes avant lui, le réalisateur Antoine Chevrollier (Oussekine, Baron noir) choisit de planter le décor de son premier long-métrage dans sa ville d’enfance. Sayyid El Alami (Leurs enfants après eux) et Amaury Foucher (dont c’est la première fois à l’écran) jouent les deux moitiés du duo inséparable formé par Willy et Jojo. Le premier est un champion de moto-cross qui s’entraîne sur le circuit de La Pampa, devant le regard froid et exigeant de son père (Damien Bonnard). À côté de son activité de mécanicien, le second se prépare aux épreuves du baccalauréat, tout en essayant de faire le deuil de son père, décédé il y a quelques années. 

La Pampa existe vraiment : c’est un circuit à côté duquel j’ai grandi jusqu’à mes 19 ans.” Antoine Chevrollier

Sélectionné au Festival de Cannes 2024 dans la section de la Semaine de la Critique, La Pampa n’est pas un film entièrement autobiographique. Dans le cadre d’une avant-première à laquelle Numéro a assistée, Antoine Chevrollier confie à une audience conquise que “La Pampa existe vraiment : c’est un circuit à côté duquel j’ai grandi jusqu’à mes 19 ans. Et lorsque j’ai pensé à mon premier long-métrage, je suis revenu dans ce village. J’ai cherché à retranscrire les sensations que j’avais éprouvées alors. Mais je voulais mettre de la distance avec ce village et les trajectoires de ses habitants.”

Sayyid El Alami et Amaury Foucher, acteurs puissants de ce coup d’éclat queer

Au-delà des courses de moto sur les dunes de La Pampa, le réalisateur fait de la ruralité, la toile de fond de son intrigue. Il montre comment le politique s’immisce et structure le vécu de personnes trop peu souvent représentées dans le cinéma français contemporain. Le cinéaste met en lumière les fractures entre les classes sociales, les regards pernicieux sur la sexualité d’une jeune femme, le poids des exhortations à la masculinité ou même la façon dont les institutions oublient parfois les personnes âgées – toujours avec justesse et poésie.

Au détour d’une nuit noire, Willy (Sayyid El Alami) découvre l’homosexualité de Jojo (Amaury Foucher). Ce dernier entretient une relation avec son entraîneur (Artus) sans que personne ne s’en doute. La Pampa élude une représentation trop conventionnelle du coming out. En effet, il ne constitue pas un instant de rupture entre les deux protagonistes, mais plutôt le moment où leur amitié se consolide plus que jamais. Le malentendu entre les deux se dissipe assez vite, laissant place à de tendres taquineries assénées sur le carrelage blanc de vestiaires de sport.

C’est peut-être là que se tient le point d’orgue du film : cette tranquille complicité qui unit Sayyid El Alami et Amaury Foucher tout au long de La Pampa. Une alchimie à laquelle le réalisateur Antoine Chevrollier tenait impérativement. Facétieux, l’acteur Amaury Foucher explique : “Un jour, les producteurs du film nous ont pris des billets pour Saumur avec Sayyid [El Alami]. Antoine [Chevrollier] nous a juste dit : ‘Vous partez trois jours, faites votre vie ! Donc aimez-vous, détestez-vous, je m’en fous. Mais il faut qu’il se passe un truc entre vous.

La force du cinéma, c’est cette capacité à faire surgir des récits invisibilisés. Amaury Foucher

À travers la relation entre les deux personnages principaux, Antoine Chevrollier et ses deux co-scénaristes Bérénice Bocquillon et Faïza Guène filent un récit queer encore assez rare dans les milieux ruraux. “J’ai pu me rendre compte qu’on a encore assez peu d’études sur les identités queer en ruralité alors que c’est un sujet important.” Le réalisateur poursuit : “En persistant à mettre en récit le sujet de l’homosexualité dans cette sphère-là, je crois au pouvoir du cinéma à susciter de l’empathie chez les gens” explique le réalisateur.

Amaury Foucher note de son côté : “La force du cinéma, c’est cette capacité à faire surgir des récits invisibilisés. Des histoires fortes sur la façon dont l’homophobie peut parfois détruire des vies.

Un coming-of-age movie français très réussi 

La Pampa est donc avant tout un récit sur l’amitié qui s’inscrit à merveille dans les dynamiques du coming-of-age movie. Ensemble, Sayyid El Alami et Amaury Foucher vivent toutes les fulgurances de l’adolescence. Les premiers amours – avec une Léonie Dahan-Lamort remarquable en artiste en herbe au tempérament assuré –, les premières soirées, les premières transgressions, les premiers débordements d’émotion ainsi que les premiers deuils. 

Le film se concentre sur les petites révolutions qui ne parviennent pas à renverser la force du destin. Si les nuages de poussière levés par les motos finissent par se dissiper, les images distillées dans La Pampa restent gravées dans la rétine à la sortie du film. Un premier long-métrage brillant qui laisse présager un avenir radieux pour Antoine Chevrollier et ses jeunes acteurs…

La Pampa (2025), de Antoine Chevrollier avec Sayyid El Alami, Amaury Foucher et Léonie Dahan-Lamort, actuellement au cinéma.