Qui est Tarik Kiswanson, lauréat du prix Marcel-Duchamp 2023 ?
Connu pour une pratique mêlant sculpture, dessin, performance et vidéo, Tarik Kiswanson développe depuis dix ans une œuvre ambiguë marquée par l’expérience du déracinement. Exposé actuellement au Centre Pompidou, l’artiste d’origine suédoise remporte ce lundi 16 octobre le prestigieux prix Marcel-Duchamp.
Par Matthieu Jacquet.
Tarik Kiswanson, artiste lauréat du prix Marcel-Duchamp 2023
Un immense cocon blanc flotte entre deux cimaises au quatrième étage du Centre Pompidou. À sa gauche, une commode métallique semble elle aussi suspendue dans le vide, composant un espace qui défie la gravité. Alors que l’on pénètre ensuite la salle investie jusqu’au mois de janvier par Tarik Kiswanson, l’étonnement continue : d’autres cocons apparaissent, l’un sur le mur, l’autre, plus petit, sous une armoire vide en bois ouverte. Serait-ce ici la promesse d’un avenir incertain, germant sous un mobilier marqué par l’absence ? D’autres œuvres livrent de nouveaux indices : dans une vidéo en plongée projetée sur un écran vertical, un élève préadolescent se balance au ralenti sur sa chaise d’école. Sur un discret dessin au fusain, la silhouette d’un enfant apparaît derrière une main poussée contre une cloison invisible. Au sol, une bougie contenue dans un bloc de résine bleutée semble figée dans sa consomption, alors que résonnent dans la pièce des sonneries de téléphone. Récompensé ce lundi 16 octobre 2023 par le 23e prix Marcel-Duchamp dans l’espace de la maison de vente Artcurial, à l’aube de la Semaine de l’art à Paris, l’artiste le montre une fois de plus au Centre Pompidou : quel que soit leur support, chacune de ses œuvres matérialise un temps suspendu entre passé et futur, qui présage une hypothétique apparition.
Dessin, sculpture, vidéo : une œuvre plurielle marquée par le déracinement
Né à Halmstad d’un père et une mère palestiniens exilés en Jordanie puis en Suède, Tarik Kiswanson développe depuis une dizaine d’années une œuvre irriguée par le flottement, où se lisent l’exil de sa famille et la question de l’appartenance : peut-on complètement s’intégrer quelque part lorsque l’on vient d’ailleurs ? Comment se construit-on, dès son plus jeune âge, lorsque l’on grandit aux confins des cultures ? Comment s’approprie-t-on les récits de ses parents d’une immigration que l’on n’a pas connue soi-même ? Au Centre Pompidou, le trentenaire présente un échantillon assez complet de sa pratique pluridisciplinaire, de ses dessins minutieux à ses sculptures hybrides en passant par ses film. Entre le Carré d’art à Nîmes en 2020, la Biennale de Lyon l’an passé, ou encore ses expositions Bonniers Konsthall à Stockholm et le musée Tamayo à Mexico il y a quelques mois, ses expositions de ces dernières années ont condensé les sujets récurrents de son travail, que l’on retrouve une fois de plus dans son accrochage pour le musée parisien : les enfants, compris comme un figures intermédiaires de construction du soi, les formes abstraites ovoïdes, comme l’incarnation palpable de l’indéfinissable, ou encore le mobilier qui, une fois détaché du sol, matérialise soudainement l’expérience du déracinement. Pour cette proposition inédite, l’artiste s’est particulièrement intéressé aux “meubles pour sinistrés” construits après la Seconde Guerre Mondiale pour les plus démunis, traces rudimentaires et silencieuses d’un traumatisme collectif. Un projet qui n’a pas manqué de séduire le jury de l’ADIAF cette année : “S’appuyant sur les rapports énergiques entre divers éléments, ses œuvres visent, avec beaucoup de sensibilité, à un message universel”, commente Xavier Rey, directeur du Musée national d’art moderne. Le nouveau lauréat remporte à cette occasion une enveloppe de 35 000 euros et l’invitation à une résidence d’exploration à la Villa Albertine l’année prochaine.
Au Centre Pompidou, l’exposition collective des 4 artistes finalistes du prix Marcel-Duchamp 2023
Depuis sa création par l’ADIAF – Association pour la diffusion internationale de l’art français – en 2000, le prix Marcel-Duchamp récompense chaque année un artiste contemporain français ou résidant en France dont la pratique plastique et visuelle s’ancre dans les enjeux de son époque. Parmi le prestigieux panel de lauréats, on retrouve des figures établies comme Clément Cogitore, Dominique Gonzalez-Foerster et Cyprien Gaillard, mais aussi Lili Reynaud-Dewar en 2021, qui dévoilera cette semaine une exposition personnelle au Palais de Tokyo, jusqu’à Mimosa Echard l’an passé. Présentée comme de coutume au Centre Pompidou, l’exposition collective des quatre finalistes de cette année dénote par la cohérence de leurs projets, explorant tous à leur manière les questions de migrations et de voyage, d’intégration et d’assimilation culturelle, mais aussi de discrimination et d’inégalités sociales. Dans une série de vidéos, la Franco-Marocaine Bouchra Khalili s’intéresse ainsi à la mémoire de la compagnie de théâtre Al Assifa, créée par les travailleurs arabes en France dans les années 70, tandis que les dessins, sculptures et films d’animation de l’Algérien Massinissa Selmani composent des espaces incomplets et des ébauches de voyages où les individus semblent s’effacer dans le décor. Prenant les fêtes nationales du calendrier comme point de départ, le film de la Française Bertille Bak, enfin, suit la production industrielles des fleurs afin de mettre en exergue les rapports de domination et de dépendance qui lient encore aujourd’hui le Nord et le Sud.
“Prix Marcel Duchamp 2023. Les nommés”, jusqu’au 2 janvier 2024 au Centre Pompidou, Paris 4e.