La Fondation van Gogh dévoile une étrange découverte photographique
À Arles, cet été, la Fondation Vincent van Gogh propose une étonnante découverte : des photographies, élégiaques et fantaisistes à la fois, de Roberto Donetta. Un personnage digne d’un roman rural du XIXème, né dans la vallée du Tessin en Suisse en 1865….
Par Thibaut Wychowanok.
À Arles, cet été, la Fondation Vincent van Gogh propose une étonnante découverte : des photographies, élégiaques et fantaisistes à la fois, de Roberto Donetta. Personnage digne d’un roman rural du XIXème, né dans la vallée du Tessin en Suisse en 1865, Donetta est redécouvert par hasard dans les années 80 par une habitante de Corzoneso. Ses clichés noir et blanc, jusqu’ici inconnus du grand public, oscillent entre ciel et terre, entre paysages merveilleux habités par la présence divine et portraits pittoresques, teintés d’humour et de tendresse.
Donetta travaille comme vendeur ambulant de châtaignes grillées lorsqu’il se pique de photographie. Le sculpteur Dionigi Sorgesa lui offre un appareil qui capturera ses premiers portraits en 1904. Ses photographies forment un intéressant corpus documentaire d’une époque en transition. En ce début de xxe siècle, les paysans quittent la campagne pour la ville, l’ouvrier forme une nouvelle figure rurale avec la construction des routes et des ponts, et la mode du portrait de famille se démocratise. Les paysages se transforment sous l’effet de l’industrialisation. Mais Roberto Donetta nous offre surtout une fenêtre sensible et empreint d’une grande spiritualité sur ce monde : une plongée en son cœur, aux côtés d’êtres photographiés dans toute leur humanité. Les veillés mortuaires sont à cet égard magistralement photographiées. C’est que les visages et les corps sont ceux de ses frères et sœurs de la vallée.
Son esprit baroque et son humour bouleversent tout autant. On croit qu’il capture une procession religieuse, mais son véritable sujet est la montagne brumeuse et divine. On pense qu’il documente une scène de campagne – un mouton prêt à être tondu –, mais c’est à une farce que l’on assiste. Le mouton semble nous tirer la langue. L’agitation qui l’entoure rappelle les films de Buster Keaton. La liberté que le photographe prend vis-à-vis des canons formels de la photo de l’époque fait bien plus qu’amuser. Sans studio, il shoote les familles de la vallée tels des bourgeois, en suspendant des toiles devant leur porte. Mais les pieds sont boueux. On distingue la pauvreté, toujours digne, à de petits détails. Donetta est un photographe du pas de côté. Comme le fait remarquer l’une des deux commissaires de l’exposition, Julia Marchand, on pourrait facilement se croire devant des campagnes Gucci passées en noir et blanc. Car il y a déjà, en ce début de siècle, ce baroque, cette fantaisie propre à Alessandro Michele, cet esprit de détournement empreint de symbolisme, de religieux et d’iconoclasme.
L’exposition fait dialoguer les clichés de Donetta avec une peinture de Vincent van Gogh, Square Saint-Pierre au coucher du soleil (1887). Le choix peut paraître incongru. La toile n’appartient pas à sa période arlésienne (ville où la Fondation s’est installée) et ne représente pas la nature rurale de Donetta. Il s’agit d’un square du XVIIIème arrondissement parisien. Mais le sujet est champêtre, et correspond bien à cette période de Donetta où ville et campagne s’entremêlent et se reconfigurent. Le coup de pinceau est fluide, la nature se transforme en danseuse effectuant des chorégraphies sensuelles. Cet esprit de liberté, ce vent élémentaire traversant le tableau est le même que celui que l’on retrouve dans les clichés du photographe. La nature et l’atmosphère y sont tout aussi changeante, capturés au moment d’un bouleversement à venir.
Les commissaires de l’exposition Bice Curiger et Julia Marchand ont également fait le choix d’inviter au dialogue avec des artistes plus contemporains. Tout aussi picturale et mouvante, les vidéos expérimentales de Rose Lowder évoquent une nature vacillante. L’image de ses tournesols semble avoir été retouché digitalement pour créer une vibration picturale en écho à Van Gogh. Mais cet effet est en réalité réalisé manuellement lors du tournage en manipulant la pellicule. Faisant écho à l’aspect plus terrien de Donetta, Natusko Uchino propose des sculptures céramiques mêlant différents éléments de l’environnement arlésien. Ses carrés réalisés à partir de rebuts de terre, accrochés au mur comme des portraits de famille, forment une intéressante galerie de paysages qui ne sont pas sans rappeler certains tableaux de Jean Dubuffet où la toile se métamorphosait en matière terreuse. Là encore, les oeuvres contemporaines semblent témoigner physiquement et dans l'espace de la nature photographiée par Donetta.
Cyprien Gaillard, lui, propose des têtes excavatrices en métal « décorées » de minéraux rares en provenance d’Iran et d’Utah. Évocation des forces constructrices (d’infrastructures) et destructrices (de la nature) à l’œuvre dans le monde, la sculpture embrasse, entre autres choses, le processus de de modernisation galopante dont Donetta fut l’un des premiers témoins dans sa vallée. L’imagerie des chantiers est convoquée mais l’artiste français donne au phénomène une dimension mondiale, rappelant par ses pierres précieuses la cartographie globalisée de l’industrie des minéraux. Tissant le fil entre le local et le global, comme Donetta capturait un monde entre terre et ciel.
La complicité : Roberto Donetta (1865-1932). Jusqu'au 13 septembre à la fondation Vincent van Gogh, Arles.